Le choix du chômage
Véritable mal français, le chômage semble défier depuis des décennies les plans pour l’emploi et les efforts gouvernementaux. En fait, derrière l’échec des politiques gouvernementales, il y a une forme d’hypocrisie de nos élites gouvernementales, syndicales et médiatiques, un refus de s’attaquer aux véritables causes du chômage pour protéger des situations acquises, de multiples arrangements datant des années de plein-emploi. Ces élites, contrairement aux discours officiels, ont choisi le chômage et la fracture sociale par conservatisme au sens péjoratif du terme ou plus simplement par égoïsme. Cela explique mieux l’inefficacité des gouvernements successifs, de gauche comme de droite que la fatalité, la « crise » ou la mondialisation et explique en particulier pourquoi le chômage baisse dans les autres pays de l’UE alors qu’il monte ou stagne à un niveau élevé en France.
Le chômage est le genre de thème qui reflète presque jusqu’à l’absurde les blocages de la société française. Il s'agit avant tout de comprendre pourquoi les solutions de fond autour desquelles il existe un certain consensus, sont systématiquement repoussées depuis 30 ans.
La vérité sur le chômage est dure à entendre. On pourrait la résumer en une phrase : La société française a choisi délibérément de maintenir le taux de chômage tout au long des 40 dernières années à un niveau sensiblement plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE et encore plus élevé si l’on considère le chômage des jeunes. ; actuellement supérieur de 5 points à la moyenne de ces pays. Cela a été fait tout en prétendant hypocritement par la voix des élites gouvernementales, syndicales, médiatiques, s’attaquer sans cesse au mal, mener un combat sans merci sur la ligne des 1 million, 2 millions puis 3 millions de chômeurs.
Dès les années 80, l'économiste Alfred Sauvy au cours d’un colloque sur l’emploi des jeunes à Nice 80 faisait justement observer que « chaque plan gouvernemental de lutte contre le chômage depuis le début du Septennat de Giscard d’Estaing avait été suivi au bout de quelques mois d’une hausse du chômage ». Sauvy rappelait certaines vérités premières expliquant que les formules « créer des emplois », « défendre l’emploi » recouvrent un malentendu profond et sans cesse entretenu sur la signification du chômage. Créer des emplois n’est pas un but en soi mais la conséquence d’une création de richesses ou de valeur. On ne travaille pas pour rester occupé huit heures par jour. On travaille ou devrait travailler pour créer des biens ou services utiles en France ou à l’étranger. On peut bien sûr susciter le besoin ou la demande de diverses façons mais la relation emploi, demande, prix, demeure.
Le Mythe de l'Etat créateur d'emploi
Mais alors pourquoi cette débauche de programmes, plans, mesures aussi inefficaces les unes que les autres. La réponse est simple : ce qui manque, ce n’est pas l’intelligence mais le courage. Les programmes proposés n’apportent peut-être pas de bonnes solutions au chômage mais politiquement ou médiatiquement parlant, elles ne font pas courir de grands risques à ceux qui les proposent, ne suscitent pas des manifestations syndicales et satisfont certaines catégories en donnant l’impression que l’on fait quelque chose, que l’on est concerné par le problème.
Si dans les mois qui suivent, la dure réalité des chiffres montre que rien n’a fondamentalement changé, on peut toujours prendre devant les micros un air désespéré et dire quelque chose du genre« on a tout essayé contre le chômage » comme le déclarait l’ancien président F Mitterrand. De toutes les façons, quand on a son regard rivé sur les prochaines élections, ce n’est pas les effets à long terme sur le chômage qui importent mais l’effet d’annonce, l’effet médiatique à court terme.
Ainsi la principale erreur qui maintient en France le taux de chômage à de hauts niveaux depuis plus de 20 ans consiste à croire ou à faire croire que la puissance publique peut lutter contre le chômage en créant des emplois ou par des emplois aidés et non en créant les conditions de l’emploi en réduisant ses dépenses. On peut être élu président en France en racontant que l’on va inverser la courbe du chômage avec comme moyens principaux la création d’emplois publics et des gadgets du genre emploi d’avenir ou contrat de génération.
Entre 1977 et 2005, on a créé 750.000 emplois publics et le chômage, loin de baisser d'autant sur cette période, a augmenté de 1,5 million. Depuis le début des années 2000, la masse salariale des fonctionnaires en France a continué à augmenter comme s’il n’y avait aucun problème de dépense publique, en particulier à cause des collectivités territoriales, avec toujours le même effet négatif sur le chômage et les mêmes hausses conjointes des impôts locaux et divers prélèvements.
Pourtant les conseils ne manquent pas, la Cour des comptes présidée par un socialiste, a rappelé ces dernières années que l’objectif essentiel pour réduire le chômage est de réduire la dépense publique et le déficit budgétaire et souligne que les politiques gouvernementales ne prennent pas la direction de réduire ce déficit en dessous des 3%, taux proposé par la France elle-même. Tous les pays (Angleterre, Allemagne, USA, Espagne etc..°) qui ont pratiqué des politiques de réduction de dépense publique, réduction du nombre de fonctionnaires etc.. ont eu des résultats sensibles sur le plan du chômage. Mais, électoralement, cela paraît toujours plus payant de promettre de nouvelles dépenses à tous les niveaux pour gagner différents lobbies que de défendre une politique d’austérité.
Même le FN, un parti qui prétend apporter un renouvellement de la politique continue sur cette lignée. Au diable l’avarice, ne soyons pas mesquins quand il s’agit de grandeur nationale avec la SNCF ou le Rafale, ne cédons pas aux diktats de Bruxelles nous dit la nouvelle direction du FN prête à reprendre le flambeau de ce genre de gaspillages « patriotiques » avec la venue, si Marine Le Pen est élue, d’un état « intelligent et stratège » avec des Enarques encore plus intelligents que leurs prédécesseurs. Cela promet…
Le bilan jamais effectué : emplois créés contre emplois perdu, statut bétonné contre emploi précaire
Sous des dehors faussement généreux de bien des discours syndicaux sur la « défense de l’emploi » se révèle un égoïsme impitoyable envers des groupes dans des situations bien plus précaires. Quand on défend les retraites des cheminots à 55 ans et autres régimes spéciaux, pour payer les déséquilibre de ces régimes, d’autres vont devoir travailler à 70 ans avec une retraite bien moindre, car dans les finances publiques, comme dans la nature selon le chimiste Laplace, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. En d’autres termes, le statut bétonné des uns se retrouve dans les conditions extrêmement précaires des autres, parfois dans la même entreprise publique comme à l’Education Nationale où les divers suppléants, assistants de langues et autres peuvent être éjectés à la première restriction budgétaire tandis que d’autres bénéficient d’un emploi assuré à vie.
Les jeunes sont bien sûr les premiers à faire les frais de cette politique dépensière même si l’on prétend être plein de sollicitude pour eux avec des emplois financés par le public qui ne débouchent pas en général sur quelque chose de durable. De leur côté, ces jeunes seraient mieux inspirés dans leur intérêt de manifester contre les régimes spéciaux ou autres plutôt que contre le projet de loi El Khomri.
Le problème de fond, c’est que chaque fois que l’on parle de « sauver des emplois » par l’intervention de la puissance publique, on se garde bien d’évaluer le prix de chaque emploi sauvé et le nombre d’emplois dans d’autres secteurs qui aurait pu être créé avec la même somme. Bien sûr, les emplois sauvés sont plus visibles tandis que les emplois perdus du fait de l’augmentation de la dépense publique sont répartis sur toute la nation.
Méthode du saucissonnage
Une autre illusion concernant les plans pour l’emploi, c’est la méthode du saucissonnage. On va ainsi proposer des mesures pour les jeunes (stages, aides aux employeurs, « Contrat Initiative Emploi » et autres), d’autres pour les chômeurs de plus de 50 ans (préretraite ou diminution radicale des charges pour l’employeurs), d’autres encore pour les chômeurs longue durée (encore des diminutions des charges), et enfin une flopée de contrats divers d’insertion, chacun avec ses effets pervers propres ( par exemple l’employeur qui emploie tel bénéficiaire d’un contrat du type contrat d’insertion pour empocher quelques aides publiques et qui le licencie à la fin du contrat, ce qui fausse le marché de l’emploi, rend de plus en plus complexe la législation sur l’emploi et augmente le temps passé à demander ou étudier les différentes aides.
Conclusion
En conclusion, les efforts contre le chômage passent en France par une bataille des idées et des mots avant que l’on puisse passer à la mise en œuvre de mesures vraiment efficaces. Il s’agit de démasquer chaque fois sous les discours généreux, nationalistes, de gauche comme de droite, les égoïsmes catégoriels. C’est un combat difficile car, à court et moyen terme, il n’est pas payant politiquement ou syndicalement.
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