Le DIF est-il condamné six ans après son lancement ?
De nombreuses personnes critiquent le Droit Individuel à la Formation (DIF) sans toujours le connaître ou bien en saisir les enjeux. Ce droit né en 2004 d’un accord Interprofessionnel signé par l’ensemble de partenaires sociaux est parfaitement original et pourrait bien contribuer à reconstruire une formation professionnelle statique et endogame.
Les détracteurs du Droit Individuel à la Formation sont nombreux : entreprises, salariés ou encore certains professionnels de la formation ; ils avancent une série d’arguments que nous souhaitons analyser dans cet article.
Quelles sont les principaux reproches adressés au DIF ?
Le DIF de 20 heures serait trop court, une quasi-aumône pour les travailleurs qui ne pourraient en si peu de temps entreprendre une réelle formation professionnelle.
Nos réponses :
le DIF annuel de 20 h est certes court mais en 2010 la plupart des travailleurs disposent de 120 heures chacun (nous estimons à 10 millions les salariés ayant atteint ce plafond de 120 h). Vingt heures de DIF représentent 3 jours de formation mais 120 heures c’est 18 jours soit près de 4 semaines de stage.
En 1936 les congés payés étaient de 2 semaines, puis ils passèrent à 4 semaines en 1969 et enfin à 5 semaines en 1982. Le DIF pourrait lui aussi suivre ce chemin au XXI ème siècle.
Le DIF est un levier, pas la potion magique permettant l’entrée la société de la connaissance et de l’information. Il s’agit donc d’une opportunité pour chacun de réfléchir à son employabilité, sa formation, de peut être reprendre des mini-études durant sa vie professionnelle,
En vingt heures on ne peut certes pas mener une reconversion professionnelle mais en 40 h on peut déjà changer son niveau en anglais ou maîtriser un logiciel de bureautique. Quarante heures c’est un temps suffisant pour de nombreuses disciplines que ce soit au lycée, en fac ou en formation professionnelle.
Les programmes longs de reconversion seraient mieux adaptés aux personnels non qualifiés
Nos réponses :
La France est habituée aux stages longs (parfois qualifiés de stages parking) qui tiennent une place critiquable entre le curatif et l’occupationnel.
Avec les demandeurs d’emploi ils se sont souvent révélés être inefficaces, coûteux et décourageant (lassitude des stagiaires comme des formateurs).
Il est plus pertinent pour un adulte d’alterner des périodes de formations courtes et une utilisation au travail des nouvelles notions acquises.
Les formations longues, certifiant ou diplômant ne permettent guère d’innover, ils sont normés, certifiés et trop cadrés. Entreprendre une telle formation longue nécessitera toujours une disponibilité forte, est-on certain que des adultes en difficulté soient prêts à retourner pendant un an sur les bancs d’une école (là où ils ont souvent échoué) ?
L’indispensable responsabilisation des travailleurs sur le développement des compétences (on apprend pas sous la contrainte) repose désormais sur leur motivation et leur mobilisation. Le DIF peut être le starter du développement des compétences,
Le DIF innove avec une formation hors temps de travail. Le premier obstacle à la formation dans les PME tient à ce qu’elle se déroule sur le temps de travail (avec donc une désorganisation probable de l’activité) désormais la formation peut se dérouler hors temps de travail, sur le temps libéré par les 35 heures. Il s’agit donc de sortir du modèle obsolète et inégalitaire du plan de formation (qui forme l’organisation plutôt que les personnes) pour responsabiliser tous les travailleurs sur le développement de leurs compétences
Dans la société de la connaissance se former 20 h par an est très insuffisant (en 1995 Jean Fourastié estimait que le temps passé à se former devrait atteindre 10 % du temps travaillé). Ce temps de formation, ni temps travaillé, ni temps de loisirs, doit être reconquis par les travailleurs les moins qualifiés
Les propositions DIF actuelles émanent de « boîtes à fric » qui vendraient n’importe quoi aux entreprises. Cet argument est en général appuyé par un ou deux exemples aberrants de formation. Les organismes privés de formation n‘auraient quant à eux aucune capacité ni expertise pour développer les compétences des salariés. Seuls de gros organismes publics pourraient s’y atteler (Education nat, Greta ou AFPA sans doute).
Nos réponses :
Cet argument est souvent partagé par les pouvoirs publics qui tentent d’endiguer le risque sectaire en contrôlant toujours plus les acteurs de la formation professionnelle. Ces contrôles et reporting incessants au final ne font que renchérir la formation et poussent les entreprises comme les organismes de formation à se consacrer aux publics les plus rentables : cadres, techniciens ou ingénieurs (50 % des budgets allant à 6 % des salariés selon un rapport d’avril 2010 sur la mobilité des salariés)
Multiplier les contraintes règlementaires empêche de faire jouer la concurrence et contribue nécessairement à l’appauvrissement de l’offre de formation comme à son renchérissement. L’Etat ne se mêle pas de la qualité des approvisionnements en consommables ou en machines d’une entreprise privée, pourquoi devrait-il se mêler des formations qu’elle commande ? Dans quel autre pays que la France impose-t-on (avec quels piètres résultats) des cotisations minimales et des organismes collecteurs pour répartir les fonds de la formation ?
l’Etat est très exigeant avec les organismes privés de formation mais très laxiste avec son propre méga-organisme de formation : l’Education Nationale. Pourtant tous les indicateurs internationaux (PISA notamment) démontrent les piètres qualités du système de formation public et la Cour des Comptes a récemment enfoncé le clou dans un rapport daté du 12 mai 2010 « une organisation obsolète, médiocre et inégalitaire »)
Les formations courtes seraient inutiles pour ceux qui ont besoin de se requalifier. C’est l’argument le plus fréquent, avancé déjà dans le « rapport » Cahuc/Sylberstein de 2006 (« la formation professionnelle un système à la dérive »).
Pour résumer brièvement cette thèse : les salariés les moins qualifiés auraient besoin de formations diplômantes, de remise à niveau ciblées et très longues (1 an, 2 ans ?) afin de pouvoir entrer dans la société de la connaissance.
Nos réponses :
Le constat est juste : des millions de salariés risquent la disqualification professionnelle, la crise actuelle éloigne de l’emploi durable tous ceux qui n’ont pas pu, n’ont pas su, n’ont pas voulu développer leurs compétences et leur employabilité depuis les années 80 (alors que les pouvoirs publics ont malheureusement subventionné et encouragé l’emploi non qualifié sans formation ni évolution possible).
Le modèle défunt de société taylorienne impliquait une qualification définitivement acquise et un avancement à l’ancienneté, ce modèle périclite et la crise de 2008 n’a fait qu’amplifier ces évolutions irréversibles (on n’aura plus un métier ou une qualif pour la vie)De 3 à 5 millions de personnes ont donc besoin de reconversions professionnelles longues :
on peut estimer à 1,5 million le nombre de travailleurs illettrés (sur un total de 3 millions d’illettrés en France)
Au moins autant de personnes pas ou non qualifiées.
Ajoutons-y un million de DE en reconversion professionnelle lourde + 200 000 jeunes sortant du système éducatif sans aucun diplômes ni connaissances. On parvient donc facilement à 4,5 millions de personnes à requalifier rapidement. Même si on se donnait 3 ans pour mener cette action (qui ne peut attendre 10 ans !) il faudrait donc au bas mot former, accompagner, requalifier 1,5 millions de personnes par an mais
Avec quels moyens financiers ? Sachant que le modèle de la reconversion professionnelle longue est le Congé Individuel de Formation et qu’un CIF coûte près de 25 000 euros par an, il faudrait donc trouver 30 à 40 milliards d’euros tous les ans pour mener ces plans lourds de formation
Avec quels moyens humains ? : Admettons que notre pays parvienne à trouver l’équivalent de 50 % du budget de l’EN tous les ans, il faudrait encadrer ces nouveaux apprenants. Sachant qu’il y a 70 000 formateurs en France, des formateurs souvent spécialisés on ne sait pas avec qui (des nouveaux formateurs ?) ni où (dans des écoles) ni quelle organisation (l’EN ?) pourraient mener de tels programmes massifs et généralisés
Avec quelle volonté et possibilités des salariés eux-mêmes ? Imagine-t-on des millions d’adultes peu qualifiés avec leurs contraintes familiales et sociales, leurs appréhensions et difficultés, retourner volontairement et durablement dans une quasi-école ? c’est irréaliste. Les entreprises qui emploient ces travailleurs devraient remplacer des millions de personnes, les former puis reprendre après une ou deux années leurs salariés mieux formés (et donc mieux payés en théorie)
En guise de conclusion :
Libre aux redresseurs de torts et justiciers sociaux de nier l’intérêt du DIF, cette ré-appropriation de la formation par les travailleurs. Les partisans du tout ou rien adoptent peut-être une posture généreuse et avantageuse mais dans l’état actuel du pays et de ses finances ( publiques comme privées) ces critiques sont irréalistes.
Le DIF n’est pas un rêve ou une utopie pour le XXII ème siècle mais bien un droit fondamental (aussi novateur que le Droit aux congés payés en leurs temps).
Nous pensons que le Droit Individuel à la Formation va dans les mois et les années qui viennent donner tout son sens au mot de formation tout au long de la vie. Toutes les personnes qui souhaitent une plus grande justice sociale feraient mieux de contribuer à populariser et à généraliser le DIF.
Didier Cozin
Auteurs des ouvrages « histoire de DIF » et « Reflex DIF »
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