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Accueil du site > Tribune Libre > Quand Léo Ferré est sans égal ni rival...

Quand Léo Ferré est sans égal ni rival...

 Un hommage à Léo Ferré qui nous a quittés un 14 juillet de 1993.

 (d'aucuns prétendent qu'il a tiré sa révérence juste avant la retransmission télévisée du traditionnel défilé militaire des Champs-Elysées).

_______________

 Il n'écrivait et ne parlait qu'une seule langue : le Français... mais il parlait tous les langages et écrivait dans toutes les musiques : il est à lui seul près d'un siècle et demi de poésie et de littérature.

De Baudelaire à René Char en passant par Hugo, Bruant, Carco, Queneau, il a traversé toutes les Ecoles d'écriture - même automatique  ! Du langage insaisissable de la rue aux modes langagières éphémères, du Franglais à l'Argot, à la fois virtuose et vertigineux, surdoué, il pouvait dans un même texte aux néologismes sans nombre, dans un même vers, dans une même phrase les réconcilier tous.

 Grand mélodiste, auteur, compositeur, orchestrateur et chef d'orchestre, il était son meilleur interprète. Ironique, moqueur, cruel et tendre, toujours en colère, il aura été le premier slameur et sans doute aussi, le premier rappeur. 

Des millions d'hommes et de femmes ont découvert nos poètes du 19e et 20e siècles ainsi que la musique symphonique au contact de son oeuvre, de Beethoven à Berlioz, du carton perforé de l'orgue de barbarie au piano à bretelles et au rock psychédélique du groupe ZOO.

 Si chez Ferré on ne compte plus les chansons qui ont pour sujet La Femme et les femmes, on a évoqué un Ferré anti-féministe, voire misogyne … or, la misogynie de Ferré était celle de tous les hommes de sa génération face aux femmes cultivées et indépendantes d'esprit. Ces femmes, tous les hommes de la génération de Ferré les craignaient... (même Sartre avait du mal avec le féminisme d'une Simone de Beauvoir). Car, pour Ferré, il ne peut y avoir de Femme que celle qui accompagne l'homme, le soutien, le couve ; c'est la femme qui veut et fait des enfants et qui les élève ; et c'est aussi l'autre Femme, fatale de surcroît, pour laquelle on se damne après avoir vendu son âme sous la contrainte d'une nécessité qui nous échappe et qui nous condamne au malheur.

 Quant à savoir si Ferré était un bourgeois comme semble l'indiquer sa belle-fille, Annie Rabereau, dans un ouvrage "Comment voulez-vous que j’oublie" paru chez Éditions Phébus), encore faut-il s'entendre sur le terme "bourgeois" : sûrement Ferré a accueilli le succès, l'argent et son confort de vie qu'il apporte avec soulagement après 20 ans de galère, 20 ans de vache enragée... 20 ans de "vie d'artiste"... mais on peut sincèrement douter qu’il ait pu être un bourgeois dans sa manière de concevoir l'organisation de la société : qui fait quoi, où, comment, à quel prix et sur le dos de qui.

 Contemporain d’un siècle aux trois-quarts éventé, contradictoire et ambivalent, Léo Ferré a sans doute fait l’amère expérience d’une humanité qui, si elle méritait un meilleur sort, ne pouvait néanmoins s’empêcher de mendier sa dignité auprès de salauds qui se feraient un plaisir de la lui accorder mais à condition qu’elle se baisse plus bas encore, sur les genoux car, comme tous les grands misanthropes, Ferré avait un amour débordant de compassion pour les petites gens ; dans ses textes et ses chansons, il leur disait "tu" : "... pour l'enfant que tu portes au fond de l'autobus"(extrait du titre "Requiem").

Et si la musique l’a saoulé de mots, les mots l’ont aussi saoulé de musique et personne mieux que Ferré n'a usé et abusé de tous ces mots, jusqu'à en inventer d'autres... tellement il pouvait les trouver très en deçà de ce qu'il attendait d'eux... des mots d'une violence inouïe, parfois jusqu'à la terreur... terreur des mots, de tous les mots de tous les langages dans une seule et même langue indépassable et sans doute intraduisible.

 Qu'il soit permis ici de prédire qu'après Léo Ferré... ce sera (mais... n'est-ce pas déjà le cas ?) la débâcle d'une langue qui s'est effondrée sous le poids de la bêtise et du fric pour une réussite à courte vue, une réussite imbécile et sans profit pour notre humanité et son patrimoine.

***

 Léo Ferré aura été le seul poète, authentiquement poète, sans rival excepté chez les plus grands (Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire, Césaire, Char), que la chanson, le music-hall, la scène et une production discographique d'une richesse sans égale, aient jamais porté jusqu'à tous les sommets.

___________________

"La mémoire et la mer"

Léo Ferré - Paroles et musique

"Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Aimé Césaire ?!

"Dieux de granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leur castagnette figure"
René Char ?!

"Quand j'allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen"
Baudelaire ?!

"Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au raz des rocs qui se consument"
Rimbaud ?!

La marée, je l'ai dans le coeur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur, de mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années lumières et j'en laisse
Je suis le fantôme jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baiser
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre.
 
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au raz des rocs qui se consument
O l'ange des plaisirs perdus
O rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude.
 

Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades
O parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen

Les coquillages figurant
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu'on dirait l'Espagne livide
Dieux des granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Sur cette mer jamais étale
D'où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles

Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du fla-fla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sous mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue, aux musiques mortes
C'est fini, la mer, c'est fini
Sur la plage, le sable bêle
Comme des moutons d'infini...
Quand la mer bergère m'appelle

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9 réactions à cet article    


  • pallas 15 juillet 2017 16:19
    Serge ULESKI

    Votre monde est faux, juste une vulgaire illusion, il serait temps de vous réveillez.

    Ne vous inquiétez pas, les évènements le feront.

    Le chaos, la violence, un monde de destruction, auquel le mot « espoir » n’existe pas.

    Un lieu de ténèbres, tel est la réalité, mais n’est ce pas encore la vérité, chose bientot corrigé.

    Tout cela est amusant, mon sourire est bien présent et prégnant.

    Salut


    • chems eddine Chitour 15 juillet 2017 16:54

      Merci pour cette plongée en apnée dans le passé un poème m’avait beaoucoup plu il n’a pas pris une Un jour le diable vint sur Terre p0ur surveiller ses intérêts Et quand il a tout vu.Tout entendu. Il est retourné chez lui la bas.. Il y a partout des deux illuminent la Terre. Ça va ! Les hommes s’amusent comme des fois aux dangereux jeux de la guerre. Ça va !.... C’était a l’époque de la guerre froide bien avant le 11/9....

      Ces chansons demeurent a ce Jour inoxydables

      Pr.C.E.Chitour


      • chems eddine Chitour 15 juillet 2017 16:56

        ....N’a pas pris une ride ...

        ....Comme des fous....


        • pallas 15 juillet 2017 17:31

          @chems eddine Chitour

          Après le chant et l’arrogance, il ne manque qu’une chose.

          Il faut danser, une belle danse.

          Salut


        • chems eddine Chitour 15 juillet 2017 21:46

          §alut à celui qui veut danser sur deux neurones


          • Alain Dussort Alain Dussort 16 juillet 2017 05:36

            Merci pour ce poème, hautement plus signifiant que tant d’autres signifiés. Je me permets ce jeu de mot idiot : Il vaut mille fois mieux être laid haut que bas beau.


            • UnLorrain 16 juillet 2017 07:05

              « Chanteur-poète des temps moderne » écrivait un critique,je sais plus où. A propos de HFT,Thiefaine.

              Quelques passages de HFT « pour être chanteur populaire faut avoir l’esprit de mission,la position du missionnaire ça manque pas d’imagination »( hihii Hubert s’acclimate mal de chanteurs populaires apparemment) « a mettre sa vie en musique on en oublie parfois de vivre..mon pauvre amour sois plus heureuse maintenant je t’en remet au vent ». « toi tu essayer de comprendre ce que mes chansons voulaient dire,agenouiller dans l’existence tu m’encourager a écrire mais moi je restais hermétique indifférent a tes envies »

              Écoutez « 22 mai » de Thiefaine..ce qu’il en sait et dit,de 1968. Une autre ou on apprend que Felix devait se résoudre a sortir des boîtes de cassoulets en douce de « leurs superbes supermarchés » pour pouvoir manger,je suppose.

              HFT est celui qui interpelle.


              • philippe baron-abrioux 16 juillet 2017 07:53

                @l’auteur ,

                 Bonjour et merci pour votre article ,

                 « muss es sein ? ,es muss sein ! »

                 « Pépé Ferré » , maintenant à l’abri , très loin , ce compagnon de poésie , d’audace , de liberté intemporelle , aurait fait silence ?

                 lui et quelques autres , Jean- Roger Caussimon , Julos Beaucarne , Catherine Sauvage,Jacques Bertin , Jean Ferrat , Jacques Brel ,en tête et au coeur , à emmener partout avec soi , pour des bonheurs à partager ,et d’autres encore en toutes saisons .

                 eux et notre langue qui en vaut bien d’autres , pour l’amour, la révolte , la paix , la joie et les cris de ceux qui n’avaient pas droit à la parole .

                 «  ES MUSS SEIN » , une fois , une fois encore !

                 bonne fin de journée !

                 P.B.A

                 

                 

                 


                • mmbbb 17 juillet 2017 10:56

                  j ai beaucoup ecoute Leo mais je l’ecoute moins ces chansons politiques ont vieillies. et toutes ses chansons ne sont pas égales Quant a l anar il s’est fait mater par sa derniere femme une matronne Elle a autorisée une de ses chansons pour de la pub. Ferre a du se tourner dans sa tombe La femme de l anar savait tirer le tiroir caisse . Quant a la musique elle est descendue dans la rue, nous n avons jamais eu autant de concert ni d estival dans ce pays.

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