Qui doit observer la laïcité ?
Il n'y a que l’État et les pouvoirs publics qui puissent être laïques. Il n'y a que l’État et les pouvoirs publics qui doivent observer la laïcité. La laïcité est une obligation politique, et les moyens afférents, qui incombe exclusivement aux pouvoirs publics (État et collectivités locales). La laïcité de l’État consiste à ce que l’action de l’État soit réglée par des raisons de type scientifique, un constat des problèmes, difficultés, un constat de l’état de la société, la définition de buts et la définition de moyens de réaliser ces buts, le tout dans un débat permanent (la démocratie) et le respect des décisions prises (la République). Que ce schéma fonctionne de façon bancale en permanence (ce qu’on appelle de façon erronée la crise, suggérant par ce mot qu’il y aurait des périodes de stabilité satisfaisante, non-problématique) n’enlève rien à sa validité, comme tendance, idéal, impératif, effort vers…
Il n’y a de laïcité que de l’État. Il n’y a pas (ou il n’y avait pas) de laïcité du citoyen, de groupes de citoyens, ce n’est pas au citoyen de respecter la laïcité. La laïcité de l’État ne dit qu’une chose au citoyen : aucune religion ne commandera ni même, en principe, n’influencera une décision de l’État. Toi, tu fais ce que tu veux, en matière religieuse.
L’État a renversé la laïcité par la loi du 15 mars 2004 en créant une laïcité du citoyen et en renonçant ainsi à un des principes forts de notre société, venant de son histoire. Outre le renversement de la laïcité, l’État a créé, par cette loi, un préalable à l'admission d'une enfant à l'école publique, ce qui constitue aussi une rupture avec les fondamentaux de la République, même si personne ne parle de cet aspect de cette loi.
Deux choses s'accomplissent depuis, qui étaient parfaitement prévisibles :
1/ une grande confusion dans les débats et dans les esprits, le même mot « laïcité » désignant une chose et son contraire.
La chose c'est l'arbitrage des religions par un État fondé sur la raison, le constat des problèmes, la proposition, la réforme, le débat, l'essai-erreur, laissant chacun libre de sa religion...
son contraire, c'est un État qui commande aux citoyens des comportements laïques (ne pas montrer sa religion, la garder pour l'entre soi). La laïcité qui était la liberté religieuse du citoyen, est devenue la source d'une injonction que l’État fait au citoyen à ne pas faire état de sa religion en public.
2/ s'est constituée ensuite la croyance qu'il en a toujours été ainsi de la laïcité, la laïcité a toujours été l'idée que la religion est affaire personnelle et exclusivement personnelle, ce qui oblige à la réserver au privé et à en « débarrasser » l'espace public. Or ces deux idées reliées l’une à l’autre (religion n’est qu’affaire personnelle, et n’est que pollution quand elle est sur la place publique) relèvent de la croyance, du dogme, et détruisent la liberté qu’était la laïcité.
Ces deux idées sont neuves et n'appartiennent pas à la laïcité. Pire, elles la contrecarrent. Elles ont été bâties à partir du moment de cette inversion, pour accréditer l'idée de la continuité et dissimuler l'inversion. A force de répétition, elles sont devenues évidentes pour la plupart des citoyens français et il semble difficile de revenir dessus ; cependant, il le faudrait.
Certains parlent de ce phénomène comme d'une extension. Cela me paraît une erreur. Ce n'est pas la même chose qui prend d'autres points d'application. La situation du citoyen avant et après cette loi qui crée un comportement laïque est renversée : avant, il faisait ce qu'il voulait et ensuite, il reçoit un commandement de l’État : les autres citoyens ne doivent pas voir ta religion.
En s'appuyant sur le mot laïcité pour viser une contrainte pour le citoyen, l’État institue la laïcité en religion. Elle quitte l'arbitrage et devient l'équivalent d'une religion, avec son dogme et ses commandements. Cette nouvelle laïcité entre en concurrence avec les religions.
Cette nouvelle laïcité ne peut, de ce fait, qu'exacerber les tensions et les conflits liés au religieux, elle ne peut que faire apparaître de nouvelles pommes de discorde et en majorant l'intensité des convictions des uns et des autres.
Or, quand Jean-Louis Bianco, président de l’observatoire de la laïcité, dit et répète que la laïcité est un outil indispensable du vivre-ensemble, en parlant de la laïcité nouvelle inversée (athéisme d’État), il ne voit pas cette inversion, il ne voit pas la conversion de la laïcité en religion d’État, avec dogme, commandements ; il ne voit pas que personne n’est obligé de se rallier à cette laïcité inversée, athéisme d’État, parce qu’elle est du domaine de la foi, ce que n’est pas ou n’était pas la laïcité.
Jean-Louis Bianco dit aussi que, peut-être, certains sont des intégristes de la laïcité. C'est une reconnaissance implicite, involontaire et qu'il ne voit pas lui-même du caractère religieux de la nouvelle laïcité. Passée du côté de la foi, elle a ses intransigeants, dont JL Bianco souhaite dire qu'il ne fait pas partie. Néanmoins, il tient des propos extrémistes sur Charlie-Hebdo, dont il dit qu’ils ont dit pire que le rappeur Médine. Or Médine appelle « à crucifier les laïcards ». Charlie Hebdo n’a jamais appelé à des actes de violence. Les limites à la liberté d’expression sont pourtant là, dans appel à la violence physique, à la vengeance, à l’ostracisme… La justice réglant ou devant régler les abus ou manquements… Dire que Charlie Hebdo fait pire que Médine est inadmissible, insupportable.
Un observatoire de la laïcité n'a pas lieu d'être dans la Vème République laïque. Cette institution est une trahison : l’État se mettant à observer la laïcité de la société ! Cela n'existe que par cette inversion de la laïcité qui nous fait tant de mal.
Ce mal augmente. Nous sommes en plein désarroi et en pleine dispute, ouvrant la voie à ceux qui souhaitent à leur religion de prendre le pouvoir. A eux, bénéficie l’adage bien connu selon lequel il faut diviser pour régner. La division qui les aide à régner se situe dans le temps (et non dans l’espace) avant et après la loi de 2004.
L’incohérence va s’aggraver : l'article 6 du projet El Khomri autorise les pratiques religieuses, c’est à l’employeur de justifier qu’elles doivent être restreintes (mais quel citoyen salarié souhaitant temps et lieu pour ses prières trouvera raisonnable les nécessités de service opposées par l’entreprise ?) : La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.
On va passer, peut-être, de l’interdiction des signes religieux pour les élèves à l’école (2004) à l’autorisation des pratiques religieuses dans l’entreprise (2016).
Il est temps de reprendre l’essence de la laïcité, son champ de compétence : un pouvoir de l’État, qui est aussi une contrainte pour lui, exclusivement pour lui.
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