Tirer les enseignements de l’échec du nucléaire français à Abou Dhabi
Auteurs : Olivier Babeau et Paul Ohana
Au moment où nous avons besoin de réaffirmer la capacité de notre tissu industriel à tirer profit, plus tard, de la reprise économique mondiale, le choix du Coréen Kepco au détriment de nos entreprises nationales ne laisse pas d’inquiéter. Il importe de tirer les enseignements de cet échec pour éviter qu’il ne se reproduise.
Notre affiche était belle : Areva, Alstom, GDF, Total et même EDF rappelé en grand renfort. Notre offre rassemblait des spécialistes reconnus dans tous les domaines du nucléaire : le combustible, l’équipement et l’exploitation. Trop sûrs de nos atouts, nous sommes totalement passés à côté des dimensions marketing et commerciale de l’opération.
La première erreur est marketing. Nous avons mal compris les ressorts d’un marché qui a considérablement évolué. L’importance des marchés du nucléaire, l’étalement des projets dans le temps, leur impact sur la maîtrise énergétique et l’économie des pays clients sont tels que la définition du fournisseur recherché a changé : il ne s’agit plus de faire la queue devant les grands groupes pour qu’ils veuillent bien vous vendre leur technologie. Face au développement de l’offre, les clients ne sont plus en position de faiblesse. Pour les convaincre et emporter le marché, avoir la meilleure technologie ne suffit plus.
Les nouveaux pays clients, dont Abou Dhabi, veulent de vrais partenaires pour 20 ans, voire 60 ans pour la construction et l’exploitation des centrales. Notre posture à Abou Dhabi a été celle d’expatriés condescendants daignant apporter une expertise là où nos concurrents se présentaient comme des amis venant réellement partager le savoir-faire au long court. Les Coréens se sont installés, multipliant les contacts et faisant l’effort d’une vraie proximité avec leur client. Ajoutons que les déclarations d’EDF exprimant le peu d’intérêt qu’ils avaient pour le projet n’ont pas dû jouer en faveur de la victoire française…
Vendre une centrale nucléaire implique une connaissance du pays client, de sa culture, de son environnement, une volonté de s’y implanter en partenaire ; autrement dit – n’en déplaise à nos ingénieurs – il faut déployer une réelle approche marketing de compréhension des attentes et des ressorts psychologiques des clients.
La seconde erreur est commerciale. Notre consortium, constitué d’entreprises jalouses de marquer leur identité et leur indépendance, a présenté un grand nombre d’interlocuteurs au client. L’image de l’offre était ainsi brouillée ; le client a probablement craint que la division des entreprises n’affecte à terme la qualité des prestations.
Nous ne pouvons continuer d’aller en ordre dispersé au combat concurrentiel mondial que se livrent les entreprises de chaque pays. Il faut d’urgence que la marque France ait enfin un représentant unique par projet. L’Etat doit imposer un management cohérent et professionnel pour la conduite de ces projets qui dépassent de loin l’intérêt de quelques entreprises.
Il faut inciter nos grands groupes à créer, à partir de leur expertise et de leurs moyens, une société d’ingénierie nucléaire française qui serait un interlocuteur unique auprès des clients de par le monde. Comme toute entreprise analogue, elle passera les accords de partenariat voulus pour élaborer les solutions recherchées par le client.
L’échec d’Abou Dhabi doit être une sonnette d’alarme. Il n’était pas inéluctable. Orgueil, confiance excessive en nos technologies, négligence des procédés commerciaux les plus élémentaires : nous avons là la triste litanie du mal français. Souhaitons que nos industriels et nos politiques sachent faire de cette expérience l’électrochoc salutaire permettant de faire cesser les luttes d’ego picrocholines qui empêchent l’organisation cohérente de notre filière nucléaire.
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