L’impossible transition énergétique
Introduction
La consommation d’énergie a commencé à croitre beaucoup au 19ème siècle avec l’exploitation du charbon, elle s’est considérablement amplifiée au 20ème siècle avec le pétrole et le gaz. Cette manne d’énergie concentrée, stable et facile à utiliser, mise gratuitement à disposition par la nature, est le résultat de millions d’années de stockage du CO2 par la photosynthèse et la décomposition de matière organique. L'abondance énergétique apportée par le charbon, le gaz et le pétrole a permis une véritable métamorphose des pays riches et du mode de vie des habitants. Le développement économique et sociétal, lié à la consommation d'énergie, a fait progresser l’espérance de vie en France de 35 ans au début du 19ème siècle à plus de 80 ans aujourd’hui, et a permis de passer d’une société de paysans à une société d’emplois tertiaires.
Paradoxalement cette consommation d’énergie fossile est synonyme de diverses pollutions néfastes à la santé et d’émissions de CO2 qui amplifient le réchauffement climatique.
Après avoir rappelé quelques données sur le passé et le présent de la consommation d’énergie, plusieurs scénarios de transition énergétique sont comparés. Ils essaient de prévoir un équilibre entre production et consommation en analysant les ressources et économies possibles. Tous ces scénarios envisagent une baisse de la consommation d’énergie. Pour y parvenir le levier de l’efficacité énergétique fait l’unanimité. Nous nous sommes interrogés sur ses limites physiques. Cette réflexion technique ne peut pas ignorer les facteurs humains rendant difficile la sobriété énergétique. Entre manque d’énergie, réchauffement climatique et pollutions diverses dues aux énergies fossiles, ou nucléaire et déchets, il faudra faire les moins mauvais choix.
1.La consommation d’énergie devra baisser
1.1. La situation actuelle
La consommation d’énergie s’est stabilisée en France et en Europe depuis la crise commencée en 2008 mais elle continue d’augmenter au niveau mondial comme le montre la figure 1. Plus de 80% de cette énergie étant d’origine fossile, la question se pose de savoir combien de temps encore ces ressources limitées pourront satisfaire la demande. La production de ces énergies devrait passer dans les années à venir par un pic ou un plateau avant de décroitre. La date du « peak-oïl » fait débat (R. Heinberg, 2005) mais il est clair que le pétrole manquera d’abord au cours du 21ème siècle, suivi par le gaz (J.M. Jancovici). Les réserves de charbon sont plus importantes, le charbon pourrait ne manquer qu’au 22ème siècle. Le charbon, 1ère source d’énergie au monde pour la production d’électricité, devrait, d’après l’Agence Internationale de l’Energie, devenir la 1ère source d’énergie au monde tous usages confondus en 2015. C’est pourtant la plus polluante et la plus émettrice de gaz à effet de serre des sources d’énergie. L'extraction du charbon et la pollution due à sa combustion font des centaines de milliers de morts chaque année.
- Figure 1
- Evolution de la consommation d’énergie et de la population mondiale (JM Jancovici)
Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique dont les conséquences pourraient être dramatiques, la France, bien que moins émettrice de gaz à effet de serre que ses voisins, s’est engagée à diviser par 4 ses émissions à l’horizon 2050. La raréfaction à venir du pétrole et du gaz, et l’engagement de réduire les émissions de gaz à effet de serre impliquent une forte baisse de la consommation d’énergie fossile. La manière d'y parvenir a largement été étudiée par plusieurs scénarios.
1.2. Quelques scénarios de transition énergétique
Plusieurs associations et organismes ont élaboré pour la France des scénarios de transition énergétique. En voici un aperçu :
- Le scénario Négawatt (Négawatt , 2011) est sans doute le plus connu. Il préconise que 90% de nos besoins soient assurés en 2050 par les énergies renouvelables essentiellement grâce à une meilleure exploitation de la biomasse, de l’éolien et du photovoltaïque. Un recours accru au gaz serait temporaire afin de fermer progressivement la totalité des réacteurs nucléaires (personnellement je crains que ce temporaire dure...). En 2050 les énergies fossiles ne représenteraient plus que 10% des besoins. Un tel scénario supposerait des efforts considérables, notamment dans l’éolien qui devrait fournir 209TWh en 2050 contre 15TWh en 2012, les problèmes d’intermittence étant réglés par la production d’hydrogène et de méthane.
Quand on sait que le potentiel éolien français est estimé à 160TWh par l’ADEME, connaissant les difficultés du stockage par hydrogène, on mesure une partie de l’optimisme de ce scénario quand à la production des énergies renouvelables.
En parallèle de ces investissements considérables, il faudrait selon Negawatt réduire la demande en énergie primaire de 66% ( !) alors que la population augmenterait de 15%. Cette réduction devrait venir de l’efficacité et de la sobriété énergétique. L’efficacité consiste à améliorer les techniques pour rendre les mêmes services en consommant moins. La sobriété consiste selon Negawatt à privilégier les usages les plus utiles, « restreindre les plus extravagants et supprimer les plus nuisibles » ; de beaux débats en perspective pour juger ce qui est utile ou nuisible...
La consommation résidentielle et tertiaire diminuerait de 49% grâce à une stabilisation du nombre d’habitants par foyer (faudra-t-il interdire le célibat ?), un développement de l’habitat en petit collectif (faudra-t-il interdire de construire de grandes maisons ?), un ralentissement de la croissance des surfaces tertiaires, l’optimisation des systèmes de chauffage et l’isolation des logements. Il faudrait rénover chaque année 750000 logements pour les amener à une consommation moyenne de 40kWh/m² par an pour les besoins de chauffage. Sachant que la réglementation thermique 2012 exige qu’un logement neuf consomme moins de 60kwh/m² par an, que la consommation moyenne en 2013 des logements anciens est de 191kwh/m², que l’on a rénové en 2013 265000 logements et que le projet de loi sur la transition énergétique dévoilé en juin 2014 en prévoit 500000, on mesure l’ambition de ce scénario.
Dans les transports le nombre de km parcourus par personne chaque année diminuerait de 25%, ce qui irait à l’encontre de l’évolution que nous connaissons depuis toujours. Les transports en commun, la marche à pied, le vélo, des véhicules en auto-partage et des taxis collectifs permettraient d’exclure, à terme, totalement le véhicule automobile tel que nous le connaissons aujourd’hui (pas sur que ça plaise à tout le monde, faudra-t-il interdire de posséder un véhicule ?)
La consommation énergétique de l’industrie diminuerait grâce à un gain en efficacité de 35% sur les moteurs électriques et à une baisse de 10% à 70% des besoins en matériaux (les industriels auraient donc jusqu’ici négligé de considérables économies..).
Le secteur agricole évoluerait considérablement puisqu’on mangerait moitié moins de viande qu’aujourd’hui.
- Greenpeace (Greenpeace, 2013), propose un scénario assez proche dans lequel, en 2050, la demande d’énergie primaire diminuerait de 63% et celle d’énergie finale de 52%. Les énergies renouvelables produiraient alors 92% des besoins, le nucléaire aurait disparu. La réduction de nos besoins proviendrait de transports plus efficaces, d’une baisse des distances parcourues, de l’isolation des logements, d’appareils plus efficaces...
- L’association Virage Energie, dans le même état d’esprit, propose pour diminuer la consommation : des lave-linge collectifs, une baisse des équipements électroménagers (moins de lave-vaisselles, de congélateurs, d’ordinateurs...), une baisse de l’utilisation des cosmétiques, de la consommation de vêtements, du tourisme de longue distance...
On peut se demander si les changements préconisés par les 3 scénarios précédents sont compatibles avec la démocratie, les changements nécessaires impliquent en effet une baisse de niveau de vie si importante qu’il est probable qu’il faille les imposer par la force.
- La troisième révolution industrielle est une théorie de l’économiste américain Jeremy Rifkin (J. Rifkin, 2012). Elle repose sur les énergies renouvelables, les bâtiments producteurs d’énergie, le stockage d’énergie dans les bâtiments, les échanges d’énergie via un réseau intelligent et les véhicules électriques. D’une manière générale, J Rifkin prétend que la société va ainsi pouvoir continuer à dépenser de l’énergie sans compter ; jamais dans son ouvrage il ne quantifie les potentiels des ces techniques pour les comparer à nos besoins, jamais il ne parle de l’efficacité énergétique qui fait pourtant l’unanimité. C’est clairement irréaliste.
Le Master plan de troisième révolution industrielle de la région Nord-Pas de Calais (2013), qui s’inspire (malheureusement) du livre de Rifkin, a sagement introduit l’efficacité énergétique, l’économie de la fonctionnalité et l’économie circulaire. Le thème de la sobriété énergétique n’ayant pas fait l’unanimité parmi les acteurs, il est absent du plan qui prévoit une baisse de 60% de la consommation d’énergie à service rendu égal, c’est à dire en comptant uniquement sur l’efficacité énergétique. Ceci parait plus qu’ambitieux vis à vis des autres scénarios, d’autant plus qu’il est prévu en même temps une forte hausse du Produit Intérieur Brut de 47% donc de l’activité. Ce scénario, qui n’a décidément peur de rien, est également le seul à prétendre qu’on puisse atteindre 100% d’énergie renouvelable en 2050, mais aucun détail technique ne précise par quel miracle.
D’autres scénarios plus sérieux existent heureusement :
- L’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie (Ademe, 2013), préconise dans son scénario "médian", pour diviser par 4 les rejets de gaz à effet de serre en 2050, une baisse de 47% de la consommation d’énergie finale. Les énergies renouvelables fourniraient alors 55% des besoins, le reste étant assuré par le pétrole, le gaz et le nucléaire. Ces sources d’énergie auraient donc un rôle non négligeable malgré une baisse importante de la consommation.
- L'Agence Nationale pour la Coordination de la Recherche pour l'Energie (Ancre, 2013) qui coordonne des organismes publics nationaux de recherche, a publié 3 scénarios permettant de diviser par 4 les rejets de CO2 : tout en développant largement les énergies renouvelables et sans sortir du nucléaire, les baisses de consommation d'énergie finale iraient de 27 à 41% grâce à des efforts soutenus d'efficacité énergétique. L'Ancre souligne que le facteur 4 ne pourra être atteint qu'avec des efforts importants et le recours à des technologies de rupture (stockage du CO2, stockage électrique, cogénération nucléaire..).
- Le scénario Negatep (C. Acket, P. Bacher 2014), de l'association "Sauvons Le Climat", prévoit une division par 4 des rejets de CO2 malgré une baisse de seulement 18% de la consommation d'énergie finale. Les énergies fossiles seraient très largement remplacées par les énergies renouvelables (+150%) et nucléaire (+46%) capables de produire de l'électricité décarbonée dont la production augmenterait de 61%. Ce scénario préconise donc d’augmenter le rôle de l’électricité puisqu’elle peut être produite sans émissions de CO2, en particulier avec le nucléaire.
On constate qu'aucun scénario ne prétend qu'il soit possible de remplacer les énergies fossiles et nucléaires par des renouvelables sans diminuer beaucoup la consommation.
Au regard des différents scénarios, il semble que le potentiel de production des énergies renouvelables soit, avec les technologies actuelles, d’environ 40% de la consommation d’énergie française. Tous les scénarios préconisent une baisse non négligeable de la consommation d'énergie malgré une hausse de la population. Ils reposent en grande partie sur l'efficacité énergétique dont l'importance est donc cruciale.
2.Baisser la consommation d’énergie sera très compliqué
Les 2 leviers permettant de diminuer la consommation sont l’efficacité et la sobriété énergétique.
2.1. Les limites physiques de l’efficacité
Pour réduire le besoin d’énergie, le levier « efficacité » fait l’unanimité puisqu’il s’agir de consommer moins à service rendu égal grâce à la technologie. Il parait difficile d’évaluer précisément les gains potentiels de l’efficacité tant les technologies et applications énergivores sont nombreuses et variées. Il convient toutefois de rappeler qu’il existe des limites physiques à l’efficacité.
L'énergie sert essentiellement à mettre des masses en mouvement, produire de la chaleur ou du froid, créer de la lumière, modifier la composition chimique, et de plus en plus, à alimenter des appareils électroniques. La nourriture est également une forme d'énergie.
Les lois de la physique impliquent la conservation de l'énergie. Cela signifie que la quantité d'énergie qui sort d'un système est forcément égale à la quantité qui y rentre. On ne peut donc que transformer l'énergie et non en créer. L’énergie libre, qui apparaitrait par miracle, est un mythe. Concrètement l'énergie consommée par un système finit toujours soit directement, soit indirectement, par se transformer en chaleur qui se disperse (par exemple un moteur transforme de l'énergie en mouvement de pièces mécaniques, puis les frottements créent de la chaleur). Une quantité d'énergie correspond donc à une quantité de chaleur potentielle.
Les lois de la physique impliquent que certaines actions ne sont pas possibles sans une certaine quantité d'énergie. Voici quelques exemples :
- Pour élever une masse M (en kg) d'une hauteur h (en mètres), la quantité d'énergie E (en Joules) nécessaire se calcule par la relation E=Mgh (g étant l'accélération due à la pesanteur égale à 9.8ms-2 sur terre). Ainsi un ascenseur qui doit élever de 50m une charge de 1000kg a besoin de 490000Joules, soit 136Wh (Watts-heures) pour un système parfait sans pertes (1Wh=3600J).
- Pour mettre en mouvement une masse M (en kg) à la vitesse v (en mètres par secondes), il faut une énergie E=0.5mv². Ainsi pour amener à la vitesse de 27.77m/s (100km/h) un véhicule de 1000kg, il faut une énergie de 385600Joules, soit 107Wh ce qui correspond approximativement à 0.01 litres d’essence.
- Pour élever une masse M (en kg) de chaleur massique c (constante liée au matériau) d’une température θ (en degrés), il faut une énergie E=Mcθ. Ainsi pour faire bouillir 2 litres d’eau en partant de 20°, l’énergie nécessaire est de 669600Joules (pour l'eau c=4185J/kg/K), soit 186Wh.
En réalité les quantités d’énergie nécessaires sont nettement supérieures car il y a toujours des pertes. Ce sont ces pertes que l’efficacité énergétique tente de minimiser. Par exemple pour faire bouillir de l’eau il est simple de mettre un couvercle sur la casserole de manière à minimiser les échanges de chaleur entre l’intérieur et l’extérieur. Mais il physiquement est impossible de descendre en dessous des seuils précédents.
L’efficacité énergétique peut aussi consister à essayer de réutiliser l’énergie stockée : par exemple lors de la descente de l’ascenseur il est théoriquement possible que le moteur électrique renvoie de l’électricité au réseau. Lors de la décélération les véhicules hybrides renvoient de l’énergie dans des batteries. Mais il y a forcément, là encore, des pertes impossibles à éviter.
Pour maintenir une masse à vitesse constante dans le vide il n’est pas nécessaire d’apporter de l’énergie. Mais dans le cas d’un véhicule sur terre, les frottements de l’air, des pneus et de la mécanique sont inévitables. L’efficacité énergétique peut dans ce cas consister à minimiser les frottements de l’air grâce à un aérodynamisme optimal. Mais optimal ne signifiera jamais parfait
Pour maintenir un bâtiment parfaitement isolé à une température constante il ne faut pas d’énergie. Mais un isolant, même très performant, n’est jamais parfait si bien qu’il faut toujours une quantité d’énergie, aussi minimale soit elle, pour compenser les échanges de chaleur entre un bâtiment et l’extérieur. Il est vrai qu’il est assez aisé de gagner beaucoup d’énergie en plaçant, par exemple, de l’isolant dans les combles d’un bâtiment. Mais plus on progresse et plus il est difficile de progresser. Dans tous les cas il reste forcément des pertes qui doivent, par temps froid, être compensées par des apports solaires, la chaleur dégagée par les appareils ou les habitants, ou par un système de chauffage.
Les lampes à incandescence traditionnelles dont l’efficacité ne dépassait pas 15 Lumens par Watt (lm/W) sont maintenant interdites pour être remplacées par des lampes fluo-compactes ou à LED dont l’efficacité peut atteindre 100lm/W. La différence est notable mais le potentiel d'économies n'est pas énorme : l'économie prévue en 2016 d'environ 8Twh (Convention sur le retrait de la vente des ampoules à incandescence, 2008) représente moins de 0.5% de la consommation d'énergie française. Dans l'avenir, les technologies ne pourront pas toujours progresser car il existe une limite physique de 200lm/W au dessus de laquelle on ne peut pas produire de lumière blanche. De plus la moindre consommation de ces lampes est physiquement liée à un moindre dégagement de chaleur, une partie des économies est donc annulée par un besoin supplémentaire de chauffage.
D’importants progrès en efficacité énergétique ont été faits à la suite des chocs pétroliers de 1974 et 1979. Ainsi la consommation moyenne des véhicules a beaucoup baissé depuis 30 ans grâce à des moteurs plus performants. De même l’isolation des bâtiments, bien qu'encore insuffisante, a considérablement évolué depuis les années 70. L’efficacité énergétique n’est pas nouvelle. Par exemple en éclairage extérieur on utilise depuis longtemps, quand c’est possible, des lampes au sodium basse pression dont l’efficacité approche 200lm/W. Un autre exemple est celui d’un moteur électrique industriel de puissance 110kW : son rendement normalisé est d’au moins 93.3%, ce qui signifie que les pertes que l’on peut tenter de minimiser représentent moins de 7% de l’énergie consommée. Les gains les plus faciles ont donc déjà été faits ou sont en voie de l’être et l’amélioration aura ses limites. En témoigne la figure 2 qui représente l’évolution de la consommation moyenne de fuel des nouveaux avions de 1960 à 2008 : la consommation a beaucoup baissée dans les années 60 et 80, elle stagne depuis 2000.
- Figure 2
- Figure 2 : Evolution de la consommation moyenne de fuel des nouveaux avions de 1960 à 2008 (D. Rutherford, M. Zeinali, « Efficiency trends for new commercial jet aicraft », International Council on Clean Transportation, 2009)
De plus les gains d’efficacité énergétique sont souvent atténués voire annulés par l’effet rebond. « Les gains énergétiques permis par l’évolution technologique des écrans d’ordinateur et de télévision ont été réduits à néant en raison de l’accroissement concomitant de la taille des écrans » (C. Jouanno, 2008). L’augmentation de la population et de l’activité économique ont contribué ces dernières décennies à une hausse de la consommation de carburants routiers bien que la consommation par véhicule ait considérablement baissé. De même s’il est tout à fait positif que les nouveaux logements soient « basse consommation », il ne faut pas oublier que chaque nouveau logement représente une consommation supplémentaire, au moins lors de sa construction.
Toutes ces considérations amènent à penser que, si l'efficacité énergétique est utile et indispensable, elle ne sera pas suffisante. Pour réellement baisser la consommation d'énergie, il est nécessaire de modifier l'usage que l'on fait des appareils consommateurs.
2.2. Sobriété énergétique, problèmes et conséquences
La sobriété énergétique qui consiste à privilégier les usages les plus utiles de l’énergie, « restreindre les plus extravagants et supprimer les plus nuisibles » (Negawatt, 2011), suppose de définir quels sont les usages utiles et les nuisibles. Est-il "utile" d’aller une journée à la mer, de partir en vacances, d'assister à des spectacles culturels ou des rencontres sportives ? Il est clair que tout le monde ne sera pas du même avis.
Si les êtres humains se sont mis à domestiquer le feu, utiliser la force des animaux, construire des bateaux à voile ou des moulins à vent, ce n'était pas pour faire augmenter le PIB, faire plaisir à des actionnaires ou céder à la pression de lobbies, mais parce que cette utilisation d’énergie leur facilitait la vie. Un monde dans lequel l’énergie est rare est plus contraignant qu’un monde dans lequel l’énergie est abondante.
Pour consommer moins il faut souvent investir dans des technologies plus complexes nécessitant plus de matériaux, de mise en œuvre, et même d’énergie. L’isolation d’un logement est un bon exemple : s’il est sans doute possible d’amortir financièrement les travaux d’isolation, il n’empêche qu’ils nécessitent des matériaux supplémentaires à fabriquer et transporter ainsi que de la main d’œuvre. Il est donc plus compliqué (donc, en clair, plus cher) de se loger dans un monde où l’énergie est rare que dans un monde où l’énergie est abondante et où l'on pouvait se permettre une construction simple sans se soucier de la consommation. Bon nombre de gens ont déjà bien des difficultés pour se loger, la raréfaction de l’énergie ne va rien arranger.
Cet exemple simple est transposable à de nombreux secteurs fondamentaux dans la vie humaine : avec moins d'énergie il sera plus complexe de se nourrir (l’agriculture, la conservation et la cuisson des aliments sont très dépendantes de l’énergie), de se déplacer, ou de se soigner (un hôpital est très consommateur d’énergie).
La figure 3, que j’ai tracée à partir des statistiques de la CIA World Factbook et de la banque mondiale, montre l’espérance de vie en fonction de la consommation d’énergie finale par habitant de 145 pays. On voit qu’au delà d’un certain seuil de consommation l’espérance de vie n’augmente plus et on peut parler de gaspillage. Mais on constate également qu’on ne vit pas longtemps là où on consomme peu. A l'heure actuelle le développement est lié à l’énergie.
- Figure 3
- Espérance de vie en fonction de la consommation d’énergie primaire par habitant de différents pays.
Le Produit Intérieur Brut mesure la production de richesses révélatrice du niveau de vie. Même si cet indicateur est contestable, l’immense majorité des politiques recherche sa hausse. D’après les économistes G. Giraud et Z. Kahraman (2014), la contribution de l’énergie primaire à la croissance du PIB par habitant est de 60%, en témoigne la figure 4 qui montre bien la corrélation entre PIB et énergie. Jusqu’ici la croissance économique n’a jamais été conjuguée à une baisse de la consommation d’énergie, et il paraît peu probable que cela arrive au regard de la figure 5 qui montre l’évolution de l’intensité énergétique finale de la France depuis 1970, c’est à dire la consommation d’énergie divisée par le PIB. Il apparait clairement qu’elle a beaucoup diminué mais la diminution est de moins en moins rapide au fils des années. La croissance économique parait donc impossible si la consommation d'énergie décroit.
- Figure 4
- Evolution du PIB mondial, de la consommation d’énergie et de pétrole (G. Giraud et Z. Kahraman)
- Figure 5
- Evolution de l’intensité énergétique finale de la France de 1970 à 2011 (Direction générale de l’énergie et du climat, Rapport sur l’industrie en 2011).
Un rapport du programme des Nations Unies pour l’Environnement (M. Fischer-Kowalski , M. Swilling, 2011) indique qu’un scénario permettant seulement de stabiliser la consommation mondiale d’énergie et de diminuer de 40% les émissions de gaz à effet de serre comporterait tant de restrictions et rebuterait tellement les décideurs politiques qu’il peut difficilement être envisagé comme un objectif stratégique.
Conclusion, perspectives
Aucun scénario de transition énergétique ne prétend qu’il soit possible de remplacer les énergies fossiles et nucléaires par les énergies renouvelables. Tous les scénarios font appel à une réduction importante de la consommation d’énergie.
Le levier de l’efficacité énergétique fait l’unanimité puisqu’il s’agit de consommer moins à service rendu égal. Les lois physiques incontournables et l’histoire récente des évolutions technologiques montrent que ce levier nécessaire sera insuffisant.
La sobriété énergétique est beaucoup plus complexe à développer car elle implique des changements considérables de modes de vie et d’organisation de la société. La consommation d’énergie a permis de remplacer les hommes par des machines et de tertiariser l’économie. Moins d’énergie signifie moins de transports, moins de machines et moins de chaleur, donc probablement plus de travail (peut être moins de chomeurs, mais surement des travailleurs plus pauvres), de tâches ingrates, moins de confort, de nourriture, de logements, de soins médicaux, voire de culture, d’éducation et de développement.
Certes des innovations technologiques pourraient voir le jour et modifier la donne. Mais elles ne changeront pas les limites physiques et, à l’heure actuelle, on ne perçoit pas quelle technologie miraculeuse pourrait être prête suffisamment rapidement. Il y a urgence !
Il est clair que l’augmentation de la population amplifiera les problèmes et qu’il faut cesser de penser que la démographie entraîne la croissance et l’amélioration des conditions de vie. L’augmentation de la population oblige au contraire à partager des ressources limitées en un nombre plus grand d’êtres humains (D. Meadows, D. Meadows, J. Randers, 2004).
Trois possibilités s’offrent aux politiques :
- manquer d’énergie. Cela nécessite une réorganisation complète de la société qui sera bien difficile à faire accepter à la population. Certains parlent d’une société plus simple, je dirais plutôt une société plus pauvre. Il paraît peu probable que des politiques puissent être élus démocratiquement en préconisant la sobriété. Le risque de famines, de révoltes et de guerres n’est pas à exclure tant les conséquences économiques et sociales peuvent être importantes.
- continuer à exploiter les énergies fossiles, le charbon et les gaz de schiste en particulier puisque les ressources existent, donc amplifier la pollution et le réchauffement climatique avec des conséquences telles que maladies respiratoires, famines, inondations, tempêtes...
- développer le nucléaire. Les inconvénients du nucléaire, en particulier les déchets et le risque de catastrophe, sont très médiatisés et font souvent plus peur que ceux du manque d’énergie ou des énergies fossiles. Pourtant, au regard des inconvénients des deux premières possibilités, le rapport bénéfice/risque lui est clairement favorable. La pollution sous formes de déchets concentrés, emballés, confinés, connus, maitrisés à longue durée de vie est largement préférable à la pollution dispersée incontrôlée et à durée infinie des énergies fossiles. Certes le risque d’une nouvelle catastrophe nucléaire ne peut pas être exclu. Tchernobyl a peut-être fait quelques milliers de morts (Organisation Mondiale de la Santé, 2006) pendant que le charbon tue des centaines de milliers de personnes chaque année. La catastrophe nucléaire de Fukushima n’a tué directement que quelques personnes, et les rejets radioactifs auront un impact plus faible sur la santé que bien des pollutions chimiques, à replacer dans le contexte d’un séisme et d’un tsunami qui ont tué des milliers de personnes et envoyé des tonnes de polluants dans la mer. Ce séisme a d’ailleurs entrainé la rupture du barrage hydraulique de Fujinuma causant plusieurs morts, et personne ne demande l’arrêt de la production d’électricité par barrage. Celui des Trois Gorges en chine a nécessité l’évacuation de plus de 10 fois plus de personnes qu’à Fukushima.
Bref, le nucléaire tuera moins que les énergies fossiles et que le manque d’énergie. La figure 6, qui résulte des travaux des chercheurs Rabl et Spadaro, spécialistes en impacts environnementaux, compare les années de vie que font perdre chaque source d’énergie par rapport à leur production : la conclusion est claire. On peut faire un parallèle avec la comparaison entre les moyens de transport : l’avion fait plus peur que les autres moyens, c’est pourtant le plus sûr.
Certes les ressources en uranium ne sont pas illimitées, mais d’autres techniques telles la surgénération peuvent fournir de l’énergie pendant des milliers d’années.
Certes le nucléaire ne pourra pas être développé partout à un rythme suffisant pour fournir dans les décennies à venir toute l’énergie manquante. Les problèmes seront immenses avec ou sans nucléaire et il faut s'y préparer. Mais le nucléaire permettra de limiter les dégâts. Le nucléaire n’est pas une solution miracle aux immenses problèmes évoqués, c’est une possibilité qui présente moins d’inconvénients que les autres, qui permettra de moins manquer d’énergie et de moins recourir aux énergies fossiles
Bibliographie
Heinberg R., 2005, « Pétrole la fête est finie, avenir des sociétés industrielles après le pic pétrolier », collection Résistances.
Jancovici J.M., Grandjean A., 2006, « Le plein s'il vous plait », éditions du Seuil.
Commissariat Général au Développement Durable, Ministère de l’Ecologie du Développement Durable et de l’Energie, 2013, « Chiffres Clés de l’Energie ».
Association Negawatt, 2011, « Scenario Negawatt 2011 ».
Greenpeace, 2013, « Scénario de transition énergétique ».
Rifkin J., 2012, « La troisième Révolution Industrielle », Editions Broché.
Conseil Régional Nord-Pas de Calais, 2013, « Master plan de Troisième Révolution Industrielle de la région Nord-Pas de Calais ».
ADEME, 2013, « Contribution de l'ADEME à l'élaboration de visions énergétiques 2030-2050 - Synthèse avec évaluation macro-économique ».
ANCRE, 2013, « Scénarios de l'ANCRE pour la transition énergétique ».
Acket C., Bacher P., 2014, « Diviser par quatre les rejets de CO2 dus à l'énergie : le scénario Negatep ».
Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, 2008, « Convention sur le retrait de la vente des ampoules à incandescence et la promotion des lampes basse consommation ».
Jouanno C., 2008, « L'efficacité énergétique dans l'Union Européenne : panorama des politiques et des bonnes pratiques ». Service Observation, Economie et Evaluation de l'ADEME, pp. 1-52.
Giraud G, Kahraman Z., 2014, « How Dependent is Output Growth from Primary Energy ? », Séminaire de l'école d'économie de Paris organisé avec le concours du Commissariat Général au Développement Durable.
Rutherford D., Zeinali M., 2009, « Efficiency trends for new commercial jet aicraft », International Council on Clean Transportation.
Fischer-Kowalski M., Swilling M., 2011, « Decoupling natural resource use and environmental impacts from economic growth », United Nations Environment Program.
Meadows D., Meadows D., Randers J., 2004, « The limits to Growth, the 30 year update », Editions Broché.
ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE, 2006, « Effets sanitaires de l’accident de Tchernobyl », http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs303/fr/.
Rabl A & JV Spadaro, 2001, « Les coûts externes de l’électricité », Revue de l’Energie, No.525, mars-avril 2001, p.151-163.
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