Est-ce un mouvement passager dans l’opinion publique, ou cela se transformera-t-il en option durable ? Peu importe le résultat du 23 janvier, Stephen Harper, l’actuel dirigeant du PCC, aura accompli sa mission. Il aura réussi à faire oublier qui il est réellement. Il aura réussi à se faire passer pour un homme de centre, modéré et qui a à coeur l’intérêt des Canadiens, d’un océan à l’autre. Il aura réussi à faire oublier les fantômes de l’Alliance canadienne, son ancien parti de droite, pour plutôt voguer sur les flots historiques canadiens qui font que, depuis 1867, un gouvernement conservateur vient diriger le pays pendant un mandat de temps en temps, entre quelques mandats libéraux.
Une chose est certaine : ceux qui, à la dernière minute, auront décidé d’appuyer les conservateurs par dépit, par simple volonté de changement, par rejet des libéraux, par volonté (compréhensible) de mettre un frein à la corruption libérale, ou par conviction que Stephen Harper saura régler la question de l’unité nationale, alors ceux-là risquent fort de déchanter peu de temps après la prise du pouvoir par les conservateurs.
Cette désillusion et ce regret risquent de se manifester en de nombreuses occasions :
- Lorsque Stephen Harper ira faire sa première visite officielle à l’étranger, aux États-Unis, et quand, avec le sourire fier du pro-Bush qu’il est, il serrera la main du président américain et lui exprimera la "volonté des Canadiens" de rétablir les ponts, et le regret des Canadiens pour les gestes posés par les précédents gouvernements Chrétien et Martin envers les États-Unis
- Lorsque, peu de temps après sa prise de pouvoir, Harper annoncera son intention de se retirer du protocole de Kyoto. Le Canada deviendra ainsi le premier pays à faire marche arrière dans la lutte contre les changements climatiques. Cela enverra un message clair au reste du monde : l’économie, c’est beaucoup plus important que le reste pour les Canadiens
- Lorsque Stephen Harper annoncera sa décision de participer à la mise sur pied du bouclier antimissiles conjointement avec les États-Unis, et de participer financièrement au projet en subventionnant les multinationales américaines responsables du projet (Boeing, Lockheed Martin, Raytheon, Northrup Grumman, etc.)
- Lorsque Stephen Harper commencera à dire que finalement, la guerre en Irak, ce n’était pas une si mauvaise idée, et que, peut-être, le Canada devrait davantage appuyer nos amis les Américains pour mettre fin à cette guerre
- Lorsqu’on se rendra compte que le discours de Harper sur les terroristes, sur le Bien et le Mal, et sur les "sacrifices" des soldats canadiens est calqué sur la rhétorique religieuse de George W. Bush
- Lorsque le Canada réapparaîtra sur la liste des cibles prioritaires pour al-Qaïda et pour les autres groupes terroristes
- Lorsque les conservateurs détruiront le registre national des armes à feu, permettant ainsi aux armes de circuler plus librement et de tomber entre de mauvaises mains
- Lorsque, pour préserver les bonnes relations avec les États-Unis, Harper refusera de trop insister sur la question du conflit du bois-d’oeuvre et sur les millions de dollars que doivent les entreprises américaines aux Canadiens
- Lorsque des députés conservateurs d’arrière-banc commenceront à parler de réduire l’avortement et à débattre sur la pertinence de la peine de mort
- Lorsque les conservateurs tiendront un vote libre sur la question du mariage entre conjoints de même sexe, et que les homosexuels seront privés de ce droit chèrement acquis
- Lorsque les conservateurs promulgueront leurs premières lois permettant à la justice de juger des criminels de 14 ou 16 ans en adultes et d’infliger des peines à perpétuité à des adolescents
- Lorsque les conservateurs décideront de resserrer les critères déjà très stricts pour le choix et l’accueil des immigrants
- Lorsque les conservateurs bloqueront les tentatives pour décriminaliser la possession de marijuana et que les peines seront ajustées plus sévèrement pour les consommateurs domestiques
- Lorsque les conservateurs déclareront illégal le centre d’injection supervisé de Vancouver, ce centre qui aide pourtant des centaines de toxicomanes à se sortir de l’enfer des drogues dures
- Lorsqu’on se rappellera que le dernier gouvernement conservateur avait, lui aussi, baigné dans des scandales de corruption
- Lorsque les conservateurs allègeront les lois sur le lobbyisme et sur les contributions financières aux caisses des partis, permettant ainsi un plus grand copinage entre les politiciens et les gens d’affaires
- Lorsque les conservateurs négocieront des ententes sur la santé avec les provinces en fonction de leur volonté d’ouvrir la porte ou non à la privatisation
- Lorsqu’on se rendra compte que la plupart des politiques des conservateurs visent à améliorer le sort des grandes corporations, notamment en allégeant leur fardeau fiscal, et que la plupart de leurs politiques seront calquées sur le modèle néolibéral thatchérien et sur les recommandations de l’Institut Fraser et de l’Institut économique de Montréal, deux think tanks néolibéraux
- Lorsque les Québécois se rendront compte qu’ils ne sont pas entendus à Ottawa et que les rares députés au pouvoir disposent d’une très faible influence au sein du parti ; lorsque Harper répondra maladroitement aux questions des journalistes québécois à cause des dfficultés qu’il éprouve à parler et à comprendre la langue de Molière
- Lorsque Harper se montrera très peu ouvert à un démarrage de négociations sur la Constitution, à une réintégration du Québec au sein de cette Constitution, et à une reconnaissance du Québec comme société distincte
- Lorsque André Boisclair, le chef du Parti Québecois (le principal parti indépendantiste au Québec) enclenchera le processus référendaire et que Harper et ses deux ou trois députés québécois seront incapables de bien communiquer leur message, de convaincre les Québécois d’adhérer à leurs valeurs et de rester au Canada, et qu’il feront ainsi bien piètre figure face aux talentueux communicateurs que sont les dirigeants du mouvement souverainiste