Droite, Gauche, Libéralisme, Socialisme : grilles de lecture de l’histoire des idées politiques depuis la Révolution Française
A part quelques adeptes du solipsisme, tout le monde peut s’accorder sur le fait que les évènements qui se produisent dans la réalité matérielle – les « phénomènes », pour reprendre la terminologie kantienne - sont descriptibles de façon objective (ainsi, le fait de savoir si une porte est ouverte ou fermée ne prête normalement pas à débat). En revanche, l’interprétation qui peut être faite de ces évènements – c’est-à-dire leur intégration dans un modèle de représentation qui leur donne sens – est source d’inépuisables polémiques entre les partisans de différentes idéologies. C’est sans doute dans le domaine des idées politiques que cette ambiguïté interprétative est la plus aigüe, une même série d’évènements phénoménaux donnant lieu à des interprétations idéologiques tout à fait différentes, si ce n’est opposées. Cet article a pour objet d’illustrer cette problématique en présentant quelques modèles explicatifs des évènements politiques survenus depuis la Révolution Française, et l’interprétation que l’on peut donner aux concepts de « Droite », « Gauche », « Libéralisme » et « Socialisme ».
Premier modèle : le Républicanisme de gauche
Ce premier modèle explicatif correspond peu ou prou à l’historiographie officielle telle qu’elle a pu être enseignées dans les livres d’histoires depuis la 3ième République. On peut résumer cette grille de lecture de la façon suivante.
Avant la Révolution, la France était plongée dans un âge sombre de superstitions, de famines, d’épidémies et d’invasions barbares. La population paysanne vivait dans un état constant d’insécurité et de misère, ployant sous le joug de seigneurs cruels et prévaricateurs, avec la bénédiction de l’Eglise inquisitrice et de Rois fainéants et décadents.
A l’époque de la Renaissance, un certain nombre de Philosophes se sont élevés contre ce système injuste, appelant de leurs vœux une société guidée par la Raison encyclopédique et la Tolérance voltairienne, garantissant la Liberté et l’Egalité à l’ensemble des citoyens. Sous l’impulsion de cette Philosophie des Lumières, le peuple, réduit au désespoir par l’oppression de la Noblesse et du Clergé, s’est soulevé pour renverser la Monarchie, abolissant les privilèges et instaurant une République démocratique et laïque.
Après une série de coups d’état réactionnaires (Empire, Restauration…), la Démocratie s’est imposée définitivement avec la 3ième République de Gambetta, de Jules Ferry et de la Loi de 1901. Sous l’impulsion de cette République de gauche, la France est entrée de plein pied dans la modernité et le progrès, s’engageant dans une série de conquêtes sociales (retraite, sécurité sociale, temps de travail…) et de grandes réformes humanistes (abolition de l’esclavage et de la peine de mort, vote des femmes, légalisation de l’avortement…).
La République reste néanmoins menacée par les forces conservatrices de droite, manifestation du Capitalisme bourgeois et catholique qui sera à l’origine des mouvements fascistes du XXe siècle. Heureusement, l’élite anticapitaliste et antifasciste de gauche, héritière de l’esprit des Lumières, est là pour veiller à ce que ces forces réactionnaires n’entravent pas la marche du Progrès.
Deuxième modèle : le Libéralisme de droite
Une autre grille de lecture rigoureusement opposée est toutefois proposée par ceux qu’on pourrait appeler les « Libéraux de droite », et dont une bonne illustration peut être trouvée chez Hayek (La Route de la Servitude) ou Karl Popper (La Société ouverte et ses Ennemis). On peut résumer ce schéma explicatif de la façon suivante.
Si la Monarchie ne fut pas un régime aussi terrible que la propagande républicaine veut bien le dire, il n’en reste pas moins que le peuple aspirait effectivement à davantage de liberté, notamment en matière de commerce et de participation aux décisions politiques. C’est dans ce contexte qu’émergea le courant de la philosophie libérale, issue pour une bonne partie de la scolastique médiévale (Ecole de Salamanque, Nominalisme…), voyant dans l’individualisme et la liberté d’entreprise les meilleurs garants de la prospérité et de la paix sociale, conformément au principe de la « Main Invisible » théorisé par Adam Smith. Cette pensée des Lumières fut à l’origine de la Révolution Française de 1789 (de même que des révolutions américaines, anglaises et néerlandaises) qui devait voir émerger le modèle de la Démocratie libérale.
Mais un groupe de révolutionnaires extrémistes, inspirés par Rousseau, provoqua une seconde révolution, celle, jacobine, de 1793, qui devait conduire à la Terreur. Les héritiers des Jacobins, nostalgiques des sociétés holistes du passé, se retrouvèrent par la suite au sein des différents courants dits « de gauche », Socialisme, Marxisme ou Communisme. La Gauche s’oppose farouchement aux libertés individuelles et aux aspirations démocratiques du peuple ; lorsqu’elle est au pouvoir, c’est pour élever tous les obstacles possibles à la libre entreprise (normes et réglementations, fiscalité, prélèvements sociaux…), quand ce ne fut pas pour se lancer dans le projet millénariste et totalitaire d’ « Homme nouveau » à l’œuvre dans le Communisme stalinien et ses rejetons tiers-mondistes (Khmers rouges, Chine maoïste, Cuba…) – projet que l’on retrouve insidieusement à l’origine des différentes réformes sociétales menées par des gouvernements socialistes (avortement, réforme de l’Ecole, mariage-pour-tous, bientôt GPA…).
Il est donc urgent de sortir de cette idéologie gauchiste totalitaire pour revenir aux saines valeurs philosophiques et économiques de la Droite libérale et démocratique, porteuses de l’esprit progressiste des Lumières, garante de la liberté individuelle, de la croissance économique et de la prospérité optimale de la société.
Troisième modèle : « 1789 » contre « 1793 »
Ces deux premiers modèles canoniques, on le voit, s’opposent dialectiquement sur les principales interprétations données aux évènements : chacun des 2 camps – Gauche républicaine, Droite libérale – se considère ainsi comme le camp du Progrès, revendiquant l’héritage des Lumières et accusant l’autre camp, par nostalgie du passé, d’être à l’origine du Totalitarisme (insistant bien entendu davantage sur le Totalitarisme qui l’arrange – Fascisme pour la Gauche, Communisme pour la Droite). Sauf à donner raison entièrement à l’un ou à l’autre, il apparaît clairement que ces modèles ne sont pas pertinents.
Il existe néanmoins une version plus sophistiquée du modèle libéral, que l’on trouve en particulier dans l’ouvrage de Philippe Némo Les Deux Républiques françaises, de nature à expliquer de façon plus satisfaisante ces rapports apparemment contradictoires entre Libéralisme, Progrès, Droite et Gauche. Selon cette variante, au moment de la Révolution française, ce furent non pas 2 mais 3 camps qui se formèrent : (1) les Conservateurs, monarchistes et catholiques, (2) les Libéraux, héritiers des Lumières et inspirateurs de la Révolution de 1789, et (3) les Jacobins, à l’origine de la deuxième Révolution de 1793 et précurseurs des mouvements socialistes du XIXe siècle. Dans cette perspective, le Libéralisme représente en quelque sorte une voie centrale raisonnable, mais exposée au risque d’être dépassés par les deux extrêmes anti-libéraux que sont le Conservatisme et le Socialisme.
Ce tripartisme idéologique va néanmoins être brouillé par deux évènements successifs survenus au cours du XIXe siècle. Le premier évènement est le ralliement d’une partie du camp monarchiste conservateur au Libéralisme économique et politique de « 1789 » (les guillemets sont de Philippe Némo dans le sens où cette date représente pour lui un idéaltype idéologique), ce qui donnera naissance au courant orléaniste dont la Droit libérale actuelle est l’héritière directe. Le deuxième évènement fut, au moment de l’affaire Dreyfus, la scission du camp anti-libéral issu de « 1793 » (idem) : une partie de ce camp choisira en effet tactiquement le dreyfusisme, se ralliant à la République pour former ce qu’on appelle aujourd’hui l’ « Extrême-gauche », tandis que l’autre partie, par nationalisme et refus de l’anticléricalisme, optera pour l’antidreyfusisme, formant avec une partie du camp conservateur l’ « Extrême-droite » actuelle. Mais, simultanément, le camp libéral issu de « 1789 » va lui aussi se scinder en 2, une partie acceptant l’alliance avec l’Extrême-gauche pour former le « Bloc des gauches », tandis que l’autre partie s’opposera à cette alliance et rejoindra la Droite orléaniste et l’Extrême-droite anti-libérale pour former un « Anti-bloc ».
Cette grille de lecture permet de répondre à la principale contradiction des 2 premiers modèles : elle montre en effet que l’héritage libéral des Lumières, à l’origine ni « de droite » ni « de gauche », se retrouve à la fois dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « Droite » et la « Gauche ». Chacun de ces camps politiques est ainsi constitué d’une alliance en quelque sorte contre nature entre des Libéraux et des Anti-libéraux, les Libéraux de chaque camp ayant été obligé par les circonstances de passer certains compromis avec les tenants de l’Antilibéralisme (à Droite, sur le maintien d’un Etat autoritaire, à Gauche, sur une forme d’anticapitalisme et d’utopisme sociétal).
Mais il résulte également de cette grille de lecture qu’Extrême-droite et Extrême-gauche, loin d’être irréductiblement opposées, proviennent en fait de la même matrice idéologique anti-libérale issue de « 1793 ». C’est la réunion de ce camp lui aussi séparés par les aléas de l’histoire qui sera à l’origine du Fascisme (thèse de Zeev Sternhell ou du Bernard-Henri Levy de l’Idéologie française, faisant du Cercle Proudhon – cet éphémère rapprochement entre le Syndicalisme révolutionnaire de George Sorel et l’Alliance Française de Charles Maurras – la matrice du Fascisme) ; mais également du Communisme, le « Socialisme dans un seul pays » voulu par Staline revenant finalement exactement au même que le « National-socialisme » d’Hitler. Cette lecture d’un Fascisme « rouge-brun » permet du même coup d’expliquer le rapprochement, incompréhensible dans les 2 modèles interprétatifs précédents, entre les 2 régimes totalitaires du XXe siècle (Pacte Molotov-Ribbentrop), ainsi que les nombreuses passerelles qui existèrent entre ces 2 extrêmes avant, pendant et après la Seconde Guerre Mondiale…
Quatrième modèle : le Socialisme de la 3ième voie
Ce troisième modèle, tout aussi astucieux qu’il soit, partage néanmoins avec le précédent la conviction que le Libéralisme est fondamentalement positif sur le plan politiques et économiques, mais qu’en matière de mœurs, un certain conservatisme est préférable au « Libertarisme » sociétal. Cette position intellectuelle, qui préserve encore les concepts de « Droite » et de « Gauche » sur le plan sociétal, est néanmoins profondément remise en cause par un quatrième modèle que nous allons examiner à présent.
Ce modèle, dont on trouvera la meilleure illustration dans les ouvrages de Jean-Claude Michéa, se rapproche d’une certaine façon du précédent quant à la structuration de sa grille d’interprétation, mais inverse radicalement l’échelle de valeurs permettant de juger du Libéralisme et de l’Antilibéralisme. Selon ce modèle, au moment de la Révolution française, 2 camps se formèrent dans un premier temps : (1) les Conservateurs monarchistes, formant la « Droite » (de par leur position à l’Assemblée constituante, (2) les Libéraux issus de la bourgeoisie et porteurs de l’idéal individualiste et mercantile des Lumières, formant la « Gauche ».
La pensée des Lumières répondait indéniablement à une certaine aspiration du peuple, épris de justice et d’égalité. Néanmoins, il apparut rapidement que le productivisme et le machinisme prônés par le Libéralisme allait se traduire par une dégradation des conditions de vie de la majorité du peuple, et que par ailleurs ce Libéralisme économique ne pouvait aller sans un Libertarisme sociétal visant à la destruction des communautés et des mœurs traditionnelles. C’est de cette recherche d’un équilibre entre adhésion et critique des Lumières qui sera à l’origine du mouvement socialiste. Le Socialisme (terme inventé par Pierre Leroux par opposition à l’individualisme des Lumières) se définit ainsi comme la recherche d’une « 3ième voie » entre Conservatisme et Libéralisme. Les principales idées socialistes, telles qu’elles furent notamment théorisées par Proudhon, sont (i) l’adhésion à l’idéal de liberté et d’égalité des Lumières, mais (ii) l’attachement aux communautés et valeurs morales traditionnelles et (iii) le refus du productivisme et du machinisme capitaliste, considérés comme aliénant l’homme au lieu de le libérer (les premiers mouvements qualifiés de « socialiste » furent ainsi des mouvements anti-machines, que ce soit les Luddites en Angleterre ou les Canuts en France). Ce courant socialiste s’incarnera en particulier au XIXe siècle dans le Syndicalisme révolutionnaire français (Georges Sorel), le Chartisme anglais (inspiré par Robert Owen) ou encore la Révolution conservatrice allemande (Moeller van den Bruck, Spengler, Ernst Jünger…).
Néanmoins, le Socialisme originel disparaîtra quasiment, du moins comme force politique à la suite de deux évènements successifs. Le premier est la prise de pouvoir du courant marxiste au sein de l’Internationale communiste, au détriment du proudhonisme à tendance anarchiste. Or, le Marxisme, s’il partage le constat du Socialisme quant au passé, diffère totalement quant à l’avenir, voyant dans le productivisme et le machinisme la condition du progrès social (le fameux « dépasser le Capitalisme sur les bases du Capitalisme » de Lénine) lorsque les Socialistes originels y voyaient une source d’aliénation. Le deuxième évènement, déjà évoqué dans le précédent modèle, se produisit au moment de l’Affaire Dreyfus. En effet, devant la menace d’un coup d’état de la Droite réactionnaire, le mouvement socialiste va opter pour une alliance de circonstance avec la Gauche libérale, alliance qui se traduira malheureusement par son absorption et sa dissolution dans le Bloc des gauches – dissolution qui s’achèvera sous Robert Hue par l’abandon de « la lutte pour le socialisme » comme projet de société et son remplacement par la « lutte contre les discriminations » (l’Extrême-gauche se préoccupant désormais davantage du sort des minorités ethniques ou sexuelles que de celui de l’ouvrier, indécrottablement « réactionnaire »…).
C’est ainsi que le terme de « socialiste » est devenu quasiment synonyme de « marxiste » et de « libertaire ». Le Socialisme authentique n’existera désormais plus que dans la pensée d’intellectuels comme Georges Orwell, Pier Paolo Pasolini, Albert Camus ou aujourd’hui Jean-Claude Michéa et l’économiste Jacques Sapir. Quant au Conservatisme de droite, il finira par se saborder lui-même au moment de l’affaire du « drapeau blanc » du Comte de Chambord, ne subsistant plus politiquement qu’au travers d’une Extrême-droite maurassienne marginalisée, laissant dès lors l’intégralité du paysage intellectuel et politique français dominé par l’idéologie libérale...
Ce modèle conduit à modifier sensiblement l’interprétation donnée aux évènements par rapport au modèle libéral étudié précédemment. Tout d’abord, il conduit à réaliser – et ce n’est pas le moindre mérite de Michéa que de l’avoir rappelé - que c’est la Gauche, et non la Droite, qui est l’héritière du Libéralisme des Lumières. Le Parti « Socialiste » actuel (pour reprendre les guillemets utilisés systématiquement par Jacques Sapir) n’a ainsi rien à voir avec le Socialisme proudhonien des origines qui, lui, était par nature anti-libéral. Ensuite, il permet de comprendre, comme l’avait déjà montré Michel Clouscard, que le Libéralisme économique attaché à la Droite et le Libertarisme sociétal attaché à la Gauche ne sont que les 2 faces d’une même médaille libérale-libertaire développant la pensée des Lumières. « Droite » et « Gauche » actuelles ne sont finalement que les 2 composantes, séparées par les aléas de l’histoire, d’une même idéologie libérale qui définit historiquement la Gauche. En ce sens, la « Droite » actuelle n’est qu’une sous-catégorie de la Gauche des Lumières – ce qui explique la tendance « sinistrogyre » de cette Droite relevée par Albert Thibaudet, qui conduit ses représentants à refuser cette appartenance et prétendre appartenir à la Gauche (lors des élections présidentielles de 1974 et 1981, seul Jean-Marie Le Pen se déclara « de droite » ; quant à l’élection de 2017, Juppé y est présenté par Libération et Le Figaro comme « le meilleur candidat de la Gauche » !).
Il rejoint en revanche le récit libéral quant au rapprochement entre les « extrêmes ». En effet, dans sa lutte contre les excès du Libéralisme, le Socialisme trouvera ponctuellement des points de convergence avec le camp conservateur, notamment au moment du Cercle Proudhon (lire à ce sujet l’ouvrage d’Alain de Benoist Edouard Berth ou le socialisme héroïque) mais aussi, d’une certaine façon, à l’époque du Conseil National de la Résistance réunissant Communistes et Gaullistes (période qui, comme l’a bien montré Thomas Piketty dans son Capital au XXIe siècle, correspond justement à un recul des inégalités capitalistes). Néanmoins, il porte bien entendu un jugement de valeur inverse sur ce rapprochement, dans lequel il ne voit pas l’origine du Totalitarisme, mais bien au contraire la condition d’un véritable progrès social et moral. Le Totalitarisme, qu’il soit fasciste ou communiste, est au contraire interprété comme une pathologie du Libéralisme, vaine tentative de conserver ou revenir à certaines valeurs morales traditionnelles tout en s’inscrivant dans la même utopie productiviste et matérialiste que le Libéralisme (ce qui explique le soutien dont bénéficia le nazisme de la part des milieux industriels allemands mais aussi américains). Le véritable Fascisme, aujourd’hui, n’est pas dans une Extrême-droite fantasmée, et encore moins dans le Socialisme anti-productiviste, mais, comme le dénonça inlassablement Pasolini (Ecrits Corsaires, 1976), dans la société de consommation libérale… On voit le renversement dialectique opérée par cette grille de lecture : c’est le Libéralisme issu des Lumières qui mène au Totalitarisme, et l’Antilibéralisme socialiste qui, au contraire, est la condition d’une véritable société « décente » (pour reprendre la formule d’Orwell)…
Quatrième modèle bis : la grille de lecture soralienne
La situation actuelle du champ politique et idéologique, telle que découlant de la grille de lecture socialiste, peut être décrite d’une façon simple et claire par la typologie proposée par Alain Soral, consistant à distinguer deux critères, le « Travail » (économie) et les « Valeurs » pouvant être chacun « de droite » ou « de gauche ». Cette typologie permet de définir 4 sous-ensembles idéologiques :
- Gauche des valeurs, Droite du travail : c’est le Libéralisme pur, alliant Libertarisme sociétal et Libéralisme moral, et incarné par le « libéral-libertaire » - figure idéologique qui n’est néanmoins pas véritablement représentée politiquement du fait de l’éclatement du camp libéral entre « Droite libérale » et « Gauche libertaire »).
- Droite des valeurs, Gauche du travail (slogan de l’association d’Alain Soral, « Egalité et Réconciliation ») : c’est l’Antilibéralisme pur, alliant Conservatisme moral et Progressisme social. On peut rapprocher ce sous-ensemble du Socialisme tel que défini ci-dessus, camp qui, depuis l’Affaire Dreyfus, ne dispose pas non plus d’une véritable représentation politique.
- Droite des valeurs, Droite du travail : alliance du Conservatisme moral et du Libéralisme économique, ce sous-ensemble correspond à peu près à ce qu’on a coutume d’appeler le « Néo-conservatisme », tel qu’il existe aux Etats-Unis de la famille Bush et qui serait incarné en France par le Front National de Jean-Marie Le Pen (et par une partie de la Droite qui se reconnaîtrait sous la plume du chroniqueur du Figaro Ivan Rioufol). On peut noter au passage que, selon cette grille d’analyse, le Fascisme serait de même nature que le du Néo-conservatisme, ce qui éclaire d’un jour différent les relations que put entretenir les Etats-Unis avec différentes dictatures libérales type Pinochet (ou aujourd’hui l’Arabie Saoudite).
- Gauche des valeurs, Gauche du travail : alliance d’un Antilibéralisme économique et d’un Libertarisme sociétal, ce sous-ensemble correspond à l’Extrême-gauche trotskyste, anticapitaliste et libertaire (type LCR/NPA…), telle que pourrait la représenter philosophiquement un penseur comme Michel Onfray.
Cette typologie permet de distinguer (i) deux camps cohérents, le Libéralisme libertaire et le Socialisme, dont on peut noter qu’ils ne disposent pas d’une véritable représentation politique, et (ii) deux camps incohérents, le Néo-conservatisme (qui aspire à préserver des valeurs morales que son idéologie économique contribue à saper) et l’Extrême-gauche anticapitaliste (qui veut lutter contre le libéralisme économique sans se rendre compte que ses aspirations sociétales libertaires alimentent ce dernier - ce que se plait à brocarder inlassablement le polémiste Eric Zemmour) qui, eux, disposent d’une représentation politique.
Conclusions et prévisions
La principale conclusion que l’on peut tirer de l’examen de ces différents modèles est que, de toute évidence, les concepts de « Droite » et de « Gauche » ne sont plus adaptés aujourd’hui pour comprendre l’évolution actuelle du champ politique. Cette opposition obsolète devrait être remplacée par celle, beaucoup plus opérative, entre « Libéralisme » et « Antilibéralisme » - sur ce point, Libéraux et Antilibéraux s’accordent de plus en plus.
La deuxième conclusion découle de l’observation que les deux derniers modèles examinés conduisent à formuler à peu près les mêmes prévisions, à savoir une recomposition du champ politique autour de l’antagonisme libéral / antilibéral. Cette recomposition conduirait d’un côté à une reconstitution du camp libéral, réunissant les Libéraux de droite et de gauche. Une évolution qui semble se concrétiser de plus en plus ces dernières années avec le rapprochement de membres de l’UMP comme Juppé et Coppé (se ralliant aux réformes sociétales considérées comme « de gauche ») avec des membres du PS comme Valls ou Macron (ralliés aux réformes économiques considérées comme « de droite »). A l’opposé, cette recomposition pourrait conduire à une reconstitution symétrique du camp anti-libéral, réunissant l’Extrême-droite et l’Extrême-gauche. Une tendance pas si absurde que cela si l’on considère le rapprochement progressif des idées d’un Jean-Pierre Chevènement ou d’un Jean-Luc Mélenchon (ralliés au souverainisme traditionnellement « d’extrême-droite ») et du Front National (dont les propositions économiques rejoignent désormais en matière d’antilibéralisme, si ce n’est dépassent, celles que l’on a coutume de qualifier « d’extrême-gauche »), et qu’illustrerait aussi l’émergence d’un courant d’intellectuels se retrouvant sur un même terrain antilibéral bien que provenant d’extrêmes opposés (Alain de Benoist venant de l’Extrême-droite, Alain Soral, Jean-Claude Michéa ou Jacques Sapir venant de l’Extrême-gauche).
Traduit dans la typologie soralienne, cette recomposition du champ politique s’interpréterait comme la mise en cohérence des sous-ensembles instables que sont le Néo-conservatisme et l’Extrême-gauche libertaire. Les Néo-conservateurs, pour échapper à leurs contradictions, devront ainsi évoluer soit vers le Libéralisme pur en se convertissant aux valeurs sociétales de gauche (trajectoire actuelle de la Droite parlementaire), soit vers l’Antilibéralisme pur en abandonnant le Libéralisme économique pour préserver les valeurs traditionnelles (évolution récente du Front national, en partie inspirée par les idées d’Alain Soral, voire d’un Philippe de Villiers). Dans le même temps, les Gauchistes libertaires, là aussi pour échapper à leurs contradictions, devront soit rallier le camp libéral en abandonnant leur critique anticapitaliste (suivant en cela Daniel Cohn-Bendit et autres « ex-soixante-huitards »), soit au-contraire assumer leur Antilibéralisme en se ralliant à un certain Conservatisme (tendance que pourrait suivre aujourd’hui un Mélenchon souverainiste et que l’on commence à sentir poindre chez un Michel Onfray redécouvrant le proudhonisme).
Cette rapide esquisse de différentes grilles de lecture idéologiquement concurrentes permet de conclure qu’aujourd’hui les concepts de « Droite » et de « Gauche » ne sont plus adaptés et qu’une opposition Libéralisme / Antilibéralisme serait beaucoup plus opérative pour comprendre les parcours intellectuels actuels et effectuer des prévisions valides sur la recomposition du paysage politique. Dans ce cadre logique, les grilles de lecture libérales et antilibérales, par-delà leur opposition dialectique irréconciliable quant au jugement de valeur formuler sur le Libéralisme, s’accordent aujourd’hui à prédire la reconstitution des deux camps idéologiquement cohérents issus de la Révolution Française : un camp libéral (fusion de ce qu’on appelle jusqu’à présent la « Droite » et la « Gauche ») et un camp antilibéral ou « socialiste » (fusion de l’ « Extrême-droite » et de l’ « Extrême-gauche »)… Certes, seul l’avenir nous dira si cette prédiction est valable ; mais celle-ci nous oblige déjà, d’une certaine façon, à mettre nos propres idées en cohérence et à choisir notre camp…
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