A lire la déclaration de Charles Millon au juge Van Ruymbeke à propos de la mission de nettoyage des dispositifs de corruption et à suivre celle de Maitre Jean Veil son défenseur, Jacques Chirac mérite le titre de Monsieur anti-corruption.
Voici, selon Mediapart, ce que Charles Million a déclaré au Juge Van Ruymbeke d’un entretien avec le Président Chirac :
« Après les élections présidentielles de 1995, j’ai été nommé ministre de la défense. Dans les quinze jours qui ont suivi, le président de la République m’a demandé de procéder à la révision des contrats d’armement et de vérifier dans la mesure du possible s’il existait des indices sur l’existence de rétro -commissions.
Le président de la République vous a-t-il fait part de ses propres doutes ?
Si ma mémoire est bonne, le président de la République m’a dit, comme il l’a déclaré lors d’une conférence de presse aux alentours du 14 juillet, qu’il souhaitait une moralisation de la vie publique et politique et qu’il y avait trop de bruit autour des contrats d’armement dû à l’existence de rétro- commissions. Il m’a donc demandé de faire procéder à une vérification sur tous les contrats. Des contrats ont été confirmés, par contre d’autres contrats ont donné lieu à une révision et même à une annulation. Cela a été le cas du contrat Agosta. (sous-marins pakistanais)
Est-ce que cela a été le cas également pour Sawari II (Frégates saoudiennes) ?
Je le crois. »
Il est évident que Jacques Chirac a la volonté de faire cesser ces pratiques commerciales indignes et déloyales. Toutefois les propos de Charles Millon doivent être décryptés à la lumière des faits. Quand le ministre affirme « Des contrats ont été confirmés, par contre d’autres contrats ont donné lieu à une révision et même à une annulation. » Il ne s’agit évidemment pas de l’annulation des contrats eux-mêmes, les sous-marins du contrat Agosta et les frégates du contrat Sawari II ont étés livrés, mais de l’annulation des commissions restant à payer sur ceux-ci.
L’audition du juge reprend :
Pourquoi avoir mis fin à ces commissions ?
Quand il y avait doute, on arrêtait. Pour le contrat pakistanais, au vu des rapports des services secrets et des analysés qui ont été effectuées par les services du ministère, on a eu une intime conviction qu’il y avait rétro-commissions. Cela a été le cas du contrat Agosta et Sawari II.
Pourquoi ces deux contrats ?
Parce que l’on est arrivé à des conclusions positives, on a acquis une intime conviction.
Quels éléments vous ont conduit à avoir une intime conviction sur ces deux contrats en particulier ?
Je n’en sais rien. Je me suis basé sur les rapports qui m’ont été faits verbalement par la DGSE.
Enfin voilà un témoin dont, après 15 ans, la mémoire paraît bien sélective et qui ne souvient pas des points des rapports verbaux de la DGSE qui ont forgé son intime conviction pour stopper le paiement des commissions dès que ce fin limier sentait, en lui, naitre l’intime conviction de la rétro-commission. Monsieur Million apporte ici la preuve évidente que la décision de stopper les paiements des commissions n’avait nullement pour objet de moraliser la vente d’armes en supprimant les dessous-de-table aux acheteurs représentants des états mais d’interrompre le principe de la retro-commission mis en place à l’occasion de ces ventes.
Du reste une question du juge d’instruction révèle une incohérence dans la réponse du témoin :
Les agents vous ont-ils fait part de leurs soupçons sur des rétro-commissions ?
Non. La requête portait sur les mouvements de fonds.
Il convient de se poser la question : comment le brillant Charles Million a pu acquérir une intime conviction alors que les enquêteurs de la DGSE n’avait pas mission de rechercher l’ensemble des bénéficiaires des commissions et ne les ont, semble-t-il, pas tous découverts du moins pas ceux des prétendues retro-commissions ?
Il est remarquable que le principe du dessous-de-table est, contrairement à ce que déclare aux médias Maître jean Veil, respecté par Monsieur Chirac, Monsieur Millon l’affirme les autres contrats n’ont pas été annulés. Le principe moralisateur n’est donc pas le motif réel pour suspendre le complément des commissions sur ces deux contrats passés en 1994 puisque, de l’aveu du témoin, c’est les retro-commissions qui sont le critère d’annulation.
Mais comment Charles Million prétendrait-il le contraire. L’enquête, qui n’a pas attendu son audition, a montré que deux sociétés luxembourgeoises répartissaient ces fonds par l’intermédiaire d’un réseau complexe de boîtes à lettres à travers différents paradis fiscaux (Ile de Man, Iles Vierges, Panama, et même Irlande et Australie).
Deux sociétés luxembourgeoises dont la première a été fondée le 19 novembre 1993 sous le nom de Société de Développement International Heine SA à la veille de la signature des contrats Agosta et Sawari II qui auront lieu en septembre et mai 1994. Selon les documents saisis par la police luxembourgeoise et transmis aux juges français cet établissement aurait été créée à l’instigation du Ministre du Budget du Cabinet Balladur, Nicolas Sarkozy : « Les policiers luxembourgeois font état de l’implication de l’actuel chef de l’Etat français, ministre du Budget en 1994, dans la création d’une société au Luxembourg, Heine » (Tribune de Genève 02.06.2010) Lesdits enquêteurs écrivent : « En 1995, les références font croire à une forme de rétro-commissions pour payer des campagnes politiques en France. » et produisent des copies d’échange de lettres datées de 2006 entre Nicolas Sarkozy et les administrateurs de SDI Heine SA. Cette société a cessé son activité luxembourgeoise le 23 juillet 2010.
Mais avec, pour partie les mêmes mandataires, aux dires de Gérard Philippe Menayas, cousin par alliance d’Arnaud Claude, avocat associé de Nicolas Sarkozy, et Directeur financier de DCNI est fondée, le 11 décembre 1998, une seconde société luxembourgeoise, Eurolux Gestion SA, ayant la même mission : distribuer les pots-de-vin aux acheteurs des états clients de DCN. A cette époque nous sommes sous la Présidence de Jacques Chirac et le cabinet de Lionel Jospin.
Monsieur Menayas a fourni un mémorandum de 17 pages au juge d’instruction en avril 2008. Il y explique comment avec l’aide d’intermédiaires il payait l’argent de la corruption. Il reconnaît sa participation à la fondation d’Eurolux Gestion SA. Il accuse Jean-Marie Poimbeuf, patron de la DCN et membre du Conseil d’administration de la DCNI de 2000 à 2003 d’avoir avalisé les opérations de corruption menées. Il déclare que jean Francois Perol, secrétaire Général de l’Elysée, a été durant deux ans membre du Conseil d’administration de la DCN. Il confirme que les opérations de paiement effectuées par l’intermédiaire d’Eurolux Gestion SA étaient connues et autorisées tant par la DCN que par le ministère de la Défense. Il précise que les paiements passaient par l’intermédiaire d’un système fort complexe de sociétés « boite aux lettres » et transitaient notamment par la Dresdner Bank et la Royal Bank of Scotland afin de contourner la Convention de l’OCDE. En effet depuis mai 2000 la France a ratifié la convention de L’OCDE contre la corruption.
La Lutte personnelle de Jacques Chirac contre la corruption est donc une pure légende.
Le mémorandum de Gérard Philippe Menayas a été remis aux juges Siméoni et Van Ruymbeke , en avril 2008, à l’occasion de l’affaire aujourd’hui classée des Frégates livrées à Taiwan de 1996 et 1998. Il fait allusion à des ventes de sous-marins à l’Inde et la Malaisie qui firent l’objet de commissions aux responsables des achats.
Le 9 novembre, entendu par le juge Van Ruymbeke qui instruit l’affaire Karachi, Gérard Philippe Menayas confirme l’implication de Nicolas Sarkozy à l’occasion des de ses émissaires, les 26 octobre et 3 novembre 2006, à Jean-Marie Boivin administrateur des 2 sociétés luxembourgeoises afin que celles-ci restent en vie. Nous sommes pourtant sous le mandat du Président anti-corruption Jacques Chirac.
Oui bien sûr vous allez me dire que, si une telle affaire avait été connue, les chances du candidat Sarkozy eussent été moins bonnes d’attirer les électeurs de Jean-Marie Le Pen.
Alors, à votre avis, pourquoi l’affaire Clearstream alors qu’il eut été, apparemment, plus simple et plus efficace pour se débarrasser de l’adversaire honni de sortir l’affaire Karachi ?
Sans doute, vous répondrai-je, que ces affaires de retro-commissions gênent tout autant Jacques Chirac et Dominique de Villepin comme « l’affaire Elf » a embarrassé le PS.
Ceci montre à quel point le monde politique corrompu feint la noblesse pour accomplir les actions les plus viles. L’affaire des frégates de Taiwan nous montre que les pots-de-vin versés vont coûter deux fois plus cher que prévu aux contribuables et sous prétexte de « secret défense » la justice ne peut faire son travail. De vous à moi en quoi une vente d’armes concerne-t-elle la « défense » de notre pays et justifie-t-elle l’impunité de voyous profiteurs qu’ils soient de gauche ou de droite ?