Ségolène Royal et les médias
On entend à peu près tout et n’importe quoi au sujet de Ségolène Royal : elle n’est qu’une image ET elle a le charisme d’une planche à pain ; elle n’a aucune vision ET elle ne communique que sur des valeurs... Et depuis jeudi soir, on entend à la fois que sa victoire s’est faite grâce aux médias, qui l’ont portée aux nues, et que sa victoire s’est faite contre les médias, qui ont tenté de l’abattre.
J’ai donc voulu en avoir le coeur net : les médias ont-ils été pro ou anti-Royal ?
Dans l’impossibilité de retrouver la totalité de sa couverture dans la totalité des médias, j’en viens à ce qu’il y a de plus simple : l’analyse des unes de la presse quotidienne nationale.
Les unes de presse m’intéressent particulièrement parce qu’elles sont beaucoup plus vues que les articles ne sont lus. Je suppose qu’elles participent à marquer l’imaginaire populaire, en tout cas de ceux qui passent devant des kiosques. L’analyse a ses limites (1), mais essayons de nous débrouiller avec ce que nous avons et commençons par le quotidien "de référence", j’ai nommé Le Monde :
Qu’est-ce qu’on voit ? Huit unes sur la période, donc une grande implication du Monde dans le débat. Quid de leur tonalité ?
- On peut classer deux de ces unes dans la catégorie anti-Royal : "chahutée", ses "difficultés qui redonnent espoir à DSK".
- Deux autres sont favorables à ses adversaires, ce que l’on peut assimiler à de l’antiroyalisme : la une sur Fabius, celle sur DSK qui propose de casser la machine à faire des pauvres.
- Deux sont plus neutres : les "styles et différences" ; le "rapport de forces".
- Deux sont plus favorables à Royal, "sa conception de la politique" (mais qui n’est pas en titre principal) et le "débat qui s’organise autour de (ses) propositions".
Conclusion : Le Monde a fait une campagne plutôt anti-Royal.
Passons au Figaro, qui s’intéresse déjà beaucoup moins à ce qui se passe à gauche :
Et c’est tout. Le Figaro n’aime pas Royal, mais ne titre pas sur ses concurrents. Appelons ça de l’antiroyalisme.
Maintenant, Libé, qui, sans surprise a fait de la primaire un thème fort :
Neuf unes sur la période, une de plus que Le Monde. Une seule me semble
clairement pro-Royal : "la pose du peuple" ; et une seule me semble
clairement anti-Royal : "DSK : je peux battre Ségolène". Je mettrais
les sept autres en "neutres". Libération est donc un acteur impliqué mais relativement neutre.
On a également eu deux unes de La Croix :
La Croix s’efforce de montrer les trois
candidats ensemble (et pas dans le même ordre sur les deux photos) et
n’utilise pas les noms des candidats dans ses unes. On peut donc y voir
une forme de neutralité (équité) distante (seulement deux unes).
Egalement deux unes pour Aujourd’hui :
On est clairement dans de l’antiroyalisme sur la une de gauche ; on peut considérer que l’autre une est neutre, mais qu’elle tend à dévaloriser la candidature Royal puisque "rien n’est joué" alors qu’elle "fait la course en tête"). Aujourd’hui est dans une hostilité distante.
Enfin, France Soir :
Une seule une, très tranchée : hostilité distante mais affichée.
Sur l’ensemble des vingt-quatre unes de presse quotidienne nationale depuis début octobre, on en a dix qui sont défavorables à Royal, onze qui sont neutres, trois qui lui sont favorables.
Attention, je ne dis pas qu’ils ont bien
fait ou qu’ils ont mal fait. Je constate. Quand je dis qu’une une est
"pro-Royal" ou "anti-Royal", il faut surtout comprendre qu’elle va dans
le sens des intérêts de l’ex-candidate à la candidature, ou qu’elle va
dans le sens contraire.
La Croix et Libé sont les deux seuls quotidiens à rester neutres dans
l’ensemble, tous les autres ont plutôt penché dans un sens qui lui était défavorable. Et il n’y pas
de clivage "intelligentsia" vs "le vrai peuple", puisque Le Monde, Le
Figaro comme Aujourd’hui et France Soir s’inscrivent dans cette logique
antiroyaliste. Ce dernier point mériterait néanmoins d’être largement complété avec l’analyse de la presse quotidienne régionale, mais ici je ne trouve que les unes de ces journaux du jour...
En revanche, ce qu’on voit,
c’est que Royal a été au coeur de l’information : la une de presse quotidienne nationale est
centrée sur elle douze fois, soit une fois sur deux. DSK : cinq fois, Fabius
: une fois.
Je ne l’apprends à personne : la campagne
s’est organisée autour d’elle. Il était davantage question de savoir si on
était pro ou anti-Royal que de savoir si on était pro-Fabius, pro-Royal
ou pro-DSK, dans la presse comme dans les blogs.
Et c’est là qu’à mon sens, les médias ont
contribué à la victoire de Royal : ils ont fabriqué le mythe en
distillant l’idée qu’elle était incontournable. On le voit bien sur
plusieurs unes qui, bien que neutres d’apparence, installent
cette idée qu’elle est un phénomène :
Etait-il plus important pour Ségolène
Royal d’avoir la presse quotidienne nationale avec elle, ou juste d’être à la une de
l’actualité ? Je crois qu’on est dans une forme d’illustration de la
théorie selon laquelle peu importe le message du moment qu’on a le buzz.
En conclusion, on voit que la "grande" presse ne lui a pas été favorable, mais que cette même
grande presse a largement contribué à installer l’idée que l’élection
ne se ferait pas sans Ségolène. Dans la foulée de sa sondomanie habituelle.
Un autre exemple de ce type de mécanisme :
l’interview de DSK chez Fogiel, il y a quelques semaines. Ceux qui l’ont
vue se souviendront que Fogiel n’a posé que des questions sur la place
de DSK par rapport à
Royal, l’installant de facto en situation d’infériorité (il faut quand
même dire que ce n’est pas très malin d’aller chez Fogiel, d’autres en
avaient fait l’expérience avant DSK).
J’aurais assez envie d’appeler ça de la persuasion cognitive.
Persuasion qui fait que le militant PS a le sentiment d’avoir le choix
entre une "grosse" candidate et deux "petits" - alors que Fabius ou DSK
auraient été des candidats de poids, à n’en pas douter. Je ne pense pas
que les militants aient voté Royal "contre" les médias. Contre les
élites, sûrement, mais pas contre les médias.
Au
contraire, on peut y voir une vraie forme de
renouvellement des médias (et là, je ne parle pas que de la presse quotidienne nationale) qui,
après avoir incarné l’establishment (souvenez-vous du référendum...),
ont
rendu Royal incontournable alors qu’elle semble être la candidate du
peuple. Mais non sans une certaine schizophrénie, comme on le voit dans
cette petite analyse.
Terminons sur les unes de cette
presse nationale qui
n’aime-pas-trop-Ségolène-Royal-tout-en-n’imaginant-pas-d’alternative, au lendemain de la victoire :
(1) les limites de cette analyse :
- Imedias.biz, qui permet d’accéder en ligne à ces unes, n’offre que deux mois d’archives. Cela ne tombe pas trop mal puisque cela nous ramène au début de la primaire, mais je serais bien allé voir plus loin.
- Les unes proposées ne sont que celles de la presse quotidienne nationale, pas celles des hebdos d’actualité dont j’ai trouvé qu’ils avaient été affreusement pro-Royal à un moment (je n’ai pas fait attention à eux ces derniers temps).
- Les unes ne préjugent pas nécessairement des messages subliminaux des articles. Une une neutre peut cacher un contenu orienté.
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