Il serait grand temps, surtout pour les croyants, de relire la Genèse avec des yeux non embrouillés par l’imagerie d’Epinal des anciens catéchismes et encore moins avec la vision naïve, au pied de la lettre des créationnistes américains. Car selon une logique qui devrait être évidente pour un vrai croyant, si Dieu est en toute chose, alors il l’est aussi dans une giclée de sperme, même si la première fut l’aboutissement d’un acte de rébellion. Cette réflexion s’adresse donc avant tout aux fidèles des trois monothéismes, car l’athée, l’agnostique peut certes exprimer des considérations métaphysiques et morales sur les origines de l’homme et de la civilisation, mais pour lui, Dieu n’est ni omniprésent ni omnipotent. La particularité du monothéisme est de ne pas admettre que Dieu puisse être faillible, commettre des erreurs et être imparfait comme l’étaient ses homologues de l’Olympe et des Germano-scandinaves. De ce parti pris, il faut donc tirer la conclusion que le Dieu infaillible n’a rien créé au hasard et à la va-vite et que tout a son utilité si ce n’est sa finalité. Ce texte qui ne remet en cause ni l’existence de Dieu ni la Genèse, aurait très bien pu être écrit par un croyant désirant sortir des sentiers battus de la foi.
Dieu est donc partout si l’on en croit les textes sacrés. Et ce partout concerne aussi bien les splendeurs de l’art et de la nature que les sécrétions corporelles des humains. Or Dieu possède la fâcheuse idée de s’exprimer à ses créatures par le biais de prophètes et d’un clergé formaté, et ces intermédiaires veulent imposer une morale restrictive en Son nom. Hélas, peu de prêtres suivent en plaisantant Eddy Mitchell sur la sexualité dans son sermon du boogie-woogie avant les prières du soir. Cependant, en toute logique, on ne peut clamer l’omniprésence et l’omniscience de Dieu du début à la fin des temps et même pourquoi pas avant le big bang et après la fin du monde, sans accepter aussi la présence divine dans le pet, l’excrément, la sueur et la menstruation. Pourquoi Dieu aurait-il créé tout cela et pourquoi ne faudrait-il point en parler, ou alors honteusement et à voix basse ? Pourquoi y aurait-il des choses, des aliments et des comportements impurs et interdits qui seraient cependant les créations de Dieu ? Si le porc est une créature divine, pourquoi est-il interdit d’en consommer ? Dieu, si l’on croit en la Genèse, s’est finalement comporté comme un ingénieur motoriste de chez Ferrari ou BMW qui équipe un véhicule qui dépasse les 250 kms/h alors qu’il est au courant des limitations de vitesse sur autoroute. Mais dans ce cas, c’est l’ingénieur lui-même qui impose les entraves à l’utilisation du moteur qu’il a conçu.
Donc, si Dieu est l’alpha et l’oméga et qu’il ne peut commettre d’erreur ni être superficiel, en toute logique, un vrai croyant devrait autant louer et glorifier Son nom sacré tant au travers de l’art, de la prière que de ses créations physiologiques. « Et Dieu dans sa grande sagesse inventa le sperme et il permit qu’il se répande en d’onctueuses giclées ». Le Tout Puissant, si l’on veut continuer à l’appeler ainsi, se retrouve autant dans la prière, la Chapelle Sixtine, les lieux saints de l’islam et du judaïsme que dans l’émission d’un étron ou un acte sexuel. Si le croyant doit vivre pour louer Dieu, que ne peut-il le faire en baisant, en pétant ou en chiant !
Mais cela est propos d’hérétique qui valurent jadis la lapidation et le bûcher et qui peuvent encore de nos jours être frappés d’une fatwa vengeresse bien que les propos tenus par les hérétiques aient été et soient encore souvent nettement moins provocateurs que ce qui est écrit présentement. Et pourtant, Dieu se retrouve magnifiquement dans l’œuvre de Sade, de Pasolini et dans celle de Salman Rushdie dont le génie donne l’impression d’une communion sacrée. Il semble assurément que la religion n’ait été qu’un instrument de pouvoir aux mains des hommes pour affirmer la domination des plus puissants d’entre eux. Un Dieu sympa et débonnaire, qui lâcherait la grappe à ses créatures ne convient absolument pas à ceux qui ont possédé et qui possèdent encore le pouvoir sur les fidèles. La religion est censée empêcher la révolte et la rébellion contre l’ordre établi, que cet ordre soit divin en accentue encore plus les effets pervers.
Mais revenons à Adam à l’aune de la Genèse. Créature unique, né sans nombril car sans mère utérine, Adam semble être apparu sur terre une fois adulte ou du moins physiquement autonome. Car on ne peut imaginer un nourrisson tout seul à quatre pattes dans la nature, Adam, ce n’est pas Romulus et Remus. Et même concernant les fondateurs de Rome, on a du mal à croire en la légende. Lupa en argot latin, c’est aussi la prostituée. Les jumeaux abandonnés nourris au sein par une pute, c’est nettement plus vraisemblable que par une louve, mais c’est beaucoup moins gratifiant pour la Ville Eternelle.
Donc Adam se morfond et s’ennuie au paradis, il a déjà le désir de savoir dans un monde où il n’y a rien à apprendre. Et comme Dieu qui n’est pas encore le caractériel plein de courroux qu’il deviendra ensuite, en a pitié, en lui arrachant une côte il lui crée une « copine » appelée Eve, elle aussi sans nombril et probablement née adulte. Car Dieu dans sa sagesse n’aurait jamais confié bébé la première femme à un homme adulte incapable de lui trouver du lait. De plus, même en faisant l’impasse sur l’alimentaire, si Adam avait élevé Eve, il se serait développé une relation proto-paternelle et ensuite, il aurait été difficile d’envisager un accouplement qui ne soit pas de type incestueux. Cette hypothèse biblique qui nous présente un Adam plus vieux qu’Eve semble aussi justifier le fait qu’un homme doit prendre une épouse bien moins âgée que lui et que l’union d’une femme avec un homme plus jeune est donc contre la logique divine.
Quand il était seul, Adam vivait dans le jardin d’Eden et n’avait aucune notion de plaisir charnel et de civilisation. Il ne faisait que s’empiffrer de crudités probablement sans assaisonnement. Et il ne faisait encore moins d’effort, tout lui tombait dans le bec, Dieu n’ayant pas encore eu l’idée du travail, des trois 8 et des cadences infernales. A propos de ce dont il profitait, on aurait pu dire rôti dans le bec, mais en tant que premier homme, il devait manger cru, n’ayant pas encore inventé le feu et encore moins le four microondes, si l’on en croit Claude Lévi-Strauss et les anthropologues. Donc notre Adam se prélasse et ne fout rien, il émet peut-être des pollutions nocturnes reflexes durant le sommeil, mais sans fantasme érotique et pour cause, il ne sait rien de la sexualité. Sa première éjaculation consciente, elle aura lieu avec Eve !
Si l’on est croyant mais sans prendre le texte sacré au pied de la lettre comme les néo-évangélistes américains, on admet l’évolution développée par Darwin. Dieu peut très bien avoir créé un hominien pas très futé et non d’emblée un homo sapiens sapiens comme vous et moi. Comme Dieu avait autre chose à faire que de lui donner une éducation sexuelle, Adam a dû agir par tâtonnement comme un chimpanzé vierge que l’on met pour la première fois devant une femelle. Et il a du copuler en levrette, comme tout bon mammifère. Eve, de son côté avait dit-on reçu des conseils mal intentionnés du serpent, mais on ne voit pas un reptile sans mains capable de caresser et palper donner des informations sexuelles valable à une humaine. Les zoologistes vous le diront assurément, le serpent n’est pas vraiment connu pour ses orgasmes. Intervient alors l’épisode essentiel de la pomme et de l’arbre de vie, que l’on qualifie aussi d’arbre de la connaissance. On connait l’interdit divin et le fait que les deux premiers baiseurs se sont fait virer du paradis terrestre. Premier coup, pas forcement premier orgasme. Eve y a probablement pris goût à la longue, mais au début, elle s’est probablement dit, « tout ça pour ça » et a de fait considéré le serpent comme un farceur de mauvais conseil. Quant à la colère du Tout Puissant, elle a dû se demander quelle mouche l’avait piqué pour si peu de choses. Ensuite, une fois chassés du paradis terrestre, nos deux protagonistes ont eu tout le loisir d’améliorer et de diversifier leurs performances par l’acquisition de la civilisation qui les caractérisait des autres animaux. Et « la première gorgée de sperme » ne dû pas attendre longtemps après la première copulation. Dieu qui est juif si l’on en croit Serge Gainsbourg et n’en déplaise aux antisémites, est aussi un fumeur de havane, et en se faisant tirer sur le cigare, l’homme se rapproche absolument de Lui. Bill Clinton est donc l’un de ses apôtres éclairés.
L’explication purement sexuelle de la fin du paradis terrestre est malgré tout incomplète et erronée, pas besoin d’être un fin exégète des textes sacrés pour en arriver à cette conclusion. En copulant, Adam et Eve font bien plus qu’enfreindre un interdit sexuel. Ils font acte de volonté, ils s’opposent à leur Maitre absolu et veulent se débrouiller par eux-mêmes, donc développer un monde à eux, autonome de la tutelle divine. C’est en quoi on peut parler d’acte de culture et de civilisation dans la première copulation. Car Dieu probablement a initialement voulu créer un couple de niais pas trop intelligent qui serait resté éternellement à cueillir des fruits sans lui créer de problèmes. Pour l’accomplissement de l’homme et la rémission de ses fautes il faut à la fois un acte fondateur, le premier coït et sa culpabilisation. Sans la « faute » d’Adam, point de connaissance et le sacrifice sur la croix pour la rédemption des humains devient alors inutile et totalement sans fondement. Adam, puis Judas sont donc indispensable à l’accomplissement de Dieu.
Le premier acte sexuel peut donc être à la fois assimilé à un acte de rébellion et à un acte de connaissance, donc de civilisation. Par la rébellion, l’homme raisonne et peut donc penser et créer, il sort de l’animalité du grand anthropoïde. Auparavant Adam et Eve vivaient dans un état de nature qui aurait plu à Jean-Jacques Rousseau, c’est-à-dire comme deux abrutis inexpérimentés et gauches qui cueillaient des fruits et n’en ramaient pas une. Une fois chassés, ils font des gosses, jouissent en faisant du bruit car il n’y a pas de voisins et développent parallèlement l’élevage et l’agriculture. Cela sous-entend que les cueilleurs étaient les premiers hommes bien avant les paysans et les éleveurs, ce qui corrobore l’hypothèse des évolutionnistes.
Ce qui interpelle, pour employer une terminologie religieuse, c’est la main mise sur la sexualité et le libre arbitre par ceux qui vont propager la foi, que ce soit dans le monde juif, chrétien et musulman. L’acte sexuel dans une saine dimension religieuse devrait être considéré comme un affranchissement indispensable et essentiel et non comme un péché ou une faute. Et pourtant, les premiers gnostiques, bien qu’inspirés de culture et de religion juive ou de sa dissidence chrétienne ont tout fait pour revaloriser la sexualité comme moyen de communion avec Dieu. Que ce soit Carpocrate, Simon le Magicien, cité dans l’Evangile, Barbélo et les premiers prédicateurs de cette mouvance, tous pratiquent une sexualité libre qualifiée d’orgiaque par leurs détracteurs. Ils sanctifient le sperme et la menstruation, même si certains préfèrent l’avortement à la reproduction sexuée. Et si certains d’entre eux furent des proto-chrétiens, ils seront rapidement condamnés, dénoncés puis persécutés par les tenants de la secte initialement minoritaire de Paul devenue puissante, dominatrice et liée au pouvoir. Condamner le sexe, le sperme et le plaisir des sens en dehors du cadre familial et reproducteur va devenir au fil des siècles l’une des principales préoccupations des monothéismes. Les exceptions des extases orgasmiques de Thérèse d’Avila et les dérives masochistes et scatologiques de Marie Alacoque ne sont acceptées par les catholiques car déclarées sublimation pour glorifier le Christ. Car malgré le dogme et les interdits des différentes religions, le sexe c’est la vie, c’est la liberté et des hommes libres sont prompts à se révolter. La religion étant devenue un objet de pouvoir, puis au service du pouvoir, il n’est pas question de cabrioles libératrices qui font réfléchir sur le libre arbitre. La vision d’un Dieu qui demande la soumission et l’obéissance semble venir tout droit de la volonté des hommes de pouvoir que provenir d’une essence divine.
Mais allons encore plus loin dans la logique créationniste. Imaginons un Dieu qui au lieu de donner une compagne, ait choisi un compagnon à Adam. Le paradis terrestre aurait abrité deux mecs avec probablement le même interdit. Et nous aurions hérité d’une société à dominante homosexuelle, car Dieu omnipotent aurait bien trouvé un artifice pour qu’ils se reproduisent sans l’aide des femmes. Par contre, l’hypothèse d’un monde de lesbiennes, sans hommes est totalement inconcevable pour la majorité des croyants et ne peut séduire qu’un très petit noyau de féministes excessives et athées.
Tout ce qui vient d’être dit ne tient pas si l’on admet que Dieu est bon et juste et que les malheurs des hommes viennent du Diable, du Démon, de Belzebuth ou de Shaytan quelque soit le nom qu’on veuille bien lui donner. Mais il se peut aussi, autre pensée totalement hérétique, que le Diable ne soit que le côté sombre et le revers d’un même Dieu schizophrène. Et dans ce cas, Satan créature déchue par Dieu n’est que l’expression des revirements et des sautes d’humeur du Dieu unique. Reste enfin les marxistes qui après des tâtonnements et des déclarations sur l’opium ont inventé une religion sans Dieu, bien qu’avec son « clergé » d’apparatchiks. Mais ces communistes athées n’ont pu s’affranchir d’une morale sexuelle répressive digne des rabbins orthodoxes, des pères de l’Eglise et des âyatollâhs.