Synode et mépris du monde réel
A Rome, les évêques sont réunis depuis le 6 octobre pour réfléchir sur la "Parole de Dieu", pour la mieux faire comprendre aux croyants catholiques et, si possible, aux autres. Le monde profane peut y perdre son latin, mais les évêques n’ont pas de troublants états d’âme. Pour mener leur réflexion dans la sérénité, il leur suffit de se tenir éloignés de l’humanité de leur époque, et de sa bien réelle violence prétendument "voulue par Dieu".
Dans le monde réel, on discrimine, on maltraite, on lapide, on égorge, on massacre massivement au nom de Dieu. C’est la "parole du Dieu" des monothéistes qui, depuis trois mille ans, dit très explicitement qu’il faut le faire. Elle le dit dans la Bible, puis dans le Coran, comme chacun peut le vérifier. Alors, quand un synode est convoqué au Vatican, sept ans seulement après le 11 septembre 2001, pour réfléchir sur le sens à donner à cette parole, on pourrait penser que c’est de cette réalité religieuse si épouvantable et si durable que sera lancée la réflexion.
Eh bien non. La démarche catholiquement correcte consistera une fois de plus à partir des dogmes bien établis en la matière. On déplorera ensuite, une fois de plus, que de nombreux croyants les comprennent toujours mal, ou qu’ils ne veuillent pas les comprendre. On se désolera même très sincèrement, à n’en pas douter, que parmi ces "mal comprenants" certains - disons des fanatiques - passent à l’acte criminel en se référant à ce qu’ils ont appris de Dieu. Et l’on s’efforcera une fois de plus, avec beaucoup de patience et de commisération, de leur expliquer comment il faut lire et comprendre la "parole de Dieu".
Cet entêtement ecclésiastique finit par être franchement écœurant. Parce qu’enfin il faut le dire sans détours : les simples croyants qui maltraitent et les fanatiques qui tuent au nom de Dieu ont bon dos. Qui peut soutenir qu’ils sont seuls responsables quand ils passent à l’acte criminel ? Qui peut soutenir que les institutions religieuses, dont l’institution catholique, ne sont pour rien dans la schizophrénie qui conduit ces croyants à cet acte ? Dire que leur "lecture littérale" des Écritures est le résultat de leurs seules volonté et responsabilité est même parfaitement hypocrite quand on a précisé dans la dernière édition du Catéchisme (1998) que ces écritures sacralisées disent le véritable désir de Dieu "et cela seulement" (passage 106).
Si les évêques croient pouvoir s’enfermer ainsi dans l’abstraction théologique mensongère, si chère au mauvais pape qu’ils se sont donné, c’est qu’ils ont été essentiellement nourris par une parole "chrétienne", pseudo-jésuïste et très sélective, qui procure la bonne conscience : la violence effective issue de la conception violente de Dieu "c’est pas nous c’est les autres". Le prophète Mohamed et son Coran sont certes venus après Jésus et les Evangiles relancer la conception violente et l’affirmer valable pour l’éternité, mais ils l’ont fait, pour la première partie au moins de l’assertion, dans la parfaite continuité du judéo-christianisme. Et treize siècles plus tard, ce sont toujours toutes les religions monothéistes qui s’accrochent à la conception criminogène de Dieu ; le judéo-christianisme pour la justifier seulement dans un lointain passé, l’islam pour la dire toujours applicable dans le présent et le futur.
Cette dernière religion est donc directement responsable de la violence aujourd’hui commise au nom de Dieu ; les religions antérieures seulement indirectement, mais tout aussi réellement. Jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire jusqu’à l’explicite désacralisation de la prétendue juste violence de Dieu, "bien comprise" et bien enseignée par "la Tradition", la conception catholique restera de même nature que la conception islamique. Seule la manière de concevoir l’opportunité de sa mise en œuvre restera différente.
Ouvrons une parenthèse pour souhaiter que la lenteur de l’institution catholique dans la prise de conscience de son devoir aujourd’hui prioritaire n’empêche pas les théologiens musulmans de procéder plus rapidement à l’indispensable désacralisation. Et, au passage, prenons acte avec satisfaction de l’avance exemplaire prise par certains d’entre eux, tels Soheib Bencheikh l’ancien grand mufti de Marseille, dans cette direction. Rien n’oblige en effet les musulmans, sous prétexte que c’est principalement leur religion qui pratique aujourd’hui la violence "voulue par Dieu", à rester à la traîne du pape dans la démarche pour le rejet des bases de cette violence. Benoît XVI et ses servants n’ayant toujours pas pris conscience de la nécessité de ce rejet, l’humanité devrait sans doute alors attendre encore très longtemps un début de pacification des religions.
Pour convaincre qu’il n’y a pas de contradiction entre la parole criminogène attribuée à Dieu dans l’Ancien Testament et celle de Jésus invitant les humains de toute la terre à "s’aimer les uns les autres", l’institution catholique mobilise depuis toujours des régiments de théologiens qui passent leur vie à tordre les textes pour façonner les "justes interprétations". Il n’y a probablement qu’une véritable cause à l’acceptation de cette folie interprétative et justificative par les théologiens : comme premier pas de leur engagement, ils ont accepté de passer par le moule obligé du dogmatisme, lequel est fort bien rappelé par Benoît XVI inaugurant le Synode dans son homélie du 6 octobre :
"Seule la Parole de Dieu est le fondement de toute la réalité, elle est aussi stable que le ciel, plus stable que le ciel, elle est la réalité. Nous devons donc changer notre concept de réalisme. La personne réaliste est celle qui reconnaît dans la Parole de Dieu, dans cette réalité apparemment si faible, le fondement de tout. La personne réaliste est celle qui bâtit sa vie sur ce fondement qui reste en permanence." (homélie d’ouverture du synode par Benoît XVI)
Mais alors, après 3 000 ans de preuves que, dans la moitié au moins de ses énoncés contradictoires la "parole de Dieu" provoque d’épouvantables dégâts dans la vie des êtres humains, pourquoi l’Eglise catholique s’obstine-t-elle à refuser la mise en question, au moins, de cette partie criminogène de sa conception de Dieu ? Pourquoi ne veut-elle pas admettre que c’est cette partie qui réduit à néant la partie édifiante, généreuse et pacifiste du message évangélique et non pas une quelconque mauvaise volonté des "mécréants" ? Pourquoi s’obstine-t-elle, dans la mauvaise foi au double sens du terme, à refuser le simple bon sens et, au moins "aussi", l’honnête regard sur la réalité du monde ?
C’est peut-être que la société profane qui, certes, s’amuse beaucoup dans l’impiété jubilatoire, reste au fond beaucoup trop conformiste dans son attitude envers les institutions religieuses. Ne faudrait-il pas en finir avec cette attitude religieusement correcte qui veut qu’en matière religieuse ce soient toujours les "dignitaires" - comme on dit significativement - qui soient, a priori et a posteriori, respectables et les "blasphémateurs" qui ne le soient pas ? Même quand ce sont les premiers qui, contre la violence, ne font pas ce qui est en leur pouvoir - et devient de ce fait leur devoir - et les seconds qui, tels de très objectifs humoristes dessinateurs danois, maintiennent les esprits en éveil afin que l’horreur ne se banalise pas.
Répétons inlassablement que la folle interprétation religieuse criminogène, qu’elle soit catholique ou juive ou protestante ou islamique n’est nullement fatale. Nulle raison n’oblige les catholiques, tout particulièrement, à se soumettre à leurs mauvais pasteurs et à les suivre dans leurs persistants égarements. Comme les autres croyants, comme les agnostiques et les athées, les catholiques ont le droit de choisir une conception très humaine, très solidaire et pacifiste de leurs croyances.
"Tout est créé de la Parole et tout est appelé à servir la Parole", disait encore le pape à l’ouverture du synode. Les catholiques ont le droit, et même sans doute aujourd’hui le devoir, de lui répliquer très fort - suffisamment fort pour réveiller les évêques prisonniers du synode et du dogme - qu’ils se sentent et se veulent appelés avant tout à la solidarité avec leurs frères et sœurs de l’humanité réelle.
Pierre Régnier ancien militant de la Jeunesse ouvrière chrétienne (des années 50)
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