Mary, Max et le syndrome d’Asperger
Mary Dinkle est une petite fille australienne de huit ans, pas très jolie et délaissée par sa mère qui lui préfère le brandy. Max Horowitz est un quarantenaire new yorkais, atteint du syndrome d’Asperger et trop gourmand pour limiter son obésité. Un doigt de la petite fille pointé au hasard sur une ligne de l’annuaire de New York va être à l’origine d’une étonnante relation épistolaire de 20 ans entre la gamine sentimentale et le célibataire vieillissant, confronté par son état à de terribles crises d’angoisse.
Dans ce très beau film d’animation de l’Australien Adam Elliot – inspiré par une expérience vécue –, c’est évidemment la solitude qui est traitée, mais également le syndrome d’Asperger dont souffre Max, encore que le terme de souffrance soit impropre, les autistes étant parfaitement à l’aise dans le monde parallèle où évolue leur esprit. Une forme d’autisme qui touche, partout sur la planète, 4 à 5 fois plus de garçons que de filles.
Max le New Yorkais est en effet ce que l’on appelle familièrement chez les anglo-saxons un « Aspie », l’un de ces êtres atteints de cette forme particulière d’autisme, souvent de haut niveau, qui affecte dès la toute petite enfance la construction de la relation sociale et de la communication. Par chance, les aptitudes au langage de ceux que l’on nomme également les Asperger ne sont pas remises en cause, ce qui permet une meilleure prise en charge par les thérapeutes et les familles. Les Aspies n’en sont pas moins, comme les personnes affectées d’autres formes d’autisme, sujettes à des frayeurs subites dès lors qu’elles sont confrontées à des situations, des évènements, des bruits, des images qui font subitement irruption dans leurs habitudes et leurs rituels.
Le syndrome d’Asperger est dû à un trouble du neuro-développement d’origine génétique. Il a été décrit pour la première fois à Vienne en 1943 par le psychiatre autrichien Hans Asperger dans le cadre de ses observations sur l’autisme. Il faudra toutefois attendre 1980 et les travaux de la psychiatre anglaise Lorna Wing, publiés après une longue observation de 34 enfants, pour que le syndrome d’Asperger soit reconnu dans les milieux médicaux, notamment en Amérique du Nord.
Dans un reportage diffusé sur TF1 en octobre 2008, Thomas Bourgeron, chercheur à l’Institut Pasteur, l’affirmait avec conviction : « le syndrome d’Asperger n’est pas un dysfonctionnement, mais un autre fonctionnement. » Et de fait, les Aspies qui ont réussi à surmonter les difficultés – voire les blocages – de communication et de relations sociales ne disent pas autre chose. Ceux là ont désormais accès à deux mondes différents : le leur, ordonné et cohérent ; le nôtre, perçu dans leur enfance comme cacophonique, incohérent, et de ce fait inquiétant et vecteur de frayeurs. Un monde « normal » dans lequel ils ne commencent à se sentir à l’aise qu’au terme d’un long et patient processus qui n’aboutira jamais totalement pour certains Asperger, atteints d’une forme plus lourde du syndrome.
Loin de chercher à fuir le monde parallèle dans lequel ils ont grandi dans leur enfance et où nul autre qu’eux n’entrera jamais, les Asperger prennent plaisir à s’y réfugier comme on se réfugie dans un cocon protecteur. Encore faut-il, pour y accéder, franchir la porte. Cela se fait au moyen d’une clé virtuelle, une sorte de rituel qui diffère d’une personne à l’autre. Taylor Morris, une jeune et jolie autiste devenue à 17 ans une brillante étudiante et une sportive accomplie, le décrit bien dans un remarquable témoignage vidéo mis en ligne sur son site, en précisant que pour elle ce franchissement passe par la marche. Pour d’autres, ce passage se fait par la contemplation d’images ou la manipulation d’objets.
Un goût pour la manipulation d’objets que l’on retrouve chez nombre d’Aspies, de surcroît fascinés par l’ordre des choses et les classements. Au risque de sembler monomaniaques par égocentrisme, beaucoup développent un engouement remarquable pour un domaine donné, souvent d’ordre technique, au point d’atteindre des niveaux remarquables. Ils peuvent alors devenir intarissables sur le sujet – jusqu’à susciter parfois chez leurs auditeurs un ennui profond dont ils n’ont pas conscience – alors que leur communication verbale reste très limitée le reste du temps sur tout ce qui est étranger à leur passion.
Autre caractéristique commune à de nombreux Asperger : une mémoire exceptionnelle qui n’est sans doute pas étrangère au fait qu’ils développent parfois des capacités hors du commun dans des domaines comme les mathématiques, l’astronomie, les langues, les échecs ou la musique. Beaucoup sont également très attirés par la mécanique, sans doute pour avoir été fascinés, dès leur plus jeune âge, par de petits automates, voire des robots de cuisine. Une référence à l’enfance qui les amène parfois à se spécialiser, comme le souligne Lorna Wing, dans la connaissance de sujets très pointus comme les dinosaures ou les… horaires des bus.
L’un des problèmes posés par les échanges avec les Asperger réside, pour de nombreux cas, dans leur difficulté à comprendre la communication non verbale (haussement d’épaules, yeux au ciel, geste d’impuissance, etc.). De la même manière, ils sont souvent imperméables aux jeux de mots et au sens des expressions abstraites ou imagées comme « couper les cheveux en quatre » ou « rouler à tombeau ouvert ». Une réalité qui peut déboucher sur de véritables souffrances chez les Aspies, particulièrement pour tout ce qui touche à leur vie sexuelle, leurs besoins n’étant en aucune façon affectés par le syndrome.
Peu de personnalités connues ont été identifiées comme étant des Aspies. Encore subsiste-t-il un gros doute pour celle qui fut un temps l’égérie du Velvet Underground, la chanteuse Nico, dont les comportements idiosyncrasiques, non imputables à la consommation d’héroïne, pouvaient relever d’un syndrome d’Asperger, mais sans la moindre certitude. Le cas du fantasque pianiste canadien Glenn Gould – grand serviteur de Jean-Sébastien Bach – semble en revanche beaucoup plus probant si l’on en croit le passionnant article rédigé par Martin Ruddy de la Bibliothèque du Canada, et publié sur le site AutismeActus.org.
Côté fiction, si l’on trouve quelques exemples d’Asperger dans la littérature et les séries américaines, le cas le plus connu est sans doute celui de Lisbeth Salander dans Millenium, le best-seller de Stieg Larsson. Dès le premier tome, Mikael Blomqvist, l’autre héros du roman, pressent en effet que sa déconcertante partenaire est atteinte du syndrome d’Asperger, ce que semblent confirmer les difficultés relationnelles et la prodigieuse mémoire photographique de la jeune femme. Mais le syndrome n’est évoqué dans l’œuvre de Larsson que d’une manière très incidente.
Reste le film d’Adam Elliot, né de la relation épistolaire, bien réelle, qu’a longtemps entretenu dans sa jeunesse le réalisateur australien avec un Aspie néo-zélandais. Á la fois drôle et émouvant, le film aborde sans fard la réalité quotidienne de la vie d’un Asperger et suscite chez le spectateur une réelle empathie avec ces personnes différentes comme a pu le faire, en son temps, le film Rain Man de Barry Levinson avec les autistes de haut niveau. Quant au personnage de Mary, lui aussi très attachant, il montre que les qualités d’une femme ne résident pas uniquement dans l’enveloppe d’un corps sans défaut. Et cela, c’est également une très belle leçon de vie.
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