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Commentaire de Catherine Coste

sur Enquête sur la mort encéphalique et le prélèvement d'organes en France


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Catherine Coste Catherine Coste 24 septembre 2007 17:31

La question de la définition légale de la mort est une question très complexe. Voici un tour d’horizon.

Pour répondre à cette question, je cite le Dr. Guy Freys, Département de Réanimation chirurgicale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Le Dr. Freys a présenté en mars 2007, lors des « Deuxièmes Journées Internationales d’Ethique au Palais Universitaire de Strasbourg », les questions soulevées par une (des) définition(s) de la mort, ainsi qu’un historique des découvertes médicales modifiant et/ou affinant les critères de définition de la mort, et les disparités d’un pays à l’autre :

"Déterminer le moment précis de la mort, affirmer avec certitude l’état de mort a toujours été une préoccupation et une difficulté de l’homme. L’expertise médicale de la mort n’est apparue que pratiquement à la fin du XIXème siècle et le certificat médical de décès n’est obligatoire que depuis 1937 pour permettre à l’officier d’Etat civil de délivrer le permis d’inhumer. Ce n’est qu’en 1948 que l’arrêt circulatoire est annoncé comme signe légalement reconnu de la mort par décret. La difficulté inhérente de définir et de préciser le moment et l’heure de la mort, difficulté qui a toujours existé, va se trouver accentuée par ou du fait des progrès de la réanimation à partir du milieu du XXème siècle, où la réanimation permet de suppléer des fonctions cardiaques et respiratoires qui représentaient jusqu’alors les critères scientifiques indiscutables de la mort. Ces avancées vont nécessiter de revoir la définition épistémologique de la mort. (...) Un petit rappel historique s’impose. (...) Le nouveau concept de mort cérébrale se dessine à partir de 1959, à partir des descriptions de coma dépassé de Mollaret et Goulon. En 1965, le Professeur Goulon avait organisé un gros colloque à Marseille qu’il avait intitulé : ‘Les états frontière entre la vie et la mort’ et reconnaissait à l’époque l’absence de critères simples, indubitables, objectifs qui permettent de dire clairement s’il y a mort. Le terme de mort cérébrale apparaît pour la première fois dans un article qui relate une greffe à partir d’un organe prélevé sur un patient ... ‘à cœur battant’ ! C’est donc le développement de la transplantation qui va nécessiter de toute urgence, de la part de la communauté médicale, une définition claire de cette mort cérébrale pour permettre le prélèvement d’organes et recueillir l’acceptation sociétale d’une telle procédure. En 1968 on valide le concept de mort cérébrale (5 août 1968, déclaration de Harvard aux USA et 25 avril 1968 : circulaire Jeanneney en France) mais on se garde bien d’en préciser les critères, les Américains disant qu’il faut les établir en fonction des connaissances et en France, la fameuse circulaire Jeanneney dit que l’élaboration des critères va être imminente et proposée par l’Académie de Médecine. Il faudra attendre 28 ans pour les voir apparaître. La France a donc eu quelques mois d’avance sur les Américains pour décréter que la mort cérébrale était un état de mort. Monsieur Cabrol, deux jours après la promulgation de cette circulaire, va faire la première greffe à partir d’un donneur considéré en mort cérébrale. (...). L’arrivée de ce concept a apporté avec lui une multitude d’interrogations éthiques et a engendré nombre de controverses et de confusions, beaucoup n’y voyant qu’un prétexte pour légaliser le prélèvement d’organes sur personne ‘décédée à cœur battant’. (...) Ce concept [de mort encéphalique] est aussi initialement controversé même chez les professionnels de la santé puisque si vous regardez des études des années 80, vous vous rendrez compte que 40 pour cent des professionnels de santé sont très réticents à admettre cette mort cérébrale. Cette méconnaissance reste encore aujourd’hui à mon sens le frein le plus important pour l’acceptation du don et [la mort encéphalique] reste le parent pauvre de l’information au grand public, et principalement le principal responsable du refus des familles confrontées au don d’organes. Ce scepticisme est dû à l’aspect non conventionnel de la mort, puisque le cœur bat et la peau est chaude. Penser que ce corps est mort n’est pas aisé.

Pour ajouter à la difficulté de compréhension, deux concepts vont voir le jour : celui de la mort encéphalique : ’whole brain death’, adopté aux USA, en France et aujourd’hui par une majorité de pays, qui exige la destruction du cerveau et du tronc cérébral ; et la mort du tronc cérébral : ‘brainstem death’, concept adopté au Royaume-Uni et en Inde, qui reconnaît à cette seule destruction (celle du tronc cérébral) le statut de mort. Ce qui est sûr, c’est que ces deux états sont des états de non-retour à la vie - personne n’en est jamais réchappé -, et que la respiration est abolie. Il faut donc une suppléance de la fonction respiratoire. Ces états conduisent toujours à court terme à l’arrêt de toutes les fonctions de l’organisme, quels que soient les moyens de réanimation mis en œuvre. Les différents pays, qu’ils aient adopté la mort encéphalique ou la mort du tronc cérébral, ont rapidement ressenti la nécessité de légiférer sur la validité médico-légale de ces morts, mais aussi sur les critères de définition, la finalité de ces critères étant de constater l’état irréversible du constat de la mort. Ce qui frappe, ce qui dérange, ce qui va alimenter la confusion, c’est que les critères retenus varient d’un pays à l’autre. Or là on ne peut pas invoquer des différences culturelles. On demande des faits scientifiques, aussi ces variétés de définition ne facilitent-elles ni la compréhension et, surtout, ni l’adhésion du grand public. Ainsi, dans certaines législations, la seule observation clinique suffira à établir le diagnostic de la mort, dans d’autres pays, on exigera un test ou un examen de confirmation pour valider le caractère irréversible de cette mort cérébrale. Je vous ai représenté là l’article du Monde qui est paru juste avant le fameux décret du 22/12/1996 qui régit la définition de la mort encéphalique en France. Cet article souligne la difficulté de la rédaction du décret définissant la mort encéphalique, et témoigne des avis divergents, qui au sein même du corps médical se sont exprimés sur un thème aussi sensible et d’une grande portée symbolique. L’article souligne aussi que ces dispositions s’inscrivent dans un paysage fort contrasté, qui voit l’opinion publique avoir à la fois confiance dans l’efficacité des équipes médicales et redouter ‘la rapacité de ces mêmes équipes’. La conclusion de cet article met l’accent sur le travail pédagogique à accomplir pour faire en sorte que soient mieux perçus les objectifs, les difficultés et les nécessités pratiques du corps médical. On voit bien que dans tous ces textes, dans tous ces besoins de législation, les peurs ont changé, les peurs se sont déplacées : la peur de l’inhumation prématurée a fait place à la peur des morts qui n’en seraient peut-être pas. Il y avait donc urgence à vraiment donner des définitions claires et précises de cette mort encéphalique et de celle du tronc cérébral. (...) Concrètement : suivant les critères retenus dans les différentes législations, vous serez reconnu comme mort à 17h00 en Espagne dès la réalisation du premier EEG puisqu’il s’agit là des critères adoptés en Espagne, par contre dans la même situation en France, on devra attendre quatre heures de plus et réaliser un deuxième EEG pour vous décréter mort. Aux Etats-Unis, où dans la moitié des hôpitaux, les critères d’observation du tableau clinique sont suffisants, suivant les Etats, il faudra attendre 6 à 24h00 avant de vous déclarer mort. L’hétérogénéité de ces critères, l’absence de consensus, les controverses, tout cela favorise naturellement l’apparition de nouveaux courants et je voudrais vous citer les deux principaux qui sont tout à fait opposés.

D’une part on entend de plus en plus de voix s’élever pour remettre en cause la mort cérébrale elle-même, tout en admettant le caractère irréversible du processus, c’est-à-dire la non possibilité de retrouver la conscience et la respiration, et le fait que ces états [la mort du tronc cérébral et la mort encéphalique, ndlr.] peuvent conduire au prélèvement d’organes. Mais ces mêmes voix insistent pour séparer cet état propice à faire un prélèvement d’organes et la mort. Il faut souligner qu’en Europe, le Danemark s’était longtemps distingué. La mort encéphalique y était vue comme un état permettant d’aller aux prélèvements d’organes, mais il était entendu que la mort ne survenait véritablement qu’avec l’arrêt du cœur pendant le prélèvement des organes. C’est lors d’un référendum que la population du Danemark va réagir : selon elle, cet état de fait n’est pas logique. Il faut que la mort soit l’instant où on fait le diagnostic de mort encéphalique pour que ce système de transplantations d’organes soit acceptable et compréhensible. C’est sa population qui a rangé le Danemark dans la mouvance de tous les autres pays d’Europe. A l’opposé de ces voix qui réclament de ne plus parler de mort cérébrale, il y a des voix qui demandent à aller encore plus loin, et réclament la reconnaissance de la mort néocorticale, c’est-à-dire le statut de mort à celui qui ne posséderait plus ses fonctions corticales supérieures, en arguant du fait que la mort de la personne prime sur celle de l’organisme, et que s’il n’y a plus de personne, il n’y a plus de vie. Ce concept de mort néocorticale est initié par un neurologue écossais (...) qui s’appuie sur l’étendue des lésions de la matière grise interdisant tout rapport conscient avec le monde extérieur. Mais dans ces cas-là, la respiration spontanée est le plus souvent préservée. La commission présidentielle américaine de 1981, qui avait adopté la mort encéphalique, avait rejeté ce concept et a interdit de considérer cette situation comme un état permettant le prélèvement d’organes, mais conclut quand même que le caractère irréversible de la perte de conscience ne pouvait être affirmé en l’état actuel des connaissances, mais laissait la porte ouverte au cas où un jour on pourrait définir exactement les zones qui seraient responsables de cet état-là. Si de prime abord on devait mettre un jour en évidence les contours exacts de la région du cerveau responsable de cette fonction et pouvoir démontrer le caractère irréversible de sa destruction, une nouvelle polémique s’engagerait inévitablement sur la définition et l’instant de la mort. L’exemple le plus médiatisé de cet état-là était celui de Mme Terri Schiavo, qui a fait un arrêt cardiaque le 25/02/1990 et sur sa tombe vous voyez :’Elle a quitté cette terre le 25/02/1990 et demain [31/03/2007, ndlr.] sera l’anniversaire de sa mort légale puisque son mari, après beaucoup de procédures juridiques, a pu faire arrêter la nutrition parentérale et elle est décédée après l’arrêt de la nutrition, c’est-à-dire quelques jours : il est évident que ça ne va pas aussi vite que quand on arrête un ventilateur, mais elle est morte parce qu’on lui a arrêté l’alimentation parentérale qu’elle avait depuis 15 ans."

Pour en revenir aux tentatives de législation en France : Les critères annoncés par la Circulaire Jeanneney de 1968 sont effectivement élaborés 28 ans plus tard, avec les lois de bioéthique d’août 1996, révisées en 2004. Il y a une définition de la mort qui repose sur la mort encéphalique, autrement dit : quand il y a un coma tel que les gens ne pourront jamais revenir et qu’ils sont obligés d’avoir des machines pour respirer, pour tout, en fait, puisque le cerveau ne marche plus. Donc la définition légale de la mort en France repose sur une incompétence du cerveau. Ce qui est paradoxal, c’est que cet état de fait est inscrit dans la loi en France tandis qu’aux USA et en Grande-Bretagne, de nombreux articles scientifiques affirment qu’on ne peut pas dire que les gens en état de mort encéphalique sont morts. Cette situation est paradoxale, on pourrait parler d’un « retard à l’allumage » en France. Il faudra encore attendre quelques années pour qu’il y ait une prise de conscience de cet état de fait en France.

En 2005, pour faire face à la pénurie de greffons, la législation Française s’est intéressée à la reprise des pratiques de prélèvements d’organes « à coeur arrêté », c’est-à-dire sur des patients « présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant ». Je cite un extrait du rapport de l’Académie Nationale de Médecine du 14/03/2007, intitulé « Prélèvements d’organes à coeur arrêté » :

« Depuis 1968 et jusqu’à présent, le prélèvement a été limité aux donneurs à coeur battant en état de mort cérébrale. Dans le sillage des expériences étrangères, la loi française a ouvert depuis août 2005 une voie nouvelle, celle des ’décédés présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant’ autorisant le prélèvement des reins et du foie. » Ce même rapport précise :

« Il n’y a qu’une seule forme de mort : la mort encéphalique, qu’elle soit primitive ou secondaire à l’arrêt cardiaque ».

Or cette définition légale de la mort aboutit à un paradoxe : dans le cas de la mort encéphalique, le coeur bat encore alors que le cerveau est détruit, tandis que dans le cas des sujets « décédés présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant » (forme de « décès » rendant possibles les prélèvements « à coeur arrêté »), le coeur ne bat plus, tandis que la mort du cerveau n’est pas requise. Ce qui conduit au paradoxe suivant : comment affirmer le décès d’un sujet « présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant », mais dont la destuction du cerveau n’est pas requise avant le prélèvement de ses organes, si la seule forme de mort qui prévaut médicalement et légalement est celle du cerveau, qu’elle soit « primitive ou secondaire à l’arrêt cardiaque » ? Autant dire que ce sujet ne décèdera qu’après le prélèvement de ses organes, puisqu’avant le prélèvement, la destruction du cerveau n’est pas établie. Je rappelle qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible de déterminer avec certitude le moment précis de la destruction du cerveau, dans le cas d’un sujet « présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant ». A quel moment un tel sujet se trouve-t-il en mort encéphalique ? Combien de temps la mort encéphalique intervient-elle consécutivement à l’arrêt cardiaque et respiratoire persistant ? Ce fait n’est pas encore scientifiquement établi.

On voit bien que les tentatives de définir la mort d’un point de vue légal, dans le but de permettre l’activité des prélèvements d’organes sur donneurs « décédés » se heurtent à des contradictions insurmontables. Pourquoi ? Il y aurait un conflit insurmontable entre la nécessité de laisser passer suffisamment de temps pour que le décès d’un donneur d’organes potentiel puisse être raisonnablement prononcé, et la nécessité de prélever des organes (greffons) viables, ces organes ou greffons devant être prélevés le plus tôt possible. D’où l’adage anglo-saxon exprimant ce dilemme : « as dead as necessary, as alive as possible » : le donneur potentiel d’organes, dont on dit qu’il est décédé, doit en fait être aussi mort que nécessaire (aux yeux de la loi) tout en étant aussi vivant que possible (pour que les organes prélevés soient transplantables).

Dans les pays anglo-saxons, depuis quelques années, nombre d’articles scientifiques affirment qu’il est inadéquat de parler de donneurs morts dans le cas de donneurs d’organes en état de mort encéphalique ou de donneurs « décédés présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant » (prélèvements « à coeur arrêté »). Selon ces mêmes articles scientifiques, Il serait plus adéquat (honnête) de parler de donneurs mourants. Voici un article scientifique récent, qui synthétise cette tendance et en explique les raisons :

« Seeking an ethical and legal way of procuring transplantable organs from the dying without further attempts to redefine human death. » Auteur : Evans DW., MD, Queens’ College, Cambridge, UK. In : « Philosophy, Ethics and Humanities in Medicine (PEHM) », juin 2007, N°29, pages 2-11.

« Because complex organs taken from unequivocally dead people are not suitable for transplantation, human death has been redefined so that it can be certified at some earlier stage in the dying process and thereby make viable organs available without legal problems. Redefinitions based on concepts of ’brain death’ have underpinned transplant practice for many years although those concepts have never found universal philosophical acceptance. Neither is there consensus about the clinical tests which have been held sufficient to diagnose the irreversible cessation of all brain function—or as much of it as is deemed relevant—while the body remains alive. For these reasons, the certification of death for transplant purposes on ’brain death’ grounds is increasingly questioned and there has been pressure to return to its diagnosis on the basis of cardiac arrest and the consequent cessation of blood circulation throughout the body. While superficially a welcome return to the traditional and universally accepted understanding of human death, examination of the protocols using such criteria for the diagnosis of death prior to organ removal reveals a materially different scenario in which the circulatory arrest is not certainly final and purely nominal periods of arrest are required before surgery begins. Recognizing the probably unresolvable conflict between allowing enough time to pass after truly final circulatory arrest for a safe diagnosis of death and its minimization for the sake of the wanted organs, Verheijde and colleagues follow others in calling for the abandonment of the ’dead donor rule’ and the enactment of legislation to permit the removal of organs from the dying, without pretence that they are dead before that surgery. While it may be doubted whether such a ’paradigm change’ in the ethics of organ procurement would be accepted by society, their call for its consideration as a fully and fairly informed basis for organ donation is to be applauded. »


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