La philosophie n’est
pas une matière, son histoire avant de lui être extérieure (éditeurs,
université) lui est d’abord intérieure : Le vingtième siècle a signé la
fin des philosophies à système (genre Hegel, Kant, etc.), la mise à mal de l’humanisme
en mode naïf (aussi bien via les structuralistes que surtout Heidegger), la
clôture de la métaphysique (dépassement du dépassement nietzschéen du
platonisme). De l’intérieur déjà, la philosophie a abouti à ce pas décisif. Suite
à quoi, viennent bien sûr, ce que vous citez de Foucauld, ou encore Deleuze
considérant que l’œuvre du philosophe est de forger des concepts nouveaux, pas
d’enseigner, parce que ce n’est là que faire du charme.
Mais le temps de
la philosophie selon des « portraits raisonnés » du monde est peut-être
passé avec les weltanschauung ; mais tout autant ne faut-il pas
tomber dans ce piège du « concept comme outillage » propre à Foucauld.
C’est en gros ce que vous proposez face aux évolutions de la science, de la
société, etc. Or ce n’est pas ou plus le rôle du philosophe, j’y reviendrai sur
ce rôle. Bref, vous proposez de justement partir en quête de concepts nouveaux,
vu les nouvelles réalités.
Cela c’est une
double erreur d’aiguillage qui vous le permet :
- D’abord cette
énormité d’imaginer que l’édition et l’université pourraient empêcher de
philosopher ; or l’université, dans son projet initial, avec théologie au
centre, philosophie en conséquence, et science en périphérie, est morte avec le
darwinisme comme idéologie industrielle de la période victorienne. Désormais c’est :
marché → technologie → science → philosophie → théologie, et vous êtes, en
parole, actes et vécu, l’un des plus éloquents anatomistes de ce tableau ; l’ancienne
hiérarchie est totalement inversée. Ce n’est donc pas un « espace mort »
qui peut encore décider des modalités à venir du vivant de la philo… Quant à l’édition,
là encore, notre seul échange ici en ligne raconte toute sa crise et remise en
question. Bref, les deux critères que vous invoquez comme « obstacles aux
progrès et innovations de la philosophe » sont désuets et vingtième, si ce
n’est 19e. De plus, il n’est pas anodin de poser que la philosophie
serait tenue au progrès ou à l’innovation… Une philosophie du progrès par
contre, oui.
- Ensuite le
fait de dire qu’en France la science échappe à la philosophie… Oui, d’un
certain point de vue, c’est ok, mais allons donc, la science jamais n’échappe à
la philosophie, ce serait comme dire la mort de toute épistémologie, puis la
science n’est pas en France, où sommes nous là entre nos concepts vous et moi ?
en latitude 44 ou 33, en gmt = 0 ou gmt = -2…
Il semble
cependant que même si les critères de départ soient discutables, de l’intérieur
comme de l’extérieur, il y aurait crise ; cela implique que la philo non
pas s’accroche au rafistolage bateau du navire en naufrage de la science livrée
aux ravages du discours de la technique, mais en revienne aux fondamentaux :
penser la vie, penser la cité.
Sans le moindre
souci d’éditeur ou de fac surtout.
« les
pensées qui gouvernent le monde, disait Nietzsche, s’avancent à pas de colombe »
- voilà pour l’esprit sain.