En Ile-de-France, les services de
réanimation vont trier les patients. Quel patient allons-nous
laisser mourir ? Quel patient allons-nous sauver ?
L’alerte de 41 directeurs de crise de
l’AP-HP : « Nous serons contraints de faire un tri des patients »
Dans le JDD, 41 médecins réanimateurs
et urgentistes alertent sur la réalité du terrain, face à la
dégradation de la situation sanitaire. Voici leur tribune :
"L’épidémie de Covid-19 est
de nouveau en progression constante dans toutes les Régions, et
l’Île-de-France se retrouve malheureusement parmi les Régions en
première ligne. Dans les quinze prochains jours, les contaminations
ayant déjà eu lieu, nous avons une quasi-certitude sur le nombre de
lits de soins critiques qui seront nécessaires et nous savons d’ores
et déjà que nos capacités de prise en charge seront dépassées au
terme de cette période.
Il est trop tôt pour que la campagne
de vaccination puisse améliorer significativement l’évolution de
l’épidémie pendant cette période critique. Nous rappelons, s’il en
était besoin, que la vaccination reste l’arme essentielle à moyen
et long terme. Tous les indicateurs concordent pour affirmer que les
mesures actuelles sont et seront insuffisantes pour inverser
rapidement la courbe alarmante des contaminations.
Dans un but d’information et d’alerte
légitime de nos concitoyens, de nos futurs patients et de leurs
familles, nous souhaitons expliquer de manière transparente la
situation à laquelle nous allons devoir faire face et comment nous
allons l’affronter. Dans cette situation de médecine de catastrophe
où il y aura une discordance flagrante entre les besoins et les
ressources disponibles, nous serons contraints de faire un tri des
patients afin de sauver le plus de vies possibles. Ce tri
concernera tous les patients, Covid et non Covid, en particulier pour
l’accès des patients adultes aux soins critiques.
Nous n’avons jamais connu une telle
situation, même pendant les pires attentats subis ces dernières
années. Avant d’en arriver à cette période douloureuse mais
proche, nous mettrons tout en œuvre pour en retarder l’échéance en
utilisant toutes les ressources humaines et matérielles disponibles,
en procédant à des évacuations sanitaires au maximum des
possibilités même si celles-ci se réduisent de jour en jour du
fait même de la progression de l’épidémie dans toutes les autres
Régions.
Nous utiliserons toutes les solutions
innovantes qui pourraient permettre de limiter l’évolution vers des
formes graves et de réduire la durée des séjours en réanimation.
Ce tri se fera avec l’objectif permanent de garantir la disponibilité
des ressources en soins critiques de manière collective, équitable,
et homogène sur l’ensemble de notre territoire.
Le tri des patients a déjà commencé
puisque des déprogrammations médicales et chirurgicales importantes
nous ont déjà été imposées et que nous savons pertinemment que
celles-ci sont associées à des pertes de chances et des non-accès
aux soins pour certains patients. Ces déprogrammations vont devoir
s’intensifier dans les jours qui viennent, n’épargnant bientôt plus
que les urgences vitales. Depuis plusieurs jours, nous sommes déjà
contraints de peser soigneusement les indications de certaines
techniques de recours exceptionnel comme l’assistance circulatoire.
Nous, médecins impliqués dans la
prise en charge des victimes graves de la pandémie, affirmons que
nous serons présents auprès de tous les patients et de leurs
familles pour les prendre en charge quelles que soient les
difficultés de nos conditions d’exercice car c’est notre mission.
Nous savons pouvoir compter sur la mobilisation sans faille de
l’ensemble des soignants quelle que soit leur lassitude et malgré
des conditions d’exercice qu’ils n’imaginaient pas connaître un
jour. Nous ne pouvons rester silencieux sans trahir le serment
d’Hippocrate que nous avons fait un jour.
Les signataires :
Bruno Riou, directeur médical de crise
(DMC) de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) , Frédéric
Adnet, Alain Cariou, Marie-Pierre Dilly, Jacques Duranteau, Olivier
Langeron, Jennifer Sobotka, DMC de groupe hospitalier
(AP-HP), Élisabeth Balladur, Sébastien Beaune, Anne
Bourgarit-Durand, Olivier Corcos, Bruno Crestani, Benjamin Davido,
Pierre Deblois, Olivier Drunat, Albert Faye, Renato Fior, Pierre
Frange, Hélène Goulet, Anne-Sophie Grancher, Bérangère Gruwez,
Emmanuel Guérot, Magali Guichardon, Olivier Hanon, Nicolas Javaud,
Nadia Ladjouzi, Thibault Lecarpentier, Jean-Laurent Le Quintrec,
Galdric Orvoen, Éric Pautas, Benoît Plaud, Pierre-Alexis Raynal,
Éric Revue, Véronique Simha, Brigitte Soudrie, Dominique Thabut,
Samir Tine, Jean Vidal, DMC de site (AP-HP), Hawa Keita-Meyer,
présidente de la Collégiale d’anesthésie-réanimation
d’Île-de-France, Dominique Pateron, président de la Collégiale
AP-HP des urgentistes, Antoine Vieillard-Baron, Président de la
Collégiale de médecine intensive et réanimation d’Île-de-France.
https://www.lejdd.fr/Societe/Sante/exclusif-lalerte-de-41-medecins-face-a-la-crise-nous-serons-contraints-de-faire-un-tri-des-patients-4034448