@Étirév
Jacqueline
Chabbi, Les Trois Piliers de l’islam. Lecture anthropologique
du Coran
Mohammed Hocine Benkheira
Jacqueline Chabbi défend une thèse simple mais
forte. Selon elle, le Coran est l’unique témoignage (de
l’intérieur) sur le premier islam. Elle ne
conteste ni que cet islam soit né dans l’Arabie centrale, ni
l’identité de celui qui l’a prêché. Comme par la suite, l’islam
s’est étendu par les armes et par le prosélytisme au reste du
Proche-Orient, il s’est transformé profondément en assimilant
des peuples allogènes, porteurs eux aussi de cultures
spécifiques. Ainsi ce « second » islam, qui résulte
surtout de la « révolution » abbāside, est une religion métissée
et hybride, qui a totalement perdu ses caractéristiques
originelles.
(...) Chabbi pose comme hypothèse que la religion
préislamique se spécifie par l’idée de divinité. C’est là
qu’apparaît le premier « pilier » : l’alliance. Chaque
groupe humain (tribu ou clan) est l’allié d’une divinité
singulière, à laquelle ses membres doivent obéissance en échange
d’une protection et surtout d’une guidance (second
« pilier »), notion qui doit être comprise sur le plan pratique.
C’est aussi de là que découle le troisième « pilier » : le don.
(...) La divinité n’exige une obéissance que parce
qu’elle fournit une protection, une guidance et la subsistance.
Mais chaque groupe a sa propre divinité. La singularité de
l’islam est que ce fut une tentative d’imposer un dieu unique à
tous : Allāh. Ainsi le premier islam ne rompt pas avec la
religion arabe ancienne, mais se limite à la réorganiser autour
d’une divinité unique. C’est pour cela qu’elle écrit : « La
divinité protectrice, désormais unique, demeure néanmoins – pour
rester crédible – entièrement garante des fonctions de
protection et de guidance qui étaient assumées par les divinités
tribales récusées » (p. 229).
(...) Chabbi propose de souligner trois notions
dans le Coran : l’alliance, la guidance et le don. Elle les
appelle « piliers » par analogie avec les fameux Cinq Piliers :
il s’agit pour elle de rappeler que la religion du Coran n’a que
peu à voir avec celle des Cinq Piliers. On aurait pu en
sélectionner d’autres.
(...) L’auteur insiste également sur « la société
d’origine » (p. 13). Tout d’abord, celle-ci « n’était pas encore
musulmane au sens où l’entendront les musulmans d’après »
(p. 14). Cette idée est partagée par de nombreux spécialistes
maintenant. Sur le plan sociologique, la société d’origine
« était organisée sur le mode tribal de familles patriarcales
qui étaient régies par des rapports de solidarité et
d’alliance » (ibidem). Le Coran doit être lu à la
lumière de ce fait. C’est pour cela qu’elle se démarque d’une
tendance lourde dans les études du proto-islam : « Accorder trop
d’importance au facteur religieux aux dépens du facteur sociétal
constitue une grave erreur de méthode historique lorsqu’on
étudie le premier islam » (ibidem). Elle récuse
également l’approche qui prévaut ces dernières années et qui
insiste sur les rapports entre textes chrétiens ou
judéo‑chrétiens et Coran. Selon elle, le Coran se sert des
éléments empruntés à la Bible, mais dans sa propre
perspective. Du reste, c’est non pas du Nord, mais du Sud,
plus exactement du Yémen, « que remonte la première thématique
biblique » (p. 39).
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https://journals.openedition.org/assr/33569