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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Qu’est-ce que l’imagination ?

Qu’est-ce que l’imagination ?

Dérivé du mot image, en latin imago, imagination est de la famille étymologique du verbe imiter qui signifie reproduire ce que l'on a perçu. Mais, si nous réfléchissons plus avant, imaginer ne serait-ce pas plutôt la faculté de reformer différemment ce que l'on voit, de le modifier au gré de notre fantaisie ?

Les mélodies que l'on entend sont douces,
mais celles que l'on n'entend pas sont plus douces encore :
aussi, tendres pipeaux, jouez toujours,
non pas à l'oreille sensuelle, mais plus séduisants encore
modulez pour l'esprit des chants silencieux.

Keats ( Ode à l'urne grecque )

" Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, il n'y a pas imagination", écrit Gaston Bachelard dans "L'air et les songes". Alors qu'est-ce que l'imaginaire et qu'est-ce qu'imaginer ? On pourrait envisager qu'imaginer est une façon particulière de voyager dans sa pensée, de concevoir, d'inventer des images, des formes ou des figures nouvelles, car c'est la loi même de l'expression poétique que de transgresser l'ordre des choses, de s'octroyer la liberté de voguer à sa guise sans plus se référer à des idées précises, en quelque sorte une façon de s'affranchir des concepts habituels de l'esprit. En règle générale, l'imaginaire ne relève ni du domaine de la sensation, qui est un phénomène subi, ni de celui de la perception, sinon ce ne pourrait être que d'une perception d'absence. Imaginer, ce serait poser le réel en néant, néantiser ce qui est. " Tout imaginaire paraît sur fond de monde, mais réciproquement toute appréhension du réel comme monde implique un déplacement caché vers l'imaginaire. Toute conscience imagineante maintient le monde comme fond néantisé de l'imaginaire et réciproquement toute conscience du monde appelle et motive une conscience imagineante comme saisie du sens particulier de la situation " - nous dit Jean-Paul Sartre. Le philosophe Alain a montré, pour sa part, en quoi une image diffère d'une perception, parce que dans la perception la chose est inépuisable, alors que l'imaginaire ne peut pas être observé ; imaginer, c'est envisager un être ou une chose absent, c'est sortir de ce qui est donné ici et maintenant. " Il n'y a point d'images, il n'y a que des objets imaginaires" - précise Alain.

Pour Platon, par exemple, l'image n'est qu'un second objet, une réplique, une perception passée qui redevient présente sans être semblable pour autant. Similitude avec ce qui a été, statut paradoxal à classer entre l'être et le non-être, glissement du réel vers le non-réel. Ce que nous percevons, soulignait-il, n'est plus la réalité vraie, puisque nous sommes déjà dans un monde d'apparence. Pour lui, le vrai monde, le monde supérieur ne pouvait être que celui des idées. Il faut se rappeler que Platon, contrairement à Aristote, supposait que les idées nous précédaient et existaient de toute éternité. A partir de cette supériorité de l'idée sur l'image, Platon envisageait trois mondes : le monde des concepts, le monde dans lequel nous vivons et le monde des artistes qui est celui de l'illusion et du simulacre, un monde d'autant plus dangereux que l'homme est sensé céder facilement à la magie des artifices.

Pascal n'était pas très éloigné de cette vision des choses, lorsqu'il écrivait : "C'est cette partie décevante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité si elle était infaillible de mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux". Le philosophe reprochait à l'imagination de troubler notre raison et de fausser notre jugement qui ne savait plus alors discerner et apprécier. Quant à Descartes, il considérait l'imagination comme le degré le plus bas de la pensée. Elle n'était jamais qu'une modalité qui ne s'expliquait que par sa relation étroite avec le corps ( sensation ), celui-ci ayant le pouvoir d'activer l'imaginaire. Si bien qu'il n'attribuait à l'imagination que des images en corrélation directe avec les sens. Malbranche ne l'appelait-il pas la folle du logis ? Mais s'il peut en être ainsi de l'imagination dite reproductrice, qui nous transporte ailleurs mais parfois à la dérive et nous divertit à bon compte, qu'en est-il de l'imagination créatrice qui n'adhère plus au réel, crée des images inédites, tisse un réseau d'actualités innovantes et initie un voyage au pays de l'infini ? Pour celui qui réfléchit, elle est un mirage mais un mirage fascinant, imposant - nous dit Bachelard - le réalisme de l'irréalité. Elle prend alors les allures d'un "psychisme précurseur" qui projette des impressions intimes sur le monde extérieur. Ne serait-elle pas alors la reine des facultés, celle qui permet au poète et à l'artiste en général d'entrer dans le monde des correspondances ? Désormais, l'esprit invente, consent au fictif, c'est-à-dire à ce qui n'est pas, tant il est vrai que nous ne pouvons pas vivre sans ces contrastes et variations qui tendent tous à modifier les choses. C'est une forme de liberté face au réel qui tient le monde à distance et fait preuve d'une dynamique novatrice, tant et si bien que même le savant, l'inventeur ont eu, à un moment ou à un autre, recours à elle. 

Il est évident que cette imaginaire-là se situe bien au-delà du psychologique. On devra donc trouver une filiation régulière du réel à l'imaginaire, car comment oublier l'action signifiante de l'image poétique ? Elle n'est autre qu'un sens à l'état naissant. Son rôle est de notifier autre chose et de faire rêver autrement. L'image littéraire, c'est-à-dire l'image créatrice, ne vient pas habiller une image nue mais donner parole à une image muette, finalisant un désir humain. Cette faculté nous aide à mieux comprendre dans quelle mesure notre conscience peut être envahie, habitée, voire submergée, par des productions différentes de celles habituelles de l'esprit. Tous les arts ont été inventés pour perpétuer un moment d'éphémère où le non-réel se laisse capturer. D'ailleurs ne serait-il pas plus judicieux de parler d'imagination novatrice ?

Mais pour quelles raisons les hommes aspirent-ils à ce point à quitter la réalité ? Simplement parce qu'elle est frustrante, qu'elle ne parvient pas à satisfaire leurs désirs. Le phantasme, le rêve, l'art témoignent de ce processus de compensation. L'imagination fait partie de l'économie de la vie. Elle reste consciente, contrairement à la folie, et elle n'est nullement pathologique. Privés d'elle, nous ne saurions vivre, parce qu'elle est une source de création permanente qui produit des images originales et vivantes : - " on les éprouve dans leur lyrisme en acte ; elles donnent - et tout particulièrement les images littéraires - une espérance à un sentiment, une vigueur spéciale à notre décision d'être une personne, une tonicité même à notre vie physique" - ajoute Bachelard, qui poursuit : - " Le livre qui les contient est soudain pour nous une lettre intime ". Ce rapport très particulier entre l'imaginaire et le réel est celui qui relie le pouvoir créateur de la pensée en l'homme à sa situation de créature limitée, à cette finitude qui le rend dépendant du monde extérieur. En l'homme se trouve donc une faculté centrale qui peut devenir la folle du logis si l'on n'y prend garde, mais sait se hausser, dans la mesure où elle est régulée, jusqu'à l'art qui est en nous la manifestation d'une puissance essentiellement créatrice. Cette faculté produit des schèmes. Un schème est une méthode, un dynamisme d'où fusent les idées. Kant écrit : " C'est un art caché dans les profondeurs de l'âme humaine". Et Nabert : " Nous avons donc une imagination pure, comme pouvoir fondamental de l'âme humaine qui sert à priori de principe à toute connaissance". Elle est, en conséquence, le signe absolu qu'en l'homme existe des ressources mystérieuses qui le dépassent. 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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7 réactions à cet article    


  • mahatma mahatma 28 décembre 2011 11:50

    Ce que nous appelons le réel, la réalité n’est qu’une interprétation de la perception que nous nous en faisons à travers le mécanisme sens de perception + cerveau + filtre de la personnalité+conscience.
    Cette interprétation unique à chaque individu a comme limites celle de nos sens et celle du filtre des capacités rationnelles de notre cerveau ainsi que celles du « filtre » de notre personnalité. On pourrait dire que c’est une interprétation limitée de la réalité, car elle est principalement expérimentée à partir du filtre de la personnalité.
    La conscience est « oubliée, ignorée », « fondue » dans la personnalité.

    Et si l’imagination était un mode d’interprétation de la réalité en mode « étendue »,
    on passe alors par une version « virtuelle » (et parfois plus affutée et étendue) des sens de perception, le filtre rationnel du cerveau est en mode réduit (ou bien il se place sur une fréquence autre que celle liée au rationnel), le filtre de la personnalité également, on pourrait presque dire que l’expérimentateur est bien plus la conscience non personnelle, non individuel mais qui s’individualise dans une personnalité virtuelle qui dure le temps de l’expérience d’imaginer.

    Possible que dans cette perception étendue (moins « filtrée »)dans l’acte d’imaginer, qu’un pont soit bâtis entre conscience et inconscient, laissant alors un espace de potentiels d’expériences aussi étendu que l’infini et au delà ...^^


    • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 28 décembre 2011 19:02

      Il est certain que l’on peut très bien se positionner de façon à rétorquer : le réel est-il vrai ? Le vrai est-il réel ? Nos sens peuvent nous tromper autant, sinon plus, que notre affectivité et par voie de conséquence notre subjectivité. Notre perception est dépendante d’innombrables facteurs.


      • ddacoudre ddacoudre 29 décembre 2011 00:03

        bonjour armelle

        En règle générale, l’imaginaire ne relève ni du domaine de la sensation, qui est un phénomène subi, ni de celui de la perception, sinon ce ne pourrait être que d’une perception d’absence. Imaginer, ce serait poser le réel en néant, néantiser ce qui est.

        Je ne suis pas tout a fait d’accord avec cette définition.

        Il ne peut y avoir d’imaginaire en dehors des sens ou alors il faut admettre que d’autres perceptions dont nous n’avons pas conscience exercent leur activité et inter réagissent. Cela fait l’objet d’une recherche médicale sur les interférences des cellules, mais d’un coté où de l’autre il ne peut y avoir une quelconque indépendance du sujet qui imagine, de son histoire « géohistorique ».

        Nous ne sommes pas capable de créer sans un long cheminement parfois inconscient des éléments qui viendrons sur la base de réactions émotionnelles à son environnement définir une valeur qui est propre au sujet que ne traduit pas le système commun de la définition et désignation des choses admise pour fonder, mais la désignation formulé devient restrictive dans le même temps voire castratrice et renvoie à l’absence de formulation la singularité, car la formulation admise et fondatrice ne peut contenir toutes les variations qui font de chacun de nous un sujet singulier, pas seulement dans sa constitution biologique , mais par sa vie unique et son observation que personne ne peut faire à sa place car aucun autre ne peut poser les pied ou sont les siens.

        l’imaginaire sort donc de l’absence non défini ce que le sujet ressent.

        si je pose une un ligne du zéro à l’infini et j’y défini le mot aimé tous comprennent sa signification, mais chacun en aura sa valeur propre. pourtant en ayant donné une valeur a aimé j’aurais renvoyé a l’absence toutes les variations comprise entre le mot et l’infini ou le zéro bien qu’ils existent.

         il ressort donc d’un consensus sur une valeur communément admise (un peu beaucoup passionnément pas du tout), qu’elle ne peut recouvrir la totalité des variations et chacun pourra faire ressortir sa propre valeur absente qui sera alors peut-être qualifié d’imaginaire dans le champ que tu cibles, d’utopie dans d’autres.

        Ce n’est donc pas poser le réel en néant mais en insuffisant.

        ddacoudre.over-blog.com
        cordialement.



        • Claude Courty Claudec 29 décembre 2011 09:03

          Merci Armelle, intéressant sujet qui pourrait être l’occasion de réfléchir et d’échanger sur ce qui semble manquer à nombre d’entre nous.


          Contribution sous forme d’une réflexion (semi humoristique) suscitée il y a peu de temps par l’actualité scientifique et dans laquelle je remplace pensée par imagination :

          « Des particules se déplaceraient plus vite plus rapidement que la lumière. »

          La pensée (imagination) ne serait-elle pas elle aussi composée de particules ? De quoi remettre en question les théories scientifiques les plus avancées, non ?

          S’agissant de sa vitesse de déplacement et non de la vitesse de son élaboration, qui est tout autre chose, la pensée (imagination) est de toute évidence plus rapide que la lumière, sans qu’il soit besoin de se livrer à de savant calcul pour le savoir. Ainsi, n’est-il pas possible de se trouver transporté instantanément par la pensée en n’importe quel lieu de l’univers, connu ou non ? Il suffi de le décider pour être par exemple transporté en une fraction de seconde sur la la lune, là ou l’homme posa le pied pour la première fois, après avoir fait le détour par ses propres souvenirs pour y retrouver l’image de l’événement qu’en donna en son temps la télévision. N’est-ce pas plus rapide que de mettre moins de deux secondes pour faire trois fois le tour de la terre, comme est capable de le faire la lumière ?

          Le temps, est présenté par les uns et les autres comme une des composantes de l’univers qui passe, à des vitesses différentes selon l’endroit de cet univers où il est observé, alors que tout passe dans cet univers, sauf le temps, qui lui est immuable.

          D’ailleurs, la pensée (imagination) et la lumière ne convergeraient-elles pas vers cet infini que se partagent le temps et l’espace ?

          Il se rejoindraient alors dans cette aventure à laquelle est livrée l’homme depuis son origine et où se mêlent l’imaginaire et le réel, le spirituel et le matériel, le virtuel et le concret, le charme du rêve et la rigueur de la science


          • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 29 décembre 2011 12:53


            @ Claudec

            Cette hypothèse est très intéressante. Tout est onde, alors...


          • Sinbuck Sinbuck 29 décembre 2011 11:10

            Imagination et création sont intimement liés dans le monde des énergies cognitives (la pensée). L’acte de créer est un fait dans le monde des énergies physiques (la matière) et il s’associe à la reproduction sexuelle pour prolonger la formation de nouveaux corps. 

            Il existe donc un contre-balancement entre l’énergie imaginative (plan émotionnel et mental) et l’énergie sexuelle (plan physique). Plus l’énergie sexuelle est contenue, plus l’énergie de l’imagination est stimulée... Si les hormones des gonades ne sont pas libérées, « l’énergie hormonale accumulée » monte au centre de la gorge pour alimenter les hormones liées à la thyroïde. C’est un des processus de stimulation de l’imagination (venu d’orient) mais d’autres processus existent. 
            Comme l’effort volontaire effectué sur son « potentiel d’abstraction » par auto-observation ou bien par compréhension des grandes théories mathématique/philosophique/théologique/psychologique...
            L’abstraction est cette possibilité plus ou moins aisée (mais que l’on peut travailler) de manipuler l’énergie cognitive qu’elle soit émotionnelle (subjectivité) ou mentale (objectivité causale ou a-causale). 
            L’imagination est un acte de création dans notre mini-univers individuel et ne soyons pas innocent, le ciel étoilé du grand univers a bel et bien était imaginé avant d’être manifesté ! 

            • gordon71 gordon71 1er janvier 2012 13:28

              imagination création inspiration, processus inexplicable et mystérieux, et c’est tant mieux

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