Le Mythe du Progrès dans l’Evolution - (livre L’EVENTAIL DU VIVANT - Seuil 1997 – de Stephen Jay GOULD, sous-titré LE MYTHE DU PROGRES)
Le livre du paléontologue Stephen Jay Gould '' L' éventail du vivant " (Seuil – 1997) est sous-titré "Le Mythe du Progrès ". En effet, dans sa volumineuse quatrième partie, il traite de cette idée si répandue, qui place l'homme au 'sommet' du vivant, ce qui impliquerait un Sens de l'évolution des espèces.
Livre que je recommande vivement à la lecture. En effet, il aborde nombre de sujets d'une manière qui désarçonne nos certitudes.
Ce livre s’attaque à des convictions souvent bien ancrées dans nos populations. Gould décortique ces modes de raisonnement logiques mais faux, quasi-évidents, en trompe-l’œil… raisonnements souvent valorisants pour nous, que nous « gobons » aisément… mais qui ne tiennent pas la route.
Aujourd’hui, qui peut raisonnablement contester le fait de l’Evolution, que Darwin appelait « descendance avec modification » ? Cette définition de Darwin dit bien de quoi il s’agit, et tous les parents le comprennent.
Le Pape Jean Paul II lui-même a œuvré en vue d’une meilleure intégration de la Foi et du fait de l’Evolution. (*) Il affirmait avec force que "La Vérité ne peut pas contredire la vérité ", évoquant par là celles de la Révélation et de la Science.
Cependant, certains aiment à penser que les Dieux auraient intégré un mécanisme de Progrès dans le processus de l’Evolution, avec le dessein que ce Progrès mène à l’apparition de l’homme : In principio erat verbum ! D’ autres pensent qu’il existe un mécanisme de progrès « Naturel ». Dans les deux cas, ce mécanisme expliquerait pourquoi, qu’il le veuille ou non, Homo sapiens se trouverait au ‘sommet’ du vivant.
>>> L' AVIS DE DARWIN sur ce point du mécanisme du Progrès.
Clarifions tout de suite que, dans ses premiers carnets, Darwin note pour lui-même que le sentiment du Divin découle d’une particularité de notre organisation neurologique. Le thème du Progrès, quant à lui, avait aussi été abordé du temps de Darwin : Le paléontologue Alpheus HYATT avait proposé une théorie évolutionniste fondée sur un « progrès intrinsèque ». Darwin lui répondit (lettre du 4 déc.1872) « … j’ai la ferme conviction qu’il n’existe aucune tendance naturelle au développement progressif. »
Darwin ne laisse aucune place au ’’progrès’’ dans le processus de l’évolution. Dans les premiers chapitres de son livre ’’De l’origine des espèces’’, il établit 4 grands principes :
1- Tous les organismes tendent à produire plus de descendants qu’il n’en peut survivre.
2- Ces descendants présentent entre eux des variations et ne sont pas des copies conformes d’un type immuable (ref. les ''essences" platoniciennes)
3- Une part au moins de ces variations se transmet génétiquement aux générations futures.
4- Le principe de sélection naturelle en découle : les survivants seront statistiquement plus nombreux pour ceux dont les variations seront mieux adaptées au changement de l’environnement local du moment. Au fil du temps, l’accumulation de ces variations avantageuses produit un changement évolutif
>>> LE LIVRE "L' EVENTAIL DU VIVANT" de Stephen Jay Gould reprend les différents thèmes des partisans de l’idée de « Progrès » dans l’Evolution, et les met en pièces. Ce sont :
> L' Evolution est un miracle, car elle contredit la seconde loi de la thermodynamique.
En 1987, le Psychiatre Morgan Scott PECK consacre un chapitre de son livre “The road less travelled" à la thèse du ‘’miracle de l’évolution ‘’ : « L’une des lois fondamentales de la nature est la deuxième loi de la thermodynamique, qui affirme que l’énergie s’écoule spontanément d’un état de plus grande organisation vers un état de moindre organisation. » (...) « Je dis que l’évolution est un miracle, car, dans la mesure où elle est un processus d’accroissement d’organisation et de différenciation, elle va à l’encontre de la loi naturelle. » Peck ajoute : « … cette ‘chose' qui, durant des millions et de millions de générations, a défié avec une telle constance et un tel succès la ‘loi naturelle’ traduit probablement elle-même une loi naturelle non encore définie. »
Gould réfute ainsi l’argument : « … cette deuxième loi, habituellement appelée loi de croissance de l’entropie (=du désordre) au cours du temps, s’applique uniquement aux systèmes fermés, qui ne reçoivent aucun apport d’énergie de la part de sources extérieures. La Terre n’est pas un système fermé ; notre planète est en permanence baignée d’un flux massif d’énergie solaire et l’ordre terrestre peut donc croître sans violer la loi naturelle. En revanche, le système solaire, dans sa totalité, forme un système fermé et est donc soumis à la deuxième loi de la thermodynamique. Le désordre croît effectivement au sein de ce système (…) mais cela ne s’oppose pas à une longue (mais temporaire -note JPC-) accumulation locale d’ordre dans ce petit recoin d’Univers appelé Terre. »
> L' avènement de "l'Âge de l'homme" a été permis par le Progrès dans l'Evolution, après quelques "impasses évolutives".
En 1992, Edward Osborne WILSON publie « The diversity of life », livre dans lequel il expose clairement le concept : « Les arthropodes, (…) suivis par les amphibiens, issus des poissons à nageoires charnues (…) et suivis par une explosion de vertébrés terrestres (…) allaient inaugurer l’Age des reptiles. Puis vint l’Age des mammifères, et enfin l’Âge de l’Homme. » (…) « De nombreuses régressions sont intervenues en chemin, mais la moyenne globale au cours de l’histoire de la vie s’est déplacée du simple et rare vers le plus complexe et le plus nombreux. » (…) « Le Progrès est donc une propriété de l’évolution de la vie dans son ensemble. (…) »
Gould remarque tout d’abord que « (…) la pensée occidentale et les faits incontestables d’archives fossiles qui débutèrent avec les seules bactéries pour mener aujourd’hui au noble être humain réclament à l’unisson un argument qui placerait le Progrès au centre de la théorie de l’évolution. »
Mais, si le Progrès était un processus général, qui s’appliquerait à toutes les espèces, pourquoi n’y aurait-il que l’homme au ‘’sommet ‘’ ? « (…) si le progrès est une telle réussite, pourquoi alors n’est-il pas plus répandu ? » Il note aussi l’immensité du ‘’bouleversement intellectuel’’ que constitue « (…) l’acceptation pure et simple de l’évolution en tant qu’alternative à la création divine (ce point a déjà été atteint du vivant de Darwin dans les cercles cultivés) et (tâche qui reste encore à accomplir) par la prise de conscience, en dépit des blessures narcissiques, que Homo sapiens n’est qu’un petit rejet à peine émergé sur un arbre généalogique gigantesque et ancien. »
L’idée de l’essence supérieure de l’Homme se nourrit de la pensée platonicienne. Dans le monde figé platonicien, « (…) les ‘’essences’’ traduisent une réalité supérieure, (…) tandis que la variation est accidentelle (…) » Dans la logique d’évolution darwinienne, « (…) la variation devient la réalité vraie, matérielle, tandis que (…) les ‘’essences’’ deviennent des abstractions mentales. » Et j’ajouterais ‘’temporaires’’ puisque l’évolution ne s’est jamais arrêtée en chemin…
Que conclut Gould face à cette croyance de l’avènement de ''l’Âge de l’homme’’ ? :
Le Groupe des Primates n’est pas une réussite de l’évolution : ni en termes de nombre d’espèces, ni dans la variété des radiations. « Quelles sont les véritables réussites de l’évolution mammalienne ? La réponse est tout à fait claire si l’on considère le nombre d’espèces et la vigueur des radiations : les rats, les chauves-souris, et les antilopes. (…) Ces trois groupes dominent le monde des mammifères, à la fois en nombre et en extension écologique. »
« Lorsque les groupes sont vraiment des réussites, toutes simultanément vigoureuses, nous sommes incapables d’identifier une trajectoire privilégiée. » (Pour les partisans du Progrès, il n’y a dans ce cas aucun sens de l’évolution pour le groupe considéré ») « Mais lorsque les extinctions ont tellement élagué le buisson évolutif qu’il n’en subsiste qu’une seule lignée (…) nous inventons un roman faisant de cette poussière une apothéose de l’évolution. (…) d’autres voies existèrent autrefois (…) que nous qualifierons ‘’d’impasses’’ (…) et la ramille survivante de ‘'tronc principal’’. » Ce point est très bien illustré si on considère la longue évolution et les nombreuses ‘’impasses’’ qui ont précédé les chevaux et les hommes actuels.
On pourrait aussi argumenter que l'intelligence analytique de l'homme est sans conteste une capacité pour laquelle il est le 'champion' sur terre. Sans doute. Mais il est d'autres formes d'intelligence où l'homme n'excelle pas. Pour s'en rendre compte, il faudrait d'ailleurs cesser de définir l'intelligence (en général) comme étant la forme d'intelligence qui est celle plus spécifique des humains.
Par ailleurs, l'intelligence analytique est loin d'être une garantie de survie dans le temps long. Christian de Duve, prix Nobel 1974, disait, à propos des dégâts souvent irréversibles que l'homme accumule sur la planète : "Si notre intelligence doit finalement être la cause de notre disparition, alors nous sommes victimes d'une mutation létale."
> Le Progrès de l'Evolution fait croître la taille dans les lignées.
Toutes les lignées de mammifères (ou autres) ont commencé par des individus de petite taille. L’accroissement de la taille des lignées est une tendance de l’évolution que le paléontologue Américain Edward Drinker COPE croit avoir identifié. Cette idée a été ensuite reprise sous le nom de ‘’loi de COPE’’. Le pourquoi de ce phénomène n’a rien à voir avec un prétendu ‘progrès’, et est très bien expliqué par Gould avec l’image de "la marche de l’ivrogne" :
( figure du livre L'EVENTAIL DU VIVANT - Seuil 1997 – de Stephen Jay GOULD )
« Un homme sort d’un bar complètement saoul et titube sur le trottoir, entre un mur et le caniveau (…) » (...) « L’ivrogne tombe à chaque fois dans le caniveau, mais son mouvement ne témoigne d’aucune tendance à cette forme de perdition. » En effet, « Un système en mouvement, physiquement limité par un mur à une extrémité et soumis à une dynamique purement aléatoire, sans aucune direction privilégiée, voit inéluctablement sa position moyenne s’éloigner du mur, quelle que soit la position de départ. » Bien sûr, dans son livre, Gould développe aussi son propos par des analyses sur nombre d’espèces. Le principe de la marche de l'ivrogne se vérifie aussi avec les souches de bactéries.
Cependant, la progression ‘’à droite du mur de gauche’’ ne peut pas être infinie, ni constante :
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La descendance d’une bactérie donnée peut être tant de plus grande taille que de plus petite. La survie de l’une ou de l’autre dépendra de son adaptation à son environnement propre.
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Les bactéries, comme pour tous les êtres vivants, seront limités en taille : soit par leur propre structure interne, soit par leur environnement.
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L’environnement insulaire fait que ne survivent généralement que les descendants de mammifères de petite taille. Cela a été vrai pour les éléphants nains en zone méditerranéenne, et cela l’est aujourd’hui pour les hippopotames d’Indonésie. (par ‘insulaire’’ il faut entendre un biotope isolé, et pas seulement une île).
Enfin, il est de nombreuses espèces qui se sont réduites en taille et/ou complexité par rapport à leurs ancêtres. « L’anatife se fixe sur la coque des bateaux et agite ses pattes dans l’eau pour trouver sa nourriture. Le parasite Sacculina a pour ancêtre des anatifes. Une fois adulte, il ressemble à un sac informe de tissus reproductif attaché sous le ventre de son hôte, dans lequel il déploie des ‘racines’ pour se nourrir aux dépends de son hôte. »
Parler de progrès, en général, n’a proprement pas de sens ! « Préférez-vous le marlin pour son superbe rostre ; le flet pour son étonnant camouflage ; la baudroie pour le 'leurre’ étrange émergeant de sa crête dorsale ; l’hippocampe pour sa forme élégante, si adaptée pour danser parmi les rochers ? Peut-on prétendre que l’un de ces poissons est ‘mieux’ ou 'plus progressiste’ que les autres ? La question n’a aucun sens. La sélection naturelle ne donne que des adaptations locales et ne représente jamais les étapes d’un processus général guidé par le progrès ou la complexification. »
> Grâce au Progrès, les espèces supérieures apparaissent après les espèces inférieures.
Ces deux concepts ‘inférieur / supérieur’ sont étrangers aux principes de l’Evolution. Darwin s’exclamait : « Ne dites jamais supérieur ou inférieur »
Gould l’explique simplement : « Le mammouth n’est pas supérieur à l’éléphant. Son seul ‘avantage’ est purement local : il est mieux adapté aux climats froids. Mais son ancêtre au poil rare était mieux adapté dans les climats chauds. » Quel serait le « sens du Progrès » dans ce cas ? Parler de Progrès n’a pas de sens. « Le mammouth est tout aussi parfait que l’éléphant, et vice-versa. »
> Le progrès dans l'évolution fait s'accroître la complexité
On voit plus de complexité aujourd’hui qu’il n’y en avait il y a quelques milliards d’années. C’est clair ! Mais cet hypothétique ‘progrès’ n’y est absolument pour rien !
La vie est apparue sur terre il y a approximativement 3,5 milliards d’années. « Pour des raisons physico-chimiques, la vie a nécessairement débuté à la droite immédiate du ‘’mur de gauche’’ de la complexité minimale, sous la forme d’une goutte microscopique. Elle n’a pas pu commencer en condensant directement un lion à partir de la soupe primordiale. » La Genèse, dans ses deux mythes de la Création (chap. 1et 2) divise la vie entre plantes et animaux.
« (…) la rupture la plus profonde se situe au niveau des organismes unicellulaires, entre les PROCARYOTES (cellules sans noyau, sans chromosomes, sans mitochondries, sans chloroplastes) et les EUCARYOTES (les organismes de type amibe ou paramécie, qui contient toute la complexité des cellules des organismes pluricellulaires. » (...) « Les procaryotes comprennent des groupes très divers collectivement désignés sous le nom de ‘’bactéries ‘’. »
« La diversification de la vie engendre une distribution biaisée à droite (…) une seule direction était ouverte à la diversification de la vie (…) : complexité croissante, conférant ainsi à la courbe de complexité une asymétrie à droite de plus en plus prononcée au fil du temps. » Gould clarifie : « Je reconnais que la créature la plus complexe a manifesté une tendance à croître en sophistication au fil du temps, mais je nie catégoriquement que ce spécimen extrêmement réduit conforte l’existence d’une dynamique générale de progrès dans l’histoire de la vie. » (...) « Une distribution entière ne se caractérise pas par un élément extrême.
Si l’on considère tout l’éventail du vivant, le seul argument concevable en faveur d’un progrès général doit postuler que le déploiement de l’aile droite (voir graphique) traduit l’existence d’une dynamique prédictible accroissant la complexité de TOUS les organismes. » Or, « (…) plus de 80% des espèces animales multicellulaires sont des arthropodes, et nous considérons généralement (…) presque tous les membres de ce phylum comme des organismes ‘’non progressistes ‘’. »
( figure du livre L'EVENTAIL DU VIVANT - Seuil 1997 – de Stephen Jay GOULD )
« Au cours du temps, les occupants de l’aile droite forment, non une séquence évolutive, mais une farandole de formes disparates débarquées là au hasard, l’une après l’autre. Historiquement, cette séquence pourrait se résumer ainsi, après les bactéries :
les cellules eucaryotes,
les algues marines,
les méduses,
les trilobites,
les nautiloïdes,
les poissons placodermes,
les dinosaures,
les félins à dents de sabre,
et Homo sapiens.
Après les bactéries, aucun organisme de cette séquence n’est un ancêtre direct de l’organisme suivant. »
« L’aile droite devait certes exister, mais les créatures qui la composent sont le fruit d’un processus totalement imprévisible, partiellement aléatoire, et entièrement contingent, et ne sont en rien prédéterminées par les mécanismes de l’évolution. » (...) « L’être humain est un pur produit du hasard, et non le résultat inéluctable de la directionalité de la vie ou des mécanismes de l’évolution. »
( Essai de présentation des vues de GOULD sur le thème du Progrès dans l'évolution )
JPCiron
:: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: : Notes :: :: :: :: :: :: :: :: :: :
(*) Giovanni Paolo II - 22 ottobre 1996 . DISCORSI DI SUA SANTITÀ SERVO DI DIO PAPA GIOVANNI PAOLO II ALLA PONTIFICIA ACCADEMIA DELLE SCIENZE. "riflessione sulla scienza agli albori del terzo millennio"
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