Dans le tramway
Segpa ... Utile
En direct avec eux.
Ma merveilleuse classe est en balade. Nous avons un long trajet en tramway devant nous. J'ai le portable sur les genoux et je vais décrire leurs comportements pendant ce trajet. Tout a commencé à 8 heures. Au moment de l'appel, trois absents, dont les deux garçons habituels qui cumulent les retards et les jours de congés. Pour le troisième, c'est plus étonnant, il doit être malade.
Sur le chemin du tramway, j'écoute les conversations. J'apprends qu'hier soir, une des filles était sur les Champs Élysées pour célébrer la qualification de l'équipe d'Algérie puis celle de la France. Elle a dû rentrer fort tard. Un détail sans doute ou bien une habitude.
Juste au moment de rentrer dans le tramway, un des absents surgit. Il est si souvent en retard que 20 minutes de débours sont pour lui une aimable plaisanterie. Comme il ne s'excuse ni ne dit bonjour, je lui dis qu'il est trop tard, qu'il est marqué absent et qu'il n'est nullement question de l'emmener à cette sortie dont il ignore tout. Il faut parfois sortir du cadre pour affirmer des limites.
Puis nous effectuons notre premier trajet. Le niveau sonore monte dans le véhicule et les gros mots ricochent de bouches en bouches. Une jeune fille est assise sur la rambarde, d'autres s'isolent pour échapper à la honte de ces furies si mal-embouchées. Je les comprends, j'ai honte d'être leur responsable, des passagers me regardent d'un air accusateur. Qui puis-je ?
Nous descendons pour attendre la correspondance. Nous avons de la chance, le tramway suivant a connu un problème ; nous l'apprendrons plus tard. Pour l'heure, c'est une attente d'un quart d'heure par ce premier jour de froid, c'est agréable. Les esprits s'échauffent et le manque de communication ne fait qu'aggraver les choses.
Sur le quai, les grossièretés fleurissent sans qu'ils soient particulièrement agités. Une habitude désormais dont ils ne peuvent se départir. Un garçon va s'acheter des croissants, il en offre un peu à ses camarades, je l'en félicite. Finalement, les contrôleurs nous invitent à prendre le tramway sur l'autre quai. Il va faire demi-tour. Il y a donc une coupure de ligne.
C'est la suite du voyage. Ils sont vraiment calmes. Nous pouvons nous parler, je ne ressens aucune agressivité à mon égard, même un certain respect. Mais rien ne change au niveau du langage. C'est à désespérer. Cette fois cependant, nous sommes seuls et personne ne me montre du doigt. C'est bien plus supportable.
Finalement, ce sont toujours les mêmes qui occupent l'espace sonore. Ils parlent haut, ils ont toujours quelque chose à raconter, du coq à l'âne, sans véritable communication. Les interjections servent de ponctuation avant de changer de sujet. Une jeune fille m'interpelle : « Est-ce vrai qu'il va neiger sur Orléans ? » C'est possible et ils espèrent tous la neige qui pour eux suppose qu'ils n'iront pas au collège … J'en souris ! Nous les avons formatés ainsi avec nos précautions stupides.
La visite se passa, c'est du moins ce qu'on en peut dire. Il est peu probable qu'elle fut utile, qu'ils en retinrent quoique ce soit ! Il nous faut rentrer et je les trouve particulièrement excités. L'incident ne tarda pas. Le groupe monte dans le tramway, les jeunes parlent fort, pas plus ni moins que d'habitude. Une dame, vieille femme excédée, élève immédiatement la voix. C'est à moi qu'elle s'adresse.
Elle méprise ces gamins, elle ne voit en eux que les représentants d'une diversité qui l'insupporte. Elle évoque la France et la dégradation des valeurs. Le ton monte, je demande aux élèves de s'éloigner. Madame en colère a la rage au cœur. Je suis contraint à mon tour de lui donner le fond de ma pensée. C'est son intransigeance et son mépris qui ont provoqué l'incident. C'est encore cet air du temps vicié et si intolérant.
Nous retrouvons cette pauvre femme à la sortie du tramway. Elle ratiocine, elle vomit sa haine de la jeunesse, de la différence, de je ne sais quoi encore. Madame s'en va folle de rage, il n'est pas besoin de s'interroger sur son prochain vote. Les élèves sont en colère. Dans le dernier tramway qui nous reconduit au collège, ils évoquent ce racisme violent. Lamia me dit : « Mais nous sommes tous nés en France ! » Comment lui dire que ce n'est pas le problème, que le pays sombre dans ce mal douloureux qui séparent les gens, qui les isolent dans leur haine.
Ils ne font plus de bruit. La confrontation à cette réalité a calmé leur ardeurs. Sans doute eut-il fallu qu'ils parlent un peu moins fort. Mais doivent-ils s'excuser d'être jeunes ? Doivent-ils se cacher quand ils croisent désormais ce genre de personne atrabilaire ? C'est une fois de plus moi qui a pris la colère finale. Que ce soient les parents de ces gamins, les gens ordinaires, les élèves eux-mêmes, l'enseignant est celui qui porte toutes les responsabilités, tous les défauts aussi d'une jeunesse qui n'est que le résultat de ce qu'en a fait cette société folle …
Je retrouve le collège avec soulagement. Au moins, je suis revenu avec toute la mauvaise troupe. Dans nos murs, nous avons encore le bonheur de ne pas croiser le tenants de la nouvelle France, celle qui veut exclure et redresser la discipline …
Voyageusement leur.
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