Depardieu et la jouissance du peuple
L’affaire Depardieu m’irrite, parce qu’il fait la chronique jubilatoire de la population, comme la font toutes les personnalités publiques. Comme si l’élitisme les immunisait contre tous les actes vils dont est capable l’humain. Et celui-ci ne serait que l’apanage du peuple, des humbles, des pauvres. Les élites étant censées représenter la probité, c’est à dire : honnêteté, droiture, loyauté, moralité, intégrité, fidélité, exactitude, transparence, franchise, scrupule, mérite, conscience, incorruptibilité, irréprochabilité, sens moral, vertu. Bref, mettre une clôture autour de la terre ou pour emprisonner les Hommes, ou pour les surveiller, ce que nous faisons.
Certes Depardieu ne sera pas le premier, ceci est une habitude historique pour prêcher l’exemple. Mais les élites sont punies un peu plus fort, par tous ceux qui les lapident en jetant leurs pierres du bout de la langue. Si chacun entrait dans ses fantasmes, ils ne jetteraient que des plumes que le vent emporterait. Un excellent ouvrage de 900 pages et sortie, Féménicide, les Meetoo n’en sont qu’une pâle représentation de la défense des femmes. Dans cet ouvrage elles cernent bien les sources des comportements agressifs des hommes, et l’attribut à juste titre au patriarcat capitaliste. Ce qui m’a fait écrire dans un essai et comprendre que le changement civilisationnel viendra des femmes, car s’ils devaient venir des hommes depuis qu'ils dirigent et sont au pouvoir nous le saurions.
L’autre problématique est de se laisser porter dans le sens du vent. Nous connaissons tous la promotion canapé. Elle n’était censée que concerner les femmes qui souhaitaient une promotion ou poursuivre leurs intérêts. Ce n’était qu’un paradigme de ce qui se passe toujours dans le monde, dans nos relations interpersonnelles au travail ou ailleurs, quand certains acceptent des soumissions par intérêt immédiat et qui, une fois, installée les dénonces, pour se faire pardonner de ne pas avoir eu le courage de se révolter au moment des faits. Il n’y a personne à blâmer pour ce que je viens d’écrire, seulement y réfléchir, sauf si nous ne sommes pas humains. Philosophiquement c’est pire, notre société réclame vengeance sous le vocable de justice, la dévoyant de sa fonction d’être juste, pouvoir qu’elle n’a pas, mais en qui tous les citoyens croient. En 2000 j’ai écrit un essai définissant notre évolution que j’observais. Je vous copie ce que j’en disais pour nous préserver de l’intolérance et de l’iniquité.
CHAPITRE I. SCIENCE ET VIOLENCE.
Si les hommes naissent égaux en tant qu’individus d’une espèce qui s’est qualifiée d’humaine, chacun né avec une ou des différentiations qui vont assurer sa singularité lui permettant de s’adapter à son environnement. Pourtant nous savons qu’au fil du temps, cet humain que nous sommes a évolué et il est donc susceptible de poursuivre son évolution. Dans son organisation il a développé des schémas qui l’ont conduit jusqu'à notre société actuelle avec son organisation économique qui génère ses inégalités. Tout ceci ne s’est pas fait sans violence, et se poursuit toujours dans ce cadre-là.
Toutefois, nos sociétés deviennent de moins en moins violentes, du moins pour ce qui est de la criminalité violente. Il y a moins de crimes qu’il y a deux cents ans, et en Grande-Bretagne par exemple, les crimes étaient dix fois plus nombreux au Moyen-âge qu’aujourd’hui.
Ceci est dû principalement à l’avènement de l'État tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cet État d’essence démocratique, où priment la volonté générale et la recherche de l’intérêt général. Le tout est garanti par les règles d’un droit qui reconnaît l’égalité entre les hommes, excluant tout concept discriminatoire fondé sur des notions de races, de philosophies, de religions.
C'est à l'État le seul, émanation du peuple, de posséder le monopole de la violence légitime, telle que le définit Max Weber. Monopole de la violence mis en œuvre par le pouvoir politique, au moyen de la force publique, pour faire respecter les règles de droit acceptées par la population qui respecte les décisions d’un pouvoir légitimé par l’élection au suffrage universel. Ce droit structure la société civile et évite, en prenant en charge le Règlement des conflits individuels issus des rivalités mimétiques, une escalade de la violence engendrée par le principe de vengeance.
Cette transformation de la société dite civilisée, en rendant le crime moins courant, a rendu ce dernier de moins en moins tolérable. L’habitude d’un événement le banalise et le rend acceptable et accepté, par un phénomène d’accoutumance. A contrario, la rareté induit un sentiment d’anormalité de la chose, une espèce d’incongruité sociale. Le crime vient perturber directement l’ordre des choses, l’ordre social. Il provoque chez le citoyen qui a pris l’habitude de s’en remettre à la société, ou plus exactement au pouvoir politique, une impression de vulnérabilité.
On dira aujourd’hui un sentiment d’insécurité, ou d’impunité, relayé et amplifié par la caisse de résonance médiatique, et l’exploitation politique inévitable. Comme l’ont souligné Philippe Robert et Marie-lys Pottier, pour « l’insécure », le problème d’insécurité est un problème de société lorsque ses amis sont au pouvoir, et un problème politique lorsqu’ils sont dans l’opposition. Ainsi, monte dans l’opinion publique, un sentiment qu’Émile Durkheim qualifierait d’anomie, et donc une menace pour la société, dans son ensemble. Devant une baisse du contrôle interne, les citoyens sont prêts à abandonner une part de leur liberté au nom de leur sécurité, en réclamant un plus grand contrôle social externe.
La demande des citoyens est alors l’exigence d’un accroissement des forces de l’ordre et de celui des systèmes punitifs, auxquels souscrivent hypocritement les politiques qui savent qu’une fois l’effet psychologique passé son impact dissuasif disparaîtra. Ils entraînent par couardise les citoyens dans une escalade répressive qui les poussera à demander des mesures d’eugénisme, comme Hitler voulait des chambres à gaz, car la délinquance n’est pas le produit d’un jeu de rôle, mais la conséquence d’une désocialisation due en partie aux problèmes d’inégalités sociales non résolues. Tout comme les incivilités sont aussi la marque d’individus qui font état d’irrespect envers ceux qui les méprisent et les marginalisent, leur renvoyant à tort ou à raison ce qu’ils ressentent. Qui plus est, la crainte des citoyens qu’ils perçoivent les renforce dans cette voie, en leur donnant le pouvoir de dominer ceux qui les méprises par une forme de terreur dont ils jouissent, et qui parfois ne connaît plus de limite.
Ce comportement est particulièrement communicatif chez les jeunes qui se côtoient dans les écoles aux âges où ils mettent à l’épreuve la permissivité des adultes et recherchent leurs propres limites. De ce fait, ils sont accessibles aux informations médiatiques qui leur fabriquent des habits d’adultes sur mesure par souci commercial, et qu’ils endossent par mimétisme. Si l’on y ajoute l’ostracisme et la xénophobie, tous ces éléments concourent au sentiment d’insécurité. Alors ensuite, ce que l’on réclame à la justice de l’État, ce n’est plus une justice « équitable », mais d’expurger le mal et de venger les victimes. On lui demande d’entreprendre une campagne de purification au bout de laquelle l’on s’aperçoit qu’il n’y a pas grand monde de propre y compris ceux qui le demandaient.
Ce besoin d’inquisition s’est toujours manifesté dans toutes les sociétés, car il est sous-jacent du fait social qui semble toujours découvrir avec horreur les délits et crimes dont il est porteur dans l’unité de ses membres (les individus), et qui surgissent plus facilement suivant le type d’organisation que l’on se choisit, bien qu’il soit plus difficile à discerner dans les démocraties. Au moyen âge l’on exposait les délinquants et les criminels au pilori, et l’on brûlait sorcières et hérétiques. Aujourd’hui on les expose dans la presse populaire et autre, et les bûchers sont des fagots de mots qui remplacent le juge et le bourreau et font de l’opinion publique un « assassin » en liberté. Le plus souvent cela se fait au nom de la liberté de la presse qui ne cache que la jouissance du pouvoir qu’elle s’est octroyé grâce à l’angoisse et aux peurs qui paralysent la capacité de réflexion des individus, entretenues par la permanence d’une régression sociale qui se cherche des boucs émissaires. On ne peut tout à la fois demander qu’un individu soit mis à nu au nom de la vérité, qu’il soit donc fragile et vulnérable, et ensuite une fois qu’il est devenu faible, se jeter sur lui pour le « dévorer », et par-là se considérer comme des êtres civilisés.
On se trouve ainsi devant un autre phénomène de banalisation, celui du terme de sécurité. Devant le confort et l’abondance d’une très large majorité de la population des pays riches, le risque devient intolérable, et la notion de risque zéro fait recette.
Cette notion de sécurité absolue touche tous les secteurs de la société ; au principe républicain de la sécurité des personnes et des biens, vient s’ajouter la sécurité dans le domaine de la santé, des transports, sécurité dans le domaine de l’énergie, sécurité alimentaire, etc. Tout doit être sécurisé, et il en va de la responsabilité politique.
Avec cette demande de la société, le politique a introduit un concept dans le but de s’exonérer de la responsabilité : le principe de précaution. Ce principe qui fait, par exemple, qu’au moindre signe de maladie de la vache folle, on abat tout le troupeau. Principe qui conduit les citoyens devant une catastrophe naturelle à faire à l’État le reproche de l’imprévision, mais qu’ils se retiennent de le dire conscient d’être sur le point de dire une énormité. Principe de précaution qui pousse à fermer des sites industriels, naturels, publics, simplement présumés dangereux.
À quand l’idée de nous empêcher de naître pour ne pas prendre le risque de mourir ? Pour l’instant il semblerait que nous transformons les réalités des périls de l’existence en phobie.
Il existe de nombreux exemples encore. Mais ce qui semble intéressant, c’est qu’au nom de la sécurité, ce principe de précaution, qui peut paraître comme une émanation d’un bon sens populaire, peut avoir des « effets retards » sur l’organisation et la gestion de la société, par sa généralisation et donc sa banalisation, au point qu’il menace de devenir un principe de gestion accepté de tous, car demandé par la majorité. En tant que principe général de gestion du risque, il sera alors applicable face à tout problème identifié comme susceptible de présenter un risque potentiel pour la société ; une application faite au nom du peuple par la légitimité élective, et au nom de l’intérêt général.
Aujourd’hui, le principal problème des pays riches est de faire face à ce que l’on a désigné sous le vocable de violences urbaines et d’insécurité.
La répression ayant montré ses limites, certains se penchent sur la prévention du risque. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une prévention de type social, par la réduction des inégalités, la réduction de la misère, etc., autant de facteurs qui sont connus depuis le XIXe siècle comme criminogènes, par les travaux de Le Play. Il s’agit d’une prévention fondée sur la prévision du risque de manière à l’étouffer si possible dans l’œuf.
Les nord-américains, dans leur légendaire souci d’efficacité, ont cherché à mettre en œuvre un processus d’évaluation des populations à risque. Ceci a été mis en place dans les prisons pour prévoir les risques de récidives. Cette méthode « scientiste », basée sur des tables actuarielles comportant plusieurs critères, est censée mettre fin à des décisions prises sur la base d’examens cliniques et suspectés d’arbitraire. Le décideur se trouve donc épaulé par le scientifique, qui, par ce biais, rend sa décision quasi indiscutable et l’exonère de la responsabilité. De plus, la caution et le label des scientifiques rassurent un public toujours plus sécuritaire, répressif, et en quête perpétuelle de solutions miracles.
Ces études sont appliquées en milieu carcéral, notamment au Canada, mais pour beaucoup de personnes elles ont un défaut celui de ne s’appliquer qu’a des personnes incarcérées, c’est-à-dire ceux qui ont donc déjà commis un crime.
L’idéal se trouve alors, non pas dans le fait de savoir si l’on doit remettre en liberté un criminel ou pas, et ce de la manière la plus infaillible possible, mais d’éviter que ce criminel commette son forfait. Les scientifiques se sont donc lancés dans des études longitudinales portant sur trois générations de délinquants, pendant une quarantaine d’années. Ils en ont retiré un ensemble de données empiriques qui leur ont permis d’affiner le caractère culturellement transmissible de la délinquance.
Nous mettons tous en avant la science pour justifier des événements que nous n’aurions pas pu comprendre. Sauf que ce n’est pas un sésame ouvrant sur la vérité et les certitudes. Elles nous donnent des éléments associatifs pour notre réflexion, afin de penser l’avenir et comprendre le présent. Dans le monde des sciences humaines, ce cadre de disciplines vouées à l'étude de l'être humain, de sa culture et de ses relations économiques, politiques, et sociales avec son milieu, la science ne fait qu’ouvrir des portes ce qui oblige d’être tolérant et compréhensifs, ce que trop de citoyens polémiques présentent comme de l’intolérance et ne veulent que des pilori.
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