Féria
Du Minotaure, monstre à tête de taureau enfermé pour qu'il ne puisse plus se manifester à la conscience, et qui symbolise un état psychique et la domination perverse de Minos, (désir injuste, faute), refoulés et cachés, dans l'inconscient du labyrinthe ou dans le labyrinthe de l'inconscient ; du mythe de Mithra, Dieu des religions à mystères, représenté sous la forme d'un héros égorgeant un taureau, le premier vivant dont le sang répandu donnera naissance aux végétaux et aux animaux et dont le symbolisme de l'alternance cyclique de la mort et de la résurrection est l'unité permanente du principe de vie, la mort est inséparable de la vie.
Depuis plus de trois mille ans avant notre ère, le taureau est une bête altière à la fougue indomptable, symbole de l'esprit mâle et combatif, des puissances élémentaires du sang.
En Asie, le taureau noir est rattaché à la mort, c'est un animal primordial.
Dans la symbolique analytique de Jung, le sacrifice du taureau représente le désir d'une vie de l'esprit qui permettrait à l'homme de triompher de ses passions animales primitives et qui, après une cérémonie d'initiation, lui donnerait la paix.
Le taureau est la force incontrôlée sur laquelle une personne évoluée tend à exercer sa maîtrise.
En Inde, le taureau se rattache au complexe symbolique de la fécondité ; il figure l'énergie sexuelle, le taureau que chevauche Çiva est dominé pour transmuer cette énergie en vue de son utilisation spiritualisante...
Nous sommes dans le mythe du héros, le plus connu et le plus répandu, dans toutes les civilisations de tous les temps.
Du Minotaure donc à la côte de bœuf charolais rôti à votre souhait sur une braise de souches de vignes ou dans la poêle Tefal compatible avec votre plaque...à induction nucléaire... quel est le lien ?
Ce lien pourrait être la corrida.
L'habit de lumière, le rite de l'habillage, le sacrifice du taureau, sont un archaïsme ?
Au cas où vous ne le sauriez pas, tout sacrifice se passe en public, au cours d'une fête et quelque soit la civilisation concernée, les sacrifices ont toujours existé ; certes notre société s'est coupée de toutes attaches irrationnelles assumées et partagées, mais ce n'est en rien un progrès puisque le problème subsiste dans le cœur de l'homme qui ne fait que l'occulter !
Dans toutes les sociétés évoluées qui ont précédé la nôtre, là où l'homme avait l'humilité de sentir son appartenance au Tout, la mise à mort d'un animal pour se nourrir se faisait en public et la fête autour de ce moment était une reconnaissance rendue à l'animal.
Le taureau de boucherie est abattu, comme on arrache une carotte, pour nourrir l'humanité qui en a les moyens : ça c'est moderne (donc mieux). Inutile d'ajouter qu'aujourd'hui, les élevages en batteries et les abattoirs sont des lieux secrets où aucun regard extérieur n'est admis.
Mais mes contemporains haïssent, par défaut, le lien.
Tout lien.
Ils se veulent libres ! Sans frontières, sans racines, sans culture, sans ancrage d'aucune sorte.
Du passé faisons table rase : nous ne naissons de rien et nous allons nulle part ; tout le reste pour eux est obsolète, obscurantisme voire barbarie.
Tout ce qui est chargé de sens, de symboles, d'histoire leur est étranger.
Et ces gens-là aimeraient bien faire la loi, mener le monde à leur image.
Si les choses évoluent avec les sociétés, l'homme ne pourra jamais faire l'impasse à son inconscient : il tente de le faire aujourd'hui et l'on voit de quelle société élaborée il est capable !
Car l'homme n'a pas vocation à s'extraire du Grand Tout ni mission de le réduire en le dominant.
Sans ses origines, son passé, l'infime présence éphémère de sa petite existence, fut-elle luxueuse, est vaine. Vaine d'autant plus qu'elle ignore ou occulte le plongeon dans les abîmes de son inconscient, les abysses de la magie, le lien à ce qu'il ne maîtrise pas.
La Féria.
La Féria, des vendanges, de Pentecôte, dans les arènes de Nîmes, mais aussi dans la rue, dans les bodegas improvisées dans des garages, la Féria de Pâques à Arles ou de l'Ascension à Alès, même vécue par la plupart comme une énorme beuverie avec spectacles de rue, musiques et peñas ou comme un spectacle où l'argent est devenu roi pour des snobs qui n'y comprennent rien, reste pour certains le moment de célébration de l'appartenance au monde, cette connaissance ésotérique, ou simplement une immersion dans l'inconscient collectif, qui se révèle là.
L'homme et la nature, et son besoin inchangé de s'y mesurer.
C'est, me semble-t-il, la seule survivance d'une confrontation d'égal à égal ; contenus dans cette égalité, l'intelligence, le mental et les aides de l'homme.(1)
C'est une parenthèse dans ce monde qui va à vau- l'eau, à cause d'une prétendue omnipotence de l'homme sur sa planète dont il n'est en réalité qu'un hôte irrespectueux et destructeur.
Une attache en quelque sorte, un retour à un défi plus profond, primordial.
La parade qui consiste à mettre toute son énergie pour en obtenir l'interdiction, est un paravent ou une fuite loin de ce que l'on ne comprend pas et que, regardant du petit côté de la lorgnette, on juge hâtivement, cruel et barbare.
Certes il y a du sang, certes, il y a la mort, mais le sang et la mort ne sont pas perversion mais nature. Quelle facilité de se fixer sur ce combat singulier alors que toutes les barbaries, toutes les destructions ont lieu ailleurs.(2)
L'élevage du taureau brave est un élevage au même titre qu'un élevage de Salers, d'Aubrac ou de Charolais !
Une bête de combat, une bête qui combat quand elle est acculée, souffre plus de stress dans le camion qui l'emmène vers la mort, dans la prescience de son destin, dans l'odeur, dans la soumission forcée, la contrainte, l'attache ; mais pour les hommes qui sont prêts à avaler n'importe quelle substance pour fuir le réel, cette fin paraît moins douloureuse.
La seule idée du sang, la seule idée de la mort les remplit de terreur. Et ils ont si peur qu'ils voudraient ne plus la savoir exister car cette existence même leur est insupportable.
On pourrait aussi, et pourquoi pas, projeter qu'un être qui est fait pour combattre et à qui l'on interdit le combat, dont on ferait disparaître l'espèce parce que le combat heurte la sensibilité des citadins contemporains, est un être sacrifié sur l'autel de la pusillanimité ambiante !
Il ne faudrait pas que la superficialité et la douce hypocrisie de notre monde matérialiste gagnent...
Ces élevages donc sont les meilleurs qui soient (3), le troupeau vit dans des espaces immenses, sous le regard attentif du mayoral ; vers trois ans, les vaches sont « testées » au cours des « tientas » : les meilleures seront gardées pour la reproduction.
Le « sémental », lui, sera choisi pour son comportement dans le troupeau et sa conformation, ses capacités pourront être évaluées au cours d'une tienta spéciale où il n'aura en face de lui, et pour quelques instants seulement, qu'un homme traînant une branche d'olivier.
On devine pourquoi un taureau ne peut être toréé avant la corrida.
Le taureau a, dans son instinct, le combat : il combat pour sa suprématie ou quand il est acculé.
Ils sont transportés dans le courant de leur cinquième année ( un âge ou cinq générations de charolais ont été depuis longtemps mangés et digérés) dans des camions dignes de ceux qui transportent nos chevaux de course. Pendant une semaine avant la corrida, ils restent dans les corrales, à l'extérieur de la ville, où le mayoral en prend soin.
Les taureaux ne sont jamais touchés avant leur sortie dans l'arène ! De nombreux bruits ont circulé sur des meurtrissures faites à leur combativité ! Il n'en est rien.
Un taureau sort neuf dans l'arène, et s'il ne va pas au picador, c'est neuf que le torero le combattra.
Cependant, les taureaux mansos ne font pas montre de bravoure, il sont donc très dangereux parce qu' ils fuient le combat : on lui plantera des banderilles noires, au fer plus large.
« Face à de tels taureaux, l'homme est sans recours : le torero a besoin de la charge destructrice de l'animal parce que c'est le matériau qu'il modèle. Comme la gravité résiste au danseur ou le métal au sculpteur, le taureau résiste au torero. L'art du torero consiste à dévier l'agressivité de l'animal sur le leurre et la détourner à son profit pour créer des formes, belles si possible. » ( « La fête, l'art et le rite » Mireille Lagier-Ayma)
Le taureau est nu : il n'a que son instinct, sa force, sa détermination.
L'homme est nu, il n'a que ses banderilles ( imaginez ce que sont les banderilles pour un taureau comparées aux cornes d'un rival au combat), son agilité et sa capacité d'anticipation.
Il changera sa cape contre la muleta qui cache l'épée du... meurtre, si vous voulez.
Certains préfèrent l'abattage hypocrite... certains préfèrent la trahison.
Certains préfèrent vivre libres et mourir au combat, d'autres préfèrent vivres aliénés et mourir sans le voir.
On ne peut rien contre cela.
Le rejoneador à cheval, le toreador à pied, les peones, le picador, les chevaux... tout un code de comportement, une noblesse de l'agir, des actes justes qu'il faut connaître pour y porter le regard juste.
Certains préfèrent les corridas portugaises ; sans doute ignorent-ils que le taureau est lâchement assassiné dès qu'il rentre dans le toril. Ou alors, se moquent-ils de sa mort puisqu'ils ne la voient pas !
La corrida est un ésotérisme ; le profane n'y voit rien.
Et j'ai idée que la haine qu'elle suscite vient de beaucoup plus loin qu'un bon sentiment.
Ce qui se passe dans une arène défie la raison du philosophe ; ce qui se passe dans une arène remue l'homme depuis qu'il est homme et révèle une question inconnue qu'il n'a jamais résolue.
Le jeu du torero avec la vie avec la mort rappelle nos jeux avec la vie avec la mort, notre animalité, nos forces obscures ou lumineuses, nos faiblesses et nos peurs, nos dieux et nos démons.
Le torero est un artiste interprète qui se confronte à tout ce qui nous taraude depuis des millénaires, la sauvagerie, la puissance et ses défis, l'art et la mort.
Il porte nos lumières, il porte nos zones d'ombre.
Ce qui se passe dans une arène touche en nous des lieux profonds qui nous fascinent et nous effraient et que nous occultons ; ce peut être perversion, sublimation ou simple relation prosaïque à la chair et au sang.
Il existe mille regards qui sont mille reflets de nous-mêmes, ou notre regard à mille.
Combattre cette vérité incontournable est dérisoire.
Notre fascination pour la mort exposée- même enfouie, même refoulée- pour le combat, est notre peur, notre honte et nous les possédons ; alors l'artiste est là qui incarne tous nos impossibles.
Il se peut que l'artiste n'ait pas de génie ; il arrive que l'artiste n'ait pas de talent mais quoi que l'on soit face à cette réalité, on n'empêche pas cette réalité.
Certes celui qui est convaincu que son chat est heureux, peluche, castré, qui mange des pâtées et qui dort sur de la soie, ne peut pas comprendre ce qui se passe dans une arène.
Ni celui qui s'est garanti de toutes les aventures, assurés contre tous les risques, préservé de tous les inconnus.
Celui qui se croit supérieur, par sa culture, son savoir, son intelligence ou son argent, au dessus de ces pauvres combats primaires, ne comprend rien parce qu'il ne s'en échappe que par l'ignorance de cette ambivalence.
Le citadin moderne ne sait plus que la vie, non seulement son irraisonnable beauté mais encore son essence sont la précarité, le désir et l'effort.
La richesse et la gloire du torero n'empêche nullement sa promiscuité du symbolique, du divin et de l'instinct.
(Sorti de l'arène, l'homme qui, pendant une heure a combattu ses taureaux, portant son habit de lumière comme un artiste, c'est-à-dire comme lien entre le divin et l'humain, comme vecteur du sacré, dans un sens beaucoup plus profond que celui que la société moderne donne à l'artiste, cet homme devient un citoyen qui peut donner son cachet pour une cause humanitaire ou une catastrophe...)
Et si la barbarie subsiste dans le cœur de l'homme, ce qui semble ne faire aucun doute, autant qu'elle soit hissée au niveau de l'art et du génie, qu'elle soit sublimée.
Cependant, la barbarie : « il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation...sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage. » (Montaigne) et la cruauté- qui impliquent perversité, irresponsabilité, abus de pouvoir, manque d'ampleur dans le regard que l'on porte sur les choses et absence de regard sur ses actes- ne sont-elles pas filles d'une peur honteuse que l'on défoule ?
Rien de tout cela dans la corrida, dans ce combat qui demande maîtrise et où la peur est dépassée.
« Lui (le toro) ne pense pas, sa force pense pour lui, c'est un guerrier, un combattant, et moi, je suis fragile. Je n'ai rêvé pour lui et moi que de choses délicates, de lenteur, d'harmonie et de beauté ; et je suis là dans l'attente d'une violence sans pitié qui me tourmente, car nous allons nous tuer. »
(Alain Montcouquiol : Fumeur de Souvenirs)
Nous faisons grand cas de la mort dans nos discours frileux mais le moindre aperçu des réalités de notre monde nous prouve à quel point l'hypocrisie et la mauvaise foi nous enferment.
Quel est le prix de la vie.
Celui de la vie d'un taureau de corrida
celui de la vie d'un animal enchaîné que l'on traîne aux abattoirs
celui de la vie de l'araignée que l'homme écrabouille pour le confort de sa phobique moitié
celui de la vie de la couleuvre
le prix de la mienne ?
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Les aides, en équitation, sont tout ce que le cavalier utilise pour guider ou freiner son cheval : le mors, les rênes, la cravache,etc.
Ici, les banderilles, l'épée,etc.
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Au cours de la temporada 2012 ( et pour ne parler que de taureaux !) il y a eu environ 500 taureaux tués, y compris les novillades, les corridas de rejon et portugaises.
En comparaison, plusieurs milliers de porcs sont tués chaque semaine dans un seul abattoir de Bretagne !
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Je précise que je ne parle que de la corrida « dans son essence », actualisée dans le combat d'un homme supérieur, c'est-à-dire, non seulement technique et gracieux mais encore lien entre toutes les strates de l'humanité évoquées.
Il y en a, il y en a toujours eu ; mais de plus en plus, et malheureusement, de mauvais spectacles fleurissent.
Le public aussi se doit d'être un public averti et exigeant, et à cet égard, je voudrais rompre l'ineptie qui consiste à dire que le goût du sang attire toute cette bandes d'abrutis ! Le public averti et exigeant rejette et hue le mauvais torero qui n'a pas su tuer son taureau, d'un seul coup d'épée donné au bon endroit et qui cause la mort de l'animal en moins d'une minute.
Le public gracie le bon taureau brave qui a été bien toréé.
Vous pensez ce que vous voulez du jugement de ce public, du droit qu'il s'octroie d'apprécier l'animal, l'homme et leur combat mais les vrais aficionados sont tout sauf des amateurs de boucherie.
Quant à moi, je n'aime pas la corrida et, avant d'y être initiée, j'étais comme la plupart d'entre vous : sans rien en savoir, je la détestais.
_L'élevage de taureaux braves est un élevage extensif, en grands troupeaux, dans des conditions aussi naturelles que possible dans notre monde actuel.
Les vaches et les taureaux non sélectionnés, non remarqués, partent à la boucherie, comme de vulgaires charolais. Leur sort n'intéresse personne, aussi ne m'y attarderai-je pas.
_J'ai comme l'impression que les anti corrida détiennent une vérité et se comportent à l'égard des aficionados comme le clergé chez les sauvages qu'il voulait mater. Ces sauvages qui, leur semble-t-il, se rueraient avec autant de passion pour assister à la première exécution publique venue, comme il était de bon goût de le faire au XIXe siècle. Des amoureux du sang, du sadisme.
Il n'y a rien de tel chez les aficionados.
Les anti corrida me révèlent leur béance, leurs lacunes, leur sensiblerie et la violence et la haine qu'ils expriment au cours de leurs manifestations, me donne raison.
...
« On compare souvent la corrida à la tragédie : le taureau y est confronté à un destin tragique, les trois tercios le précipitent vers une mort inexorable. Il lutte, mais, comme dans la tragédie grecque, tout le monde sait qu'il ne peut pas se sauver. Jean Cocteau a parlé du « destin iphigénique »du taureau dans la corrida. Second protagoniste de la tragédie, le torero est aussi confronté à un destin tragique : les trois tercios le précipitent chaque fois plus près de la mort qu'incarne le taureau, il se sauve au moment même où il se rapproche le plus de ce destin, au « moment de la vérité », l'estocade. Enfin, le public de la corrida s'y exprime et son intervention fait partie intégrante du spectacle, c'est le troisième protagoniste de la tragédie antique : le choeur. » « ( Mireille Lagier-Ayma)
Les aficionados savent que la corrida mourra de corruption, de fric et autres entourloupes : alors ! Du calme !!!
Remerciements à mes ami(e)s des arènes de Nîmes pour les précisions, les corrections et la patience qu'ils(elles) ont apportées à ce texte.
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