Gilets Jaunes : Au-delà du 8 décembre, vers la sécession de la Province ?
Le 8 décembre à Paris marquera-t-il le premier succès du gouvernement face au mouvement des Gilets Jaunes ? Dans cette hypothèse encore très incertaine à l'heure qu'il est, la bataille remportée par l'Etat macronien dans la capitale pourrait bien préparer un développement supplémentaire de la crise...
Nombreuses sont les voix qui soupçonnent le pouvoir élyséen d'avoir laissé faire les violences à Paris, les 24 novembre et 1er décembre, afin de retourner l'opinion publique contre le mouvement. Une seule certitude : depuis le début du soulèvement des Gilets Jaunes, Emmanuel Macron et ses relais médiatiques ont employé tous les moyens pour le discréditer.
Il fut d'abord dit que la mobilisation s'étiolait, qu'elle ne durerait pas ; puis que ce mouvement était de nature d'ultra-droite, raciste, homophobe, antisémite, voire fasciste ; puis qu'il n'avait ni cohérence ni mots d'ordre communs. Or depuis le premier jour, il suffisait de se rendre sur les ronds-points de France pour constater que les Gilets Jaunes étaient déterminés à aller au bout car ils étaient pris à la gorge financièrement ; qu'ils étaient des Français moyens, globalement représentatifs de la société française, c'est-à-dire peu politisés, rarement encartés ou syndiqués comme la majorité des Français ; et qu'entre autres mots d'ordre communs, "Macron démission !" et "A bas le racket fiscal" faisaient bel et bien l'unanimité parmi eux, ce qui, pour peu qu'on les prenne au sérieux, est déjà substantiel en matière de convergence idéologique et de revendications.
Autrement dit, dans la rhétorique anti-Gilets Jaunes développée par le gouvernement et les médias subventionnés, tout était faux ou presque, et relevait le plus souvent de l'intoxication et de la diffamation. Trois semaines plus tard, chacun peut constater le résultat de cette stratégie indigne d'un gouvernement démocratique et républicain. L'écrasante majorité de l'opinion publique française s'est aperçue que l'Etat et les médias lui mentaient, et la popularité du mouvement, loin d'être entamée par ces calomnies, n'a cessé de s'amplifier, comme d'ailleurs le mouvement lui-même.
A la veille de l'Acte 4, c'est-à-dire du quatrième samedi de manifestation à Paris dont la violence est allée jusqu'ici crescendo, les médias et le gouvernement poursuivent dans cette voie qui leur a si peu réussi jusqu'ici. Accusant les Gilets Jaunes d'être responsables des déprédations perpétrées le samedi 1er décembre, alors que les destructions et les pillages ont été essentiellement le fait de groupuscules politiques extrémistes et de jeunes de banlieue, ils incitent à renoncer à la manifestation parisienne du 8 décembre.
Il est très difficile de prévoir ce qui se passera à Paris ce jour-là. La ville sera-t-elle mise à feu et à sang comme le craignent certains, au point de justifier une répression violente de la part des CRS et des gendarmes, voire de l'armée, sous les ordres du ministère de l'Intérieur et de l'Elysée ? Au contraire, les subterfuges échoueront-ils une fois de plus, et contribueront-ils, en attisant la haine à l'égard des médias, du gouvernement et de Macron, à une nouvelle escalade de plus en plus périlleuse pour le pouvoir, à l'heure où la police épuisée, elle-même paupérisée et traversée de révoltes, pourrait être tentée de fraterniser avec la foule ?
Dans l'hypothèse où, d'une manière ou d'une autre, le mouvement des Gilets Jaunes devait tourner finalement à l'échec à Paris, le gouvernement et les médias seraient bien mal inspirés de se réjouir trop vite. D'abord parce que Paris est le terrain le plus difficile pour un mouvement d'essence populaire.
En effet, si comme le notait Tocqueville dans L'Ancien Régime et la Révolution, Paris était jadis la France et lui donnait politiquement (ou révolutionnairement) le la, les temps ont bien changé. Ville bourgeoise caricaturale qui méprise tellement la Province qu'elle n'ose plus l'appeler de ce nom, préférant user d'expressions ridicules telles que "dans les territoires" ou "en région", Paris se moque comme d'une guigne du malheur de la classe moyenne de province, puisque le bobo et le bourgeois parisiens ne connaissent pas la crise, bien au contraire : la mondialisation, si elle fait d'innombrables victimes, a aussi ses gagnants, parmi lesquels les Parisiens sont au tout premier rang. Au second tour de l'élection présidentielle, Macron y a pilé Le Pen avec près de 90% des voix, un score de république bananière.
Dans l'hypothèse où, sur ce terrain hostile qu'est fondamentalement Paris pour les Gilets Jaunes, le mouvement devait finalement échouer, cette bataille perdue, loin de refermer les portes de la "guerre", pourrait bien marquer son changement de nature, en mettant en évidence la fracture abyssale qui sépare la capitale et la Province. Le mouvement des Gilets Jaunes n'aurait alors d'autre choix que de se replier sur ses terres d'origine. Pour le dire vite, l'affrontement passerait ainsi de la logique de l'insurrection à celle de la sécession. Aux Gilets Jaunes contre l'Etat bourgeois méprisant, manipulateur, déconnecté, spoliateur et foncièrement antidémocratique, succéderait la Province paupérisée contre la capitale égoïste et nantie. La victime provinciale en guenille devenue ennemie du tyran, contre son chouchou et soutien parisien cousu d'or. Les ingrédient rêvés d'une guerre civile...
Ainsi, pour le pays, une nouvelle phase de la crise pourrait donc s'ouvrir. La "victoire" de Macron et du Système à Paris le 8 décembre, loin de résoudre le problème, l'auraient donc encore amplifié. Et le pire serait donc à venir...
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