J’accuse : introduction générale
Suite à l’avant propos de la semaine dernière, je fixe dans ce second article le cadre général dans lequel s’inscrit mon accusation, et donne le plan de l’ouvrage.
Ces préjugés sont si puissants que ce n’est que depuis quelques siècles qu’ils ont été remis en cause. Timidement, d’abord, Descartes fit remarquer que « l’esprit des hommes était rempli d’erreurs et de faussetés », et « qu’il fallait faire table rase d’une multitude d’opinions avant que de pouvoir penser sainement. » Le fondateur de la science moderne ne manqua pas cependant d’appliquer sa fameuse « méthode » à la démonstration de la plus illusoire des fumées engendrées par l’esprit humain, à savoir l’immortalité de l’âme.
Il fallut attendre la fin du XIXème siècle, avec les expériences de Charcot et de Janet, puis les recherches de Freud, Breuer, Adler et Jung, pour mesurer l’ampleur du préjugé. La découverte des mécanismes hystériques, la mise à jour de l’inconscient individuel et de l’inconscient collectif, les premières études systématiques sur les schizophrènes et les psychotiques, révélèrent l’immense fragilité de l’esprit humain, et la précarité des fondations sur lesquelles il reposait. Une tempête polémique s’ensuivit, dont la vigueur était à la mesure de l’aveuglement dans lequel on avait été pendant des millénaires.
Au XXème siècle, des percées remarquables dans de nouveaux domaines accessibles à l’investigation scientifique portèrent le coup de grâce au préjugé antique. Alfred Korzybski, le fondateur de la sémantique générale[i] dans les années 1930 fut le premier à élaborer une théorie complète sur le fonctionnement réel du cerveau. Il montra, entre autres, qu’il existe une lutte perpétuelle, et à vrai dire inévitable, entre les observations objectives que nous nous efforçons de faire en temps réel, et tout un complexe d’habitudes, de préjugés, de croyances, qui nous inclinent à nous représenter les choses sous un jour tout autre que ce qu’elles sont en réalité.
Cette rivalité est d’une utilité reconnue quand il s’agit de se figurer des choses qui sont en dehors de notre perception. Quand nous entendons une histoire ou un témoignage, quand nous évoquons avec des amis des souvenirs, nous sommes bien heureux de pouvoir représenter en nous, imaginer, leur cadre spatio-temporel, et leurs différentes particularités. Les représentations ont cependant une tendance très pernicieuse : elles se substituent avec une facilité déconcertante à ce que nous avons devant les yeux. Si la carte dont nous disposons nous sied mieux, nous pouvons oublier totalement les indices qui nous montrent qu’elle ne convient pas forcément au territoire[ii] qu’elle prétend décrire.
Si nous supportons un homme politique depuis longtemps, nous aurons tendance à ignorer les affaires le mettant en cause, et à grossir celles de ses concurrents. L’état de folie amoureuse nous rend aveugle aux défauts et aux écarts de l’objet de nos désirs. Tout fidèle d’une religion élude ce qui remet en cause sa croyance, pour ne voir que ce qui est propre à la renforcer. Les publicitaires ont compris les premiers à quel point il était aisé de tromper le cerveau du consommateur en associant les produits à vendre avec des représentations et symboles agréables pouvant n’avoir aucune espèce de rapport avec lui.
Ce problème des inférences de nos représentations dans nos observations directes aboutit parfois à des distorsions véritablement extraordinaires. Les chercheurs en neurosciences, dans la deuxième moitié du XXème siècle, ont mis au point d’innombrables expériences visant à mettre en évidence ce parasitage de l’observation par les inférences. Celles de Daniel J. Simons sur l’attention sélective montrent de la façon la plus simple dans quel travers nous fait tomber une attention exagérément soutenue[iii]. Celle de Hilke Plassman montre que notre jugement sur une personne ou une chose peut varier du tout au tout selon qu’elle nous a d’abord été présenté sous un jour favorable ou défavorable : un même vin donne une sensation de plaisir plus intense, par exemple, lorsqu’il est associé à un prix plus élevé[iv]. Les observations de Festinger sur le phénomène de dissonance cognitive, montrent que placé devant une contradiction insoluble et désagréable, notre cerveau génère spontanément, et à notre plus complet insu, des chaînes d’arguments souvent invraisemblables, que nous acceptons cependant sans la moindre discussion dès lors qu’elles parviennent au résultat voulu, qui est de nous réassurer dans notre structure mentale habituelle[v].
Cette série de remarques sur la fragilité de l’esprit humain et des écueils auxquels il est quotidiennement exposé s’appliquent merveilleusement à cette étrange quoique redoutable maladie mentale des temps modernes connue sous le nom de conspirationnisme.
Le terme n’existe pas encore dans le dictionnaire, mais sa compréhension ne demande pas un grand effort de réflexion. Le conspirationnisme peut se définir, en faisant court, comme une tendance paranoïaque à imaginer que des sociétés secrètes dirigent les masses humaines en sous main, provoquant délibérément la plupart des événements historiques les plus importants. On peut l’associer à cet autre concept quasi jumeau qu’est celui de la théorie du complot.
Il existe de nombreuses théories du complot, presqu’autant que de croyances religieuses oserait-on dire. Certaines d’entre elles sont très célèbres : par exemple celle qui remet en cause la version officielle de l’assassinat de JFK en 1963, celle qui prétend que les étasuniens ne sont jamais allés sur la lune, celle qui prétend que l’incident du Tonkin qui a déclenché la guerre du Vietnam en 1964 a été organisé par l’administration Nixon, celle qui nie que les Nazis aient construit et utilisé des chambres à gaz pendant la seconde guerre mondiale. En fonction de leurs centres d’intérêt, de leur vécu et de leur caractère, les gens les plus crédules sont susceptibles d’adhérer à l’une ou l’autre des différentes théories du complot existantes.
Le fait nouveau, c’est que toutes ces différentes sectes semblent avoir trouvé aujourd’hui une bannière propre à les fédérer. Ces dernières années, s’est en effet répandue la plus incroyable de toutes les théories du complot jamais imaginée. Complexe, labyrinthique, sensationnelle, elle avait tout pour séduire et fédérer la totalité des conspirationnistes du monde entier, et pour, le première fois, recruter des adeptes dans des couches de la population qui auparavant l’auraient balayée d’un revers de main en éclatant de rire.
Cette théorie qui commence à prendre les allures d’une véritable pandémie mentale, pourrait se résumer ainsi les attentats du 11 septembre 2001 auraient été montés de A à Z par les membres les plus haut-placés de l’administration Bush au pouvoir de 2000 à 2008. Ben Laden dans cette affaire aurait été utilisé comme lampiste et serait le dindon de la farce. Cet « attentat sous fausse bannière » aurait été monté pour créer dans l’opinion publique étasunienne et mondiale l’électrochoc nécessaire à l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, et à la mise en place rapide de mesures de contrôle de la population visant à transformer insensiblement la démocratie étasunienne en dictature fasciste.
Naissance et développement de la théorie du complot sur les attentats du 11 septembre.
L’acte de naissance de la théorie du complot sur les attentats du 11 septembre 2001 peut être daté au mois de mars 2002. C’est à ce moment là que l’un de nos compatriotes, le journaliste d’investigation Thierry Meyssan, fait paraître un livre au titre choc : l’Effroyable Imposture, qui devient rapidement un best seller international. Puis il y eut le Nouveau Pearl Harbor de David Ray Griffin en 2003, premier opus d’une longue série pour cet auteur, qui depuis « vit », pour ainsi dire du 11 septembre. Théologien de formation, l’homme est depuis devenu ce qu’on pourrait appeler le « pape » du conspirationnisme.
Des sites internet entreprirent ensuite de regrouper les « informations » à l’appui de cette théorie du complot. Je me contenterais de mentionner, aux Etats Unis, le site AE911truth, et en France, le site repoen911, que l’on peut regarder comme la capitale immatérielle des conspirationnistes dans notre pays.
Ce sont certains films et reportages, toutefois, qui ont assuré à cette théorie du complot une diffusion d’une ampleur inédite dans l’histoire. Comme ils sont innombrables, je me bornerai à citer le plus célèbre d’entre eux, Loose Change, jamais passé sur une seule chaîne de télévision, mais visionné plus de 100 millions de fois sur internet. Conçu en 2003 par deux jeunes hommes âgés de 18 ans à peine, Dylan Avery et Korey Rove. Le film a connu depuis quatre versions successives, la dernière en date : un coup d’état américain devant paraître au moment où les premiers chapitres de cette étude paraîtront sur internet.
Avec le temps, ce qui au départ n’était qu’une insignifiante épidémie s’est transformé en une authentique pandémie. Les sondages sur ce point sont sans appel : la remise en cause par l’opinion de la version officielle des attentats du 11 septembre ne fait que croître avec les années. Dans une étude conduite en 2008 par l’université de Maryland, aux Etats unis, on relève que la proportion de ceux qui citent spontanément les Etats Unis comme responsables des attentats sont de seulement 5% en Angleterre, et 8 % en France, mais de 15 % en Italie et en Russie, 23 % en Allemagne, et 30 % au Mexique ! Et quant aux Etats Unis, le lecteur sera forcément stupéfié par ce sondage du NY Times qui nous apprend que 81 % des citoyens etasuniens pensent que l’administration Bush a menti ou cache quelque chose pour les attentats du 11 septembre, 16% des sondés seulement déclarant penser que l’administration Bush a dit la vérité.
Les cinq doigts de la main
Ce constat alarmiste étant fait, interrogeons-nous à présent sur les raisons du succès de cette théorie du complot. Comment a-t-on pu en arriver là ? S’il on creuse un peu, on s’aperçoit en fait que c’est une conjonction de facteurs qui est à l’origine de cette floraison foudroyante. Il me semble en avoir relevés cinq principaux. Les quatre premiers peuvent être rapportés aux motivations de certains citoyens ou groupes de citoyens, en fonction de leurs opinions politiques, de leur idéologie ou de leur profession. Le cinquième, a trait à l’évolution de la technologie et des télécommunications depuis vingt ans.
La haine des Etats Unis d’Amérique constitue une première motivation. On peut dire ’Nous sommes tous américains” comme Jean-Marie Colombani, dans l’éditorial du Monde du 12 septembre 2001, mais d’autres individus et pays ont toutes les raisons de jeter l’opprobre sur eux ou de se réjouir de les voir dans une position difficile. Le fait est que la totalité de ceux qui ont des raisons d’en vouloir aux Etats Unis ou qui les jalousent, ont remis en cause la version officielle des attentats. L’Iran d’Ahmadinejad, et le Venezuela d’Hugo Chavez ont ouvertement accusé l’administration Bush de les avoir organisés. Massivement, les pays arabo musulmans, ont été les premiers à prêter l’oreille aux thèses de Thierry Meyssan. La Russie de Vladimir Poutine, humiliée d’avoir perdu la guerre froide, et nostalgique de sa grandeur passée, a été la première à autoriser la tenue d’un débat public bipartisan sur la chaîne d’état ORT le 12 septembre 2008. En France, ce sont des gens comme Jean Luc Mélenchon, farouche antilibéral d’extrême gauche, et Jean Marie le Pen, du camp souverainiste, hostile aux Etats Unis et à l’OTAN, qui ont été les seuls politiques à exprimer publiquement leurs doutes, ce dernier allant jusqu’à se justifier ainsi, lors d’une interview donnée à Guillaume Durand en 2009 “ceci, qui est un écouteur, n’est-ce pas, n’est pas une chaise, alors si on me dit que c’est une chaise, je ne le croirai pas... et je partage la suspicion de millions de gens par rapport à la thèse qui a été avancée (...). On se moque de nous ! (...) J’ai le droit de douter, de cela comme d’autre chose. Je crois avoir le droit, en tant que citoyen libre, de douter de tout. On ne peut pas m’imposer de croire en quelque chose que refuse ma raison.” et il pousse même le culot jusqu’à qualifier son attitude de “voltairienne”.
L’antiaméricanisme comme motivation a évidemment été décuplé dans notre pays après la campagne de propagande de Chirac et de Villepin, et l’invasion controversée de l’Irak en 2003.
L’antisémitisme constitue une seconde motivation. Très vite après les attentats, des rumeurs ont commencé à circuler sur la possible implication des israéliens, par le biais de son service secret, le Mossad, dans l’organisation des attentats. L’une d’entre elles affirmait que les 4000 juifs travaillant au WTC ne se sont pas rendus sur leur lieu de travail le 11 septembre. Une autre rapporte que Benyamin Netanyahou, l’actuel premier ministre de l’état d’Israël, connaissait à l’avance la date et le déroulement des attentats. Une autre encore rapporte que des agents du Mossad auraient été arrêtés à New York, le jour des événements, trahis par leur manifestations de joie.
En France, où le problème, malgré les leçons de la seconde guerre mondiale, est encore pour beaucoup loin d’être réglées, de nombreux antisémites larvés ou notoires se sont sentis pousser des ailes en prenant connaissance de cette nouvelle théorie du complot. Je me bornerai à l’exemple du plus fameux d’entre eux, l’humoriste Dieudonné M’bala M’bala, qui a été le premier en France à oser des sketches remettant en cause la version officielle des attentats du 11 septembre(note). Il est vrai que c’est le moins qu’on attendait d’un homme, qui, parmi mille provocations, a invité dans un des ses spectacles le négationniste des chambres à gaz Robert Faurisson, pour lui faire remettre par un comédien déguisé en prisonnier des camps le “prix de l’infréquentabilité”.
Dans les mouvements conspirationnistes étasuniens, l’extrême droite et l’antisémitisme semblent marcher main dans la main. Stéphane Malterre, dans une émission impartiale de la chaîne Canal+ sur les attentats du 11 septembre, s’indigne avec raison de ce que les jeunes auteurs du célèbre Loose Change avouent sans scrupules piocher une grande partie de leurs informations sur le site American Free Press, dont le directeur, Willy Carto, est ouvertement antisémite. Il conclut en mettant en garde : « Le 11 septembre permet à des vieux routards de l’antisémitisme de séduire un nouveau public, plus jeune, peut être un peu naïf ; qui n’a pas l’habitude des discours des tenants du grand complot juif. »
L’envie de briller sous les feux de la rampe médiatique est une troisième motivation. Chacun sait que les pipoles (acteurs, comiques, présentateurs télé) ont un besoin maladif de se pousser sur le devant de la scène afin d’y créer l’événement. C’est ainsi que l’on doit interpréter le coming out de personnages comme Marion Cotillard, David Lynch, Matthieu Kassovitz, Sharon Stone, Charlélie Couture. Certains d’entre eux sont allés très loin : Charlie Sheen, par exemple, acteur étasunien dans le très sérieux “Hot Shots”, a eu le front récemment d’écrire une lettre ouverte délirante au président Obama sur la question, et Jean-Marie Bigard, immortel auteur du “Lâcher de Salopes”, s’est fendu l’été 2009, inspiré sans doute par son compère Dieudonné, d’une série de 11 sketches sur le sujet.
L’espoir fou pour des inconnus sans compétence de participer à peu de frais au scoop du siècle est une quatrième motivation. Comme l’explique le philosophe Robert Redeker, dans un article du Monde du 29 mars 2008, les explications conspirationnistes procurent à des gens qui ont perdu toute estime d’eux-mêmes d’inespérés « avantages narcissiques ». Ses adeptes « s’épanouissent dans le sentiment de détenir un secret d’une extrême importance. Il jouissent d’en savoir plus que les plus grands savants !” Que c’est bon, alors que l’on est englué dans la besogneuse routine d’un métier ennuyeux et choisi par défaut, de s’inventer une vie toute faite de résolveur d’énigmes ! C’est toute une partie de la génération qui a grandi à la mamelle de X files et de Mc Gyver, qui a été attirée par les “zones d’ombre du 11 septembre”. Certains esprits, étourdis par la puissante propagande du mouvement pour la vérité sur le 11 septembre, se sont mis en tête qu’il était tout à fait possible de trouver, dans des conditions minimales et spartiates, le fin mot de “l’affaire du siècle”.
Ce terreau favorable à l’émergence des théories du complot serait cependant resté stérile, si un puissant adjuvant (j’en viens à mon cinquième et dernier facteur) n’était apparu ces vingt dernières années, pour en favoriser la prolifération incontrôlable.
Certains enthousiastes l’appellent la plus belle invention de l’histoire de l’humanité depuis la maîtrise du feu : le World Wide Web : internet. Auparavant, les conspirationnistes entraient en contact par le biais de revues spécialisées. Ils parvenaient à former de petits groupes sporadiques au sein desquels ils pouvaient se conforter mutuellement, mais demeuraient dispersés, sans influence, hors d’état de former des groupes de pression susceptibles d’imposer leurs lubies sur le terrain du débat public.
Internet a changé tout cela. Grâce à ce média révolutionnaire, les conspirationnistes peuvent maintenant entrer en relation en un « clic », non seulement à l’intérieur d’un pays, mais encore, toute notion de distance étant abolie, à l’échelle du monde entier. Ils peuvent s’envoyer tout aussi aisément, pour les propager ensuite dans la population, des milliers de pages d’articles, témoignages, reportages, sur les rumeurs qui les obsèdent.
Internet n’étant pas, à la différence de la télévision et de la presse écrite, un média où l’information est convenablement filtrée par les professionnels de l’information, toutes les opinions s’y retrouvent pêle-mêle, les articles de vraie science étant engluées dans une marée noire de pseudoscience commise par d’innombrables anonymes et charlatans tout heureux d’avoir pu trouver là une tribune improvisée.
Traitement de la théorie du complot sur les attentats du 11 septembre par les deux principaux médias
Comme je l’ai suggéré dans mon avant-propos, quelque soit le mot lié au 11 septembre que l’on entre dans le moteur de recherche on tombe sur une flopée d’articles et de sites conspirationnistes. La proportion de liens défendant la version officielle est de l’ordre de 1 sur 10, en étant généreux. Mais il y a pire : quand on entre dans le détail des liens, on se rend compte que ceux qui se proclament pompeusement les truthers, les “chercheurs de vérité”, pourrait on traduire, ne se nourrissent pas d’une étique poignée de faits. Les angles d’attaque qu’ils adoptent se comptent par centaines, sinon par milliers :
Il existe bien des sites qui se sont fait une spécialité de défendre la version officielle des attentats du 11 septembre 2001, et de tourner en dérision les délires dans lesquels s’abîment les truthers. Mais si on fait les comptes ils ne sont guère nombreux. Pour tout dire je n’en ai recensé que trois : Conspiracy.watch, un site généraliste qui s’est autoproclamé “observatoire du conspirationnisme” ; bastison.net, de l’ingénieur agrégé en structures et matériaux Jérôme Quirant, qui s’attache surtout à démystifier la théorie de la démolition contrôlée des tours 1, 2 et 7, enfin le site d’informations en ligne rue89, qui a publié en février 2009, sous la direction du spécialiste des questions de renseignement Guillaume Dasquié, un épais et assez complet dossier sur la question. Ces trois sites proposent une analyse équilibrée et dépassionnée des impasses dans lesquelles peuvent s’égarer les truthers.
Pas de quoi se réjouir dans tous les cas. En regard de l’Amazone conspirationniste, cette triade, aussi pure soit son eau, est un ruisseau insignifiant. Un petit tour sur les forums confirme si besoin était la domination écrasante des conspirationnistes sur la toile. Les tenants de la version officielle se font attaquer de toutes parts, noyer dans les quolibets, embrouiller dans des argumentaires immenses. Je suppose que c’est pour ces raisons, que les trois sites dont j’ai parlé filtrent consciencieusement les messages des conspirationnistes pour ne laisser que les sains messages de soutien à ces courageux mais esseulés spécialistes, hommes admirables qui ont fait le choix ingrat, dans l’anonymat le plus complet, de mettre leur vie d’homme entre parenthèses pour lutter contre la pandémie conspirationniste.
Autant il ne fait pas bon de se risquer à défendre la version officielle des attentats du 11 septembre sur le forum d’un site conspirationniste, autant il est dangereux pour un « truther », de se risquer à remettre en cause cette même version dans une émission de télévision. Les « conspis » fanfaronnent moins quand il sont invités dans des débats où ils ne sont pas entourés de leurs admirateurs.
Pour limiter l’extension de la pandémie à un public infiniment plus large, les présentateurs télé ont eu recours principalement, depuis 8 années que les premiers doutes ont été émis, à deux techniques assez simples.
La première consiste à ignorer les faits “incroyables” que les truthers viennent agiter sous leur nez. Se refusant absolument ne serait-ce qu’à les évoquer, les journalistes des grandes chaînes de télévision ont ainsi empêché que d’autres esprits crédules et impressionnables ne se mettent à se poser des questions.
La seconde consiste à organiser des émissions télé dont le format est délibérément conçu pour porter le discrédit sur les conspirationnistes. Dans le « vous aurez le dernier mot », FOG a eu la bonne idée d’inviter un bretteur verbal particulièrement déterminé et hostile aux théories du complot en la personne de Mohamed Sifaoui (voir l’avant-propos)
Guillaume Durand organisera un mois plus tard, pratiquement coup sur coup, deux émissions sur la question qui doivent elles aussi être considérées comme des modèles du genre. Lors de la première, il aura la bonne idée de n’inviter que des tenants de la version officielle. Le point de vue adverse n’étant pas représenté, l’argumentation des invités, Jérôme Quirant dont nous avons déjà parlé, et Jean Charles Brisard, spécialiste des questions de renseignement, aura d’autant plus de portée. Lors de la seconde, Durand rusera différemment : le “découvreur” de l’explosif dans la poussière des tours, Niels Harrit, était prévu pour le débat, en compagnie du journaliste d’investigation Eric Laurent, auteur de la face cachée du 11 septembre. Etaient prévus également le comique Jean-Marie Bigard, et l’acteur Matthieu Kassovitz. Au dernier moment, les “spécialistes” seront décommandés, laissant le soin aux deux pipoles de se ridiculiser tous seuls comme des grands.
Si l’on fait le bilan de ce duel à distance et par écrans interposés, on est obligé maintenant de reconnaître, eût égard au but recherché, que ces émissions de télévisions n’ont pas convaincu autant de monde qu’elles l’auraient dû. Peut-être ont elles empêché que des individus impressionnables ne succombent à leur tour à la virulence des germes pandémiques, mais quant aux truhters, un tour sur les forums suffit pour s’en convaincre : je ne crois pas qu’il y en ait eu un seul qui ait viré sa cuti après visionnage de l’une d’entre elles. Les sondages croissamment défavorables à la version officielle confirment de toutes façons sans appel l’inefficacité de ce traitement de l’information par les journalistes des chaînes du PAF. Pour moi, qui avais trouvé les trois émissions à tout égard pertinentes et remarquables, il y avait là un mystère assez pénible.
Décision d’écrire ce livre
Après quelques semaines de recherches, je m’aperçus où le bât blessait. Sur leurs sites, les conspirationnistes se plaignaient continûment de ce que les tenants de la version officielle éludassent systématiquement les « faits » qu’ils mettaient sur le tapis. Ayant eu la curiosité de passer en revue certains sites conspirationnistes, je fus obligé de reconnaître, à mon regret, que ce n’était pas entièrement faux. De nombreux articles et reportages, aussi erronés et délirants fussent-ils, proposaient de très nombreuses analyses « factuelles » des « zones d’ombre ».
A cette négligence s’ajoutaient les insultes, qui devaient susciter chez les conspirationnistes un profond ressentiment, et la volonté décuplée de faire des émules autour d’eux. Une fois la “saison” des attentats passés (chaque année de septembre à novembre), les journalistes, certains d’avoir mis une bonne fois pour toutes un terme à la polémique, remisaient ces poupées au placard pour retourner à des sujets plus sérieux ; dans le même temps, les truthers, possédés par leur idée fixe et aiguillonnés par la colère, se replongeaient avec une ardeur redoublée dans leurs folles études, y consacrant chaque minute de leur temps libre.
Une impression extrêmement désagréable m’envahit. C’était comme si je me retrouvais, une seconde fois, dans le bureau du proviseur de mon fils, coi, impuissant et rempli de colère. Ainsi, après avoir fait une croix sur l’éducation nationale, il fallait que j’en fisse une seconde sur les medias de la télévision et de la presse écrite. Le “quatrième pouvoir”, comme on l’appelait parfois, méritait décidément bien mal son nom !
Me restait bien sûr le recours d’alerter directement le gouvernement de mon pays, mais là encore je ne me faisais aucune illusion : absolument dépourvu de relations politiques, qui aurais-je pu y joindre pour sonner le tocsin à ma place ?
Comme je me perdais dans ces considérations, je ne pus m’empêcher de penser avec un pincement de regret aux moyens considérables qu’il avait mis en œuvre l’hiver dernier pour juguler la foudroyante quoique finalement bénigne épidémie de grippe H1N1 : pas moins de 1 milliards d’euros, 94 millions de doses de vaccins achetées, une campagne de relations publiques de grande ampleur, la réquisition des médecins et des infirmières,
Cette application soudaine et massive du principe de précaution montrait bien qu’au besoin, l’état pouvait se mobiliser, en y mettant tous les moyens de sa machine, fût-ce dans une période où le déficit de l’état explosait, et dans le cadre de la pire crise financière traversée par l’humanité depuis la crise de 1929.
J’arrivai finalement à la conclusion que, pour protéger l’esprit de mon fils, je ne devais compter que sur moi-même.
Après avoir discuté de ce dilemme avec quelques amis et confrères, j’arrêtai finalement un expédient : des journalistes ou spécialistes dans leur domaine avaient certes donné la réplique aux conspirationnistes dans des livres essayant de faire un sort aux théories du complot. Il y avait par exemple l’Effroyable mensonge de Guillaume Dasquié, écrit en réponse au livre de Thierry Meyssan, ou plus récemment, la Farce enjôleuse du 11 septembre de l’ingénieur aggrégé en matériaux et structures Jérôme Quirant. Aucun de ces livres, cependant, ne s’était jamais proposé de faire un sort complet à la totalité des faits du 11 septembre. Il y avait donc un créneau à prendre, dans lequel peu de gens apparemment osaient se poster. « qui tente rien n’a rien, finis-je par me convaincre. Pourquoi ne pas m’aventurer dans une telle entreprise ? En plus de trouver un exutoire à mes angoisses, je pouvais espérer, au terme ce travail, toucher les grands médias, et, qui sait peut-être, alerter par ricochet des membres du gouvernement. »
En étudiant la faisabilité du projet, j’eus le bonheur, assez vite, de m’apercevoir qu’il serait beaucoup moins compliqué à mener à bien qu’il n’y paraissait au premier abord.
La matière à brasser n’était pas une contrainte. Spécialiste dans aucun des domaines requis pour démonter les arguments des truthers, je savais pouvoir m’appuyer sur la certitude que la version officielle était la seule possible. Pour démontrer l’évidence, il me suffisait de lire avec attention les rapports de la commission d’enquête de 2004, les rapports scientifiques rendus publiques par les différentes agences étasuniennes, et me servir au besoin des argumentaires disponibles et prêts à l’emploi sur les sites conspiracy.watch, bastison.net et rue89.
La dernière contrainte était de pure formalité. Père de famille et occupé du matin au soir par un métier très prenant, il me fallait disposer de tout le temps nécessaire pour écrire et faire paraître dans les plus brefs délais cette accusation de la pandémie conspirationniste ; le livre, estimais-je, devrait paraître au plus tard en septembre 2010, et si possible, pour lui donner plus de portée, en pleine saison conspirationniste. J’avais eu de longues conversations avec mes associés sur le sujet. Ceux-ci ne manifestèrent donc aucune réprobation lorsque je les informai que pour la première fois de ma carrière, j’allais prendre une année sabbatique. Cette compréhension de la part de mes pairs ne contribua pas peu à me conforter dans ma volonté de m’atteler aussitôt à ce “j’accuse” des temps modernes.
Supplique solennelle au gouvernement de mon pays
Je tiens, avant de détailler le plan de cet ouvrage, à tirer la sonnette d’alarme de la façon la plus solennelle. Rien pour l’instant ne semble en mesure d’enrayer l’expansion de la pandémie conspirationniste. Les conséquences ne s’en font pas encore sentir, mais voici ce que l’on peut anticiper sans faire un grand effort d’imagination : un jour viendra, c’est fatal, où le nombre de croyants de la théorie du complot dépassera celui des tenants de la version officielle, et comme la France est une démocratie, une masse croissante de citoyens avec le temps conditionnera son vote à la prise en compte par le gouvernement et le parlement de cette affaire.
Je n’ai pas besoin de faire un dessin au lecteur : les conséquences d’un renversement de l’opinion publique sur ce point aurait des conséquences incalculables dans l’organisation de ce « grand échiquier », pour reprendre une expression heureuse d’un des proches conseillers de la campagne de Barack Obama, Zbgniew Bresczinsky, qu’est la carte des états nations sur la planète. Qui sait si une telle polémique ne pourrait pas être à l’origine d’une troisième guerre mondiale ?
Je lance cette supplique au gouvernement de mon pays, en espérant qu’il s’en saisisse avant qu’il ne soit trop tard. La lutte contre la reine des théories du complot est un enjeu de première importance. Si nous perdons la bataille du 11 septembre, alors très probablement nous aurons perdu la guerre.
Plan de l’ouvrage
Cette étude est divisée en trois parties, chacune comportant trois chapitres.
La première partie s’intitule “le 11 septembre à l’épreuve des faits”. J’y propose dans le premier chapitre un résumé du rapport de la commission d’enquête dont les conclusions ont été rendues publiques en 2004. Je procède ensuite à la démystification des deux plus importantes “zones d’ombre” agitées comme une muleta par les truthers : les soi disant délits d’initiés sur des transactions financières observées la semaine précédant les attentats (chapitre 2), puis la fameuse énigme de la tour 7, qui a fait couler tant de pixels (chapitre 3).
La seconde partie s’intitule “les fers de lance de la pandémie”. J’y passe en revue tous les groupes et associations les plus importants qui demandent aux Etats Unis ou dans le monde l’ouverture d’une enquête « véritablement » indépendante. Si les antisémites, les antiaméricains, les journalistes frustrés et les pipoles, contribuent à la diffusion de la pandémie, ce sont ces associations qui constituent la menace la plus réelle pour la réouverture d’une enquête. Il m’a semblé que celles-ci méritaient que je leur consacrasse une section entière. Dans le chapitre 4, je m’intéresse aux associations de professionnels : celle des architectes et ingénieurs, celle des universitaires, enfin celle des agents des services de renseignement. Dans le chapitre 5, le plus délicat, je me pencherai sur le cas douloureux des associations de personnes ayant perdu des proches dans les attentats mais ne présentant pas de qualification professionnelle particulière, en l’occurrence les familles de victimes et les pompiers. Le chapitre 6 ne parle pas de “fers de lance” à proprement parler, puisque j’y évoque les doutes et revirements de certains membres eux-mêmes de la commission d’enquête de 2004. Ces derniers ne se sont bien évidemment pas constitués en association, mais certaines de leurs réactions ont grandement contribué à alimenter le fourneau des conspirationnistes et il m’a semblé important d’y faire un sort.
La troisième partie s’intitule “le 11 septembre à l’épreuve de l’histoire”. Certains truthers particulièrement déterminés n’ont pas manqué de faire l’amalgame entre le 11 septembre et d’autres événements antérieurs ou postérieurs à celui-ci. J’analyse dans le chapitre 7 le rapport du PNAC rendu public en 1999 par de futurs membres de l’administration Bush, dans lequel certains ont cru repérer les indices d’une précognition des attentats. Je démystifie dans le chapitre 8 les analyses qui prétendent que les attentats ont été commis pour faciliter le déclenchement de la guerre de libération de l’Irak en 2004. Dans le neuvième et dernier chapitre, je veux ruiner une supposition encore plus monstrueuse, celle qui prétend que les attentats de Londres et de Madrid commis en 2002 et en 2003 sont également des “inside job”, des petits frères du 11 septembre en quelque sorte !
A présent lecteur, il est temps... devant toi se dresse le plus étrange des portiques. Un monde dont tu ignorais tout se trouve de l’autre côté. Un pas de plus te le feras franchir.
Bienvenue dans la réalité !
[i] Alfred Korzybski, Science and Sanity : An Introduction to Non-Aristotelian Systems and General Semantics, 5 éd. (Institute of General Semantics, 1995).
[ii] Alfred Korzybski et Didier Kohn, Une carte n’est pas le territoire : prolégomènes aux systèmes non-aristotéliciens et à la sémantique générale (éditions de l’éclat, 1998).
[iii] D J Simons et C F Chabris, “Gorillas in our midst : sustained inattentional blindness for dynamic events,” Perception 28, no. 9 (1999) : 1059-1074.
[iv] Hilke Plassmann et al., “Marketing actions can modulate neural representations of experienced pleasantness,” Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 105, no. 3 (Janvier 22, 2008) : 1050-1054.
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