L’A69 sur la sellette : comment l’écologisme enterre l’intérêt général et la raison
De quoi parle-t-on ? À Toulouse, le tribunal administratif doit rendre ce 27 février sa décision sur le fond concernant le dossier de recours contre l’A69 prévue entre Toulouse et Castres, opposant des associations écologistes aux représentants de l’État et aux entreprises engagées dans le projet. Ceci, deux ans après le premier recours.

L’intérêt général miné par des exigences environnementales absolutistes
La question a pris une nouvelle tournure, alors que jusque-là rien ne s’opposait à la poursuite du chantier validé à tous les niveaux jusqu’au Conseil d’État, lorsque la rapporteuse publique, Mᵐᵉ Rousseau, magistrate indépendante, a demandé devant le tribunal, à la surprise générale, l'annulation de l'autorisation environnementale de ce chantier, en avançant l’argument qu’il y aurait absence ici de « raison impérative d'intérêt public majeur ». Autrement dit, l’arrêt des travaux. Un effet d’aubaine pour les militants écologistes farouchement opposés à ce projet (1).
Oui, l’autoroute de 53 km entre Toulouse et Castres est « d’intérêt public », reconnait-on, mais la magistrate indépendante a insisté : celui-ci n’est ni « impératif », ni « majeur ». Cela implique donc, si on la suit, que le concessionnaire ne peut pas déroger à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées sur le chantier. Ainsi, ne se justifierait plus l’aménagement de cette autoroute, jusque-là pourtant jugée cruciale pour les habitants, professionnels et entreprises de la région concernée et le développement du territoire.
Voilà tout le sujet qui doit en réalité nous préoccuper ici, de savoir si « l’intérêt général » a encore une valeur, ou doit s’effacer derrière un intérêt qui ne serait dit ni « impératif » ni « majeur » au regard d’un seul critère : l’usage que font les écologistes de l’avancée du droit concernant la protection des espèces protégées, pour bloquer bien des projets collectifs.
L’A69, un exemple de grands travaux d’intérêt collectif qui n’est plus à démontrer
Du côté de la défense, on doit justifier de façon ubuesque ce projet qui a été maintes fois validé, alors que l’autoroute est à plus de la moitié construite. L’utilité de l’A69 n’est plus à démontrer. Entre autres, sur la RN 126, aujourd'hui utilisée, la congestion s'aggrave, menaçant de créer une situation « intenable ». L'autoroute allégerait son trafic de 70 %, estime le gouvernement. On ose, du côté des opposants, parler de pressions politiques parce que, logiquement, face à ce déni de la réalité des besoins de développement, le groupe Pierre Fabre, groupe pharmaceutique basé à Castres, a évoqué à un moment sa possible délocalisation, si l’autoroute était annulée. Les ultimes expropriations ont été achevées. Le concessionnaire Atosca, qui a commencé les travaux en avril 2023, annonce avoir dépensé 65 % du budget, soit 300 millions d'euros. Il prévoit une entrée en service fin 2025. Mais peu importe le gâchis si les travaux étaient arrêtés et qu’il fallait ensuite faire disparaitre tout ce qui a été réalisé pour faire « retour à la nature » ! Les avocats du concessionnaire et de la société Guintoli, en charge des travaux, ont souligné lors d’une audience le risque qu’une décision contre l’A69 puisse faire jurisprudence : comment, alors, construire de grosses infrastructures si le droit environnemental est si contraignant ? Dans le même sens, l'abandon du projet, selon le représentant de l'État, condamnerait ce territoire « au statu quo, puisque toute alternative – route ou rail – impliquerait une dérogation aux espèces protégées, nécessitant une RIIPM ».
À la veille de l'une des dernières audiences, du 12 février dernier, l’État et les collectivités favorables à l’A69 (région Occitanie, conseil départemental du Tarn, communauté d’agglomération Castres-Mazamet et communauté de communes du Sor et de l’Agout), engagés initialement à hauteur de 23,13 millions d’euros dans la construction de l’autoroute – sur un budget global de 450 millions – annonçaient un « accord de principe » portant sur une subvention d’environ 42,5 millions d’euros pour réduire de 33 % jusqu’en 2035 le montant du péage entre Villeneuve-lès-Lavaur et Soual, deux villes situées à trente kilomètres l’une de l’autre.
Tel que l’a exprimé le représentant des préfectures du Tarn et de la Haute-Garonne, Maxime-Yasser Abdoulhoussen : « Si vous refusez la raison impérative d’intérêt public majeur et que vous annulez l’autorisation environnementale, vous dites aux habitants sud-tarnais qu’ils ne peuvent pas aspirer à un développement économique » (2). Plus, c’est refuser à la République de répondre présent partout, pour qu’elle puisse tenir ses promesses dans un pays déjà en mal de cohésion.
Une écologie du chiffon rouge qui méprise l’intérêt du grand nombre
Faut-il vraiment céder à cette technique du chiffon rouge, de la peur alliée au catastrophisme qu’agitent les écologistes, désignant l’A69 comme le projet maudit auquel serait suspendu le sort de la planète ? Ceci, alors que notre pays est l’un des plus avancés sur les questions environnementales, la protection des espèces, en Europe et dans le monde, et que toute évolution efficiente dépend ici des grands ordonnateurs et responsables comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis ? On connait bien pourtant les dangers des excès de toutes les grandes causes qui fabriquent des sauveurs suprêmes, et à l’absolutisme auquel cela aboutit vis-à-vis des libertés de tous.
Il y a une sorte de nouvelle donne, avec cette pression d’un petit nombre bien organisé utilisant la justice pour faire prévaloir sa vision minoritaire, au nom d’une idéologie prétendue supérieure aux besoins du grand nombre, ce qui commence à questionner le sens de notre démocratie. D’autant que cette minorité agissante bénéficie d’un large soutien médiatique. Ce qui redouble l’enjeu démocratique au regard d’un débat public équitable.
Cette mise sur la sellette de l’A69 est un exemple remarquable d’une stratégie écologiste qui consiste à contester quasiment tout projet d’aménagement territorial propre au développement des besoins sociaux. On y oppose une idéologie qui est, de fait, celle de la décroissance sous prétexte de la défense de l’environnement, jusque dans nos tribunaux. Attention que demain cela ne se termine pas, à force de tirer sur la corde avec un certain mépris du peuple, par des révoltes contre la démocratie elle-même, en raison des déséquilibres et inégalités entre populations et territoires, découlant de cette évolution. Quid de l’égalité entre les citoyens ! N’est-ce pas une écologie qui se trompe complètement de combat, plus réactionnaire que de gauche ?
La principale avocate des opposants, Alice Terrasse, qui porte ce dossier, s’adressant au tribunal : “Vous devez vous extraire des pressions de l'Etat et du concessionnaire, vous pouvez marquer l'histoire du droit de l'environnement.” On voit parfaitement où on entend nous mener. Ce à quoi est confronté le tribunal n’est pas un choix entre la défense d’un projet collectif porté par l’État et des élus pour les habitants, face à des écologistes et à la défense de la nature, mais un enjeu de société : la solution est-elle dans le développement humain, le progrès, la confiance dans l‘intelligence et la raison humaine, la maitrise démocratique des grands choix sociaux y compris écologiques, ou la logique des groupes et minorités de pression, dans la régression, la mortification devant une nature quasi divinisée qui passe par la minoration de l’homme ?
On ne devrait jamais oublier cette réflexion de Primo Levi devant l’histoire : « Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voix que celle de la raison. »
Guylain Chevrier
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