La belle peinture des chars de Kadhafi... cache de belles magouilles (I)
C'est revenu tout à coup en voyant un reportage sur ce qui se passe en ce moment en Libye. Je vous avais déjà trouvé des Mirage français, et d'autres munitions signées Matra ou Thomson, voilà que sur le bord d'une route, était en train de brûler un vieux BMP russe. Un véhicule de transport blindé comme l'ex-URSS en a produit des milliers, mais repeints à neuf et semble-t-il en parfait état de marche (?) avant de recevoir la volée de plomb des aéronefs de la coalition. Un peu plus loin dans le reportage, des T-72 eux aussi repeints à neuf, et encore un peu plus loin un véhicule carbonisé reconnaissable à ses moyeux de roues : un BTR-60 ; reconnaissable à mille lieues. Les avions de l'Otan, ou les avions de notre cher ministre de la Défense auraient-il détruits du matériel russe ? Et pourquoi donc les avions américains s'y refusent désormais, laissant faire l'Otan à leur place ? On comprend les réticences d'Obama à ne pas entrer pleinement dans le conflit. Ce qu'on ignore, c'est que les fameux véhicules blindés russes ont en fait été refaits par une société américaine, spécialisée dans le "refurbishing" de vieux chars. Le type d'activité qui assure des revenus juteux en ces temps difficiles. Retour sur le matériel terrestre de Kadhafi, fourgué en fait par les américains... les révolutionnaires libyens se font aujourd'hui pilonner par des chars de fabrication russe remis à neuf par une société privée US... les américains refusant aujourd'hui de les bombarder... dans ce conflit pardoxal, on en a pas fini avec les surprises !
Tout a commencé en avril 2008 : alors que les français d'EADS (avec Marwan Lahoud, le frère de l'autre), bataillent sec pour obtenir un contrat de 117 millions d'euros pour remettre à neuf 12 vieux Mirage F-1 (voir ici le détail) sur ceux encore disponibles du lot acheté dans les années 70, les américains eux aussi font des courbettes à un Kadhafi redevenu en odeur de sainteté commerciale. On sait aujourd'hui que sur les 117 millions, 15 étaient en commissions, dont 8 en rétro-comission pour Kadhafi lui-même via ses intermédiaires... une somme qui disparaîtra, mettant en fureur le leader libyen, comme on pu l'apprendre après coup. Chez les américains, c''est une bien étrange société qui a approché le leader libyen : c'est celle d'un sénateur américain vendeur d'armes depuis toujours, alors qu'il ne cesse de s'en défendre : c'est Wayne Curtis "Curt" Weldon, et sa société s'appelle Defense Solutions. L'homme n'en est pas à son coup d'essai : il vient alors de remporter le contrat assez faramineux de refurbishing des chars ukrainiens que vient d'acheter l'Irak, au nez et à la barbe d'autres entreprises, dont celles d'un mercenaire, Dale Stoffel, qui était prêt à obtenir le contrat de la signature du général Petraeus lorsqu'il est retrouvé mort au sortir de son bureau, son 4x4 impacté de plusieurs centaines de trous laissés par des balles de kalachnikovs.
Entre vendeurs, parfois, c'est comme ça, paraît-il : on a beau s'efforcer de présenter la mort du mercenaire comme une énième attaque d'Al-Qaida, tout le monde sur place la relie au contrat juteux qu'il devait bientôt signer définitivement.
Une vidéo grotesque envoyée le lendemain par un obscur groupe islamique est censé prouver que c'est bien Al-Qaida qui est à l'origine de la mort de Stoffel et de son collègue Joe Wemple, tous deux massacrés. On y distingue une nouvelle espèce de djihadiste : un blanc bodybuildé aux marques visibles de bronzage "(a golfer's tan" !), portant salopette (?) et la tête emmitouflée dans un keffieh.
Pas vraiment convaincant comme djihadiste ! Comme la première vidéo envoyée aux américains, ou l'on voyait deux hommes en armes au visage camouflé de la même façon et aux uniformes bien repassés, avec un Coran supposé disposé dans le sens du preneur de vues et non de son utilisateur potentiel, celle-ci accuse Stoffel d'avoir été un agent de la CIA... la disparition de celui qui aurait fait fortune avec la revente des T-72 hongrois aux irakiens est entachée d'une mise en scène évidente organisée par des gens qui n'ont rien... de djihadistes. Une partie des magouilles avait été évoquée dans le remarquable documentaire "The hidden war", un documentaire de 49 minutes où l'on pouvait voir l'énorme pression faite aux journalistes pour ne pas montrer la "guerre cachée" en Irak... Expliqué en partie par l'éminent Robert Fisk, le grand reporter et le correspondant au Proche-Orient du journal britannique The Independent. Dans ce véritable merdier irakien, il y avait bien des choses à montrer et de choses à ne pas montrer. En particulier le trafic d'armes au sein du pays. Et le rôle obscur des sociétés privées de protection étrangères ou même depuis irakiennes dans ces trafics, ou les attaques en forme de massacres de civils par les hélicoptères armés de Blackwater, dont on a soigneusement effacé les images des médias.
Weldon est donc dans la foulée allé démarcher Kadhafi, pour lui proposer d'entretenir son parc de véhicules soviétiques vieillissant. Ses vieux BMP comme ses antiques T-72, dont certains ont été capturés par les rebelles.
Fin mars 2008, Weldon s'est effectivement rendu à Tripoli. Et a signé avec Kadhafi un pré-protocole d'accord, révèle le magazine Wired : "un document daté du 16 avril, deux semaines seulement après le voyage en Libye de Weldon présente "des solutions de défense" et une "proposition pour la Libye de remettre en état la flotte du pays de véhicules blindés", y compris ses chars T-72, ses véhicules BMP-1 de combat d’infanterie, et ses BTR-60 de transports de troupes blindés. Une copie de la proposition de vente, également fournie à Wired.com, porte l’en-tête de Defense Solutions et qui semble porter la signature du PDG de l’entreprise Timothy Ringgold, a été adressée au Conseil de la Libye en matière de défense. "Defense Solutions s’est engagé à fournir une solution complète de bout en bout à ses clients, indique la proposition américaine.
"Outre la rénovation de ces véhicules, nous sommes capable de fournir un soutien logistique complète, y compris un approvisionnement de deux ans de pièces de rechange, la maintenance et des services de réparation, les opérateurs, l’entretien et la formation sur la réparation." Deux ans de pièces, à savoir que le contrat durait encore au moment même où le Maghreb s'enflammait ! Une firme américaine privée a remporté un contrat de remise à niveau de matériels soviétique hors d'âge : en matière d'armements, on a de belles surprises dans ce bas monde. Mais le mieux, c'est comment cette remise à niveau a été menée... En 2005, Weldon affirmera qu'aucun char libyen n'avait été modifié : selon lui, comme pour les français ou les italiens, Kadhafi s'était engagé... sans jamais signer de contrat définitif. Histoire sans doute de faire monter les enchères... sur ses propres commissions. Il semble bien que les déclarations de Defense Solutions aient plutôt été le fait d'une société ne désirant pas ébruiter ses relations kadhafiennes...
Les BTR-60PB de Kadhafi sont bien ceux remis aux goûts du jour et même transformés par Defense Solutions : ils présentent une porte sur le côté et ont des lanceurs de grenades sur le dessus que n'ont jamais eu les originaux. Defense Solutions, qui a ses bureaux à Washington, et à Philadelphie, mais aussi à Tel-Aviv, en Israel ; et à Budapest, en Hongrie, rappelons-le : que Kadhafi signe aussi avec une société qui a une représentation en Israël sans tiquer en dit long sur l'idéologie profonde du personnage, le premier à fustiger Tel-Aviv, mais à fermer les yeux sur la provenance de ce qu'il achète comme armement quand l'occasion s'en fait sentir. Là, au moins, il semble qu'il y aît eu du travail de fait. Sur les chars irakiens ça a été loin d'être le cas... Le contrat signé par Defense Solutions avec les irakiens avait une particularité : il était complètement illégal aux yeux de la loi américaine, précise en effet Wired. C'était surtout une arnaque monumentale : Defense Solutions avait tout simplement proposé été d'organiser ce qui était au départ un don total de 77 chars d'occasion-72 d'origine hongroise. Présenté tel quel lors de leur départ de Hongrie le 17 octobre 2005 (l'annonce ayant été faite le 13 décembre 2004). Un "don", signé par HM Currus, la firme d'armement détenue par le ministre hongrois de la Défense, voilà qui sonnait étrangement dès le début. Exactement le plan infernal qu'avait déniché.... Stoffel.
De la gratuité de départ, on allait passer à une tirelire véritable : ces tas de feraille étaient de l'or en barre, et ça Stoffel le savait.... et le dernier homme qu'il avait rencontré avant de se faire tuer : le général Petraeus, l'homme qui avait couvert un bon nombre de trafics au sein même de son armée, y compris parmi ses proches assistants ! J'avais expliqué plusieurs manigances de Petraeus, dont certaines terminées par des morts surprenantes par balles, par suicide parfois : "cette corruption des fournisseurs d’armes était une constante avec Petraeus, qui fermait manifestement les yeux sur ces trafics. Ou pire, en cachait certains aspects : un autre homme y a laissé la vie, c’est le Lt. Colonel Ted Westhusing. "Dans une note laissée sur son lit à Bagdad, le lieutenant-colonel Ted Westhusing avait écrit : "Je n’ai pas fait de bénévolat pour soutenir l’argent de la corruption, pour que les contractants viennent prendre l’argent, ni travailler pour des commandants qui ne s’intéressent qu’à eux-mêmes." Westhusing, 44 ans, qui s’est suicidé le 5 Juin 2005, travaillait directement sous les ordres dePetraeus au MNTSC-I. Westhusing s’occupait de la firme privée USIS, (pour U.S. Investigative Services) qui avait obtenu un contrat de 79 million de dollars pour entraîner les forces spéciales irakiennes".

Stoffel avait repéré une mine d'or, qu' a repris juste après son décès Defense Solutions : "les Hongrois étaient probablement heureux de se défaire de ses chars obsolètes gratuitement, et le gouvernement irakien paierait Défense Solutions pour les remettre seulement en état" continue sur sa lancée Wired."Cela sonnait bien, sauf le contrat final s'est transformé en ce que beaucoup considèrent comme une entente de faveur. Le contrat semble être un accord, du type "un coût plus un pourcentage de frais de coût" ce qui signifie que Défense Solutions héritait essentiellement d'un bénéfice garanti quelle que soit l'état des chars ont été ou quel que soit le coût réel pour les remettre en état" : en somme, précise Wired, le bénéfice était gigantesque au vu des travaux à réaliser. "Défense Solutions a estimé que le coût de remise à neuf des tanks à été environ de 3 200 000 dollars, et la société a eu droit là-dessus à une rémunération basée sur 8 pour cent des coûts. Si le contrat montait à 75 pour cent par rapport au coût maximal prévu au départ, Defense Solutions devait en aviser les Irakiens, mais le montant " n'agirait pas comme un plafond sur le prix réel final ", indiquait le contrat léonin. "En vertu de contrats de défense américains typiques, les frais sont liés au rendement (donnant ainsi à l'entrepreneur une incitation à réduire les coûts). Et Defense Solutions reçoit sa commission, quel que soit le montant. Et avec une taxe de 8 pour cent, plus vous dépensez, plus vous gagnez. Ce serait un arrangement plutôt inhabituel, du moins aux États-Unis, où le "coût plus pourcentage" de contrats à frais évolutifs sont interdits par la loi des États-Unis. Comme les règlements fédéraux d'acquisition le disent très clairement (voir 10 USC 2306 (a) et 41 USC 254 (b))." précise Wired. C'était totalement illégal comme opération !
En fait, comme remise à jour, Defense Solutions se contentera le plus souvent de changer de la tôlerie extérieure, de vérifier quelques babioles (voir les images sidérantes du dossier de DS montré par Wired !) et surtout de mettre une couche de peinture neuve au dessus de la rouille. Comment une société privée américaine a-t-elle réussi à conclure un contrat illégal avec un pays sous l'emprise américaine, voilà bien tout le problème... au total, tout compris le contrat irakien d'armements se montera à 2,16 milliards de dollars pour les 77 chars requinqués... gratuits au départ... et d'autres matériels (BMP, avions etc). Comment est-on passé d'un "don" à une pareille somme ? Le 18 juin 2008, le fameux ministre de la défense hongrois se retrouvait au cœur d'une enquête sur la vente de chars, diligentée par le FBI US. Sans surprise, il affirmait ne pas même connaître Defense Solutions : "En réaction à l'enquête du FBI signalé, le ministère hongrois de la Défense a déclaré qu'il n'avait aucun lien direct avec l'entreprise Defense Solutions, mais seulement avec le gouvernement américain". Là, ça devenait très intéressant : était-ce donc le gouvernement US ou Defense Solutions qui avait été l'interlocuteur privilégié d'Imre Szekeres ? Ce dernier ajoutant : "que la Hongrie avait seulement offert les chars à l'Irak et n'avait pas été impliquée dans le choix de l'entreprise qui les a rénovés. Le gouvernement américain a payé pour la remise en état des tanks, at-il souligné". Bien entendu, l'enquête du FBI révélait en même temps le versement de commissions conséquentes à HM Currus de la part de Defense Solutions ! Sur le site du ministère hongrois, où l'on pouvait voir les chars repeints à neuf débarquer, on parlait toujours de "don". Ironiquement, un autre site faisait remarquer où ces fameux chars avaient atterri avant de rejoindre l'Irak : au Koweit !
Le Koweit, où, en 1991, la CIA avait décidé d'installer un centre pour retaper les vieux chars russes pris en Afghanistan, explique Steve Coll dans "Ghost wars : the secret history of the CIA, Afghanistan, and bin Laden, from the soviet invasion to september 10, 2001". L'atelier de refurbishing est donc tout sauf une nouveauté, et son contrôle est bien détenu par la CIA et non seulement par une société "privée". Division venu avec une idée nouvelle. Au début de Mars 1991, débordé et en retraite, l'armée de Saddam Hussein a abandonné des dizaines de chars de fabrication soviétique et pièces d'artillerie au Koweït et du sud de l'Irak. L'armement mis au rebut offert la possibilité d'un jeu d'action secrète classique : La CIA aurait secrètement utilisé le butin capturé par l'un des ennemis de l'Amérique pour attaquer un autre ennemi.
"Les officiers du Directorate of Operation's Near East Division sont arrivés avec une nouvelle idée. Tôt e 1991, poussé au retrait, l'armée de Saddam Hussein avait abandonné une nombre important de chars soviétiques et de l'artillerie au Koweit et à l'Ouest de l'Irak. Ces chars abandonnés représentaient un potentiel évident pour une opération clandestine : la CIA pourrait utiliser ces armes abandonnées par un ennemi des USA pour attaquer un autre ennemi. Le bureau de la CIA à Riyad, en collaboration avec de renseignement saoudiens, a désigné une équipe d'officiers de la logistique secrète pour s'occuper des T-55 et T-70 chars d'assaut iraquiens abandonnés , les transports de troupes blindés et les pièces d'artillerie. L'équipe de la CIA a travaillé avec l'armée américaine dans le sud de l'Irak pour piller les arsenaux irakiens abandonnés et les magasins de munitions. Ils ont rénové le matériel saisi et il a ensuite été envoyé dans les ports du Koweït pour l'expédition, à destination de Karachi. A partir de là, le renseignement pakistanais a introduit les blindés et l'artillerie à la frontière afghane.
Des agents du bureau afghan de l'ISI ont utilisé l'équipement pour un soutien massif de nouvelles attaques conventionnelles sur la ville de l'est de Gardez, dans la province de Paktia, le fief ISI fourni des Jallaladin Haqqanni, Heckmatyar, et des volontaires arabes" précise Coll, dont l'ouvrage fait référence. Derrière des chars russes repeints se cachait déjà en 1991 la CIA, dans un atelier lui aussi installé au Koweit.
Mais nous n'en n'avons pas encore fini avec ces révélations, car notre ami Curt Weldon semble bien avoir joué un jeu bien plus complexe qu'il n'y paraît. Mais nous verrons cela demain, si vous le voulez bien...
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