LFI RN même combat : épargner le patronat !
Pourquoi aucun parti qui s'oppose à l'immigration ne dénonce le patronat initiateur et moteur de l'immigration dont la controverse publique a vu le jour en 1981 entre G.Marchais et Bouygues père ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’examiner le contexte historique de la controverse de 1981 entre Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste français (PCF), et Francis Bouygues, figure emblématique du patronat français, ainsi que les dynamiques politiques et économiques qui en découlent. La réflexion portera ensuite sur les raisons pour lesquelles les partis contemporains opposés à l’immigration, notamment ceux d’extrême droite, évitent de cibler le patronat comme moteur de ce phénomène.
Contexte historique : la controverse de 1981
En 1981, Georges Marchais, candidat à l’élection présidentielle et leader du PCF, adopte une posture ferme contre l’immigration, qu’il lie directement aux intérêts capitalistes et au patronat. Dans une lettre célèbre adressée au recteur de la mosquée de Paris le 6 janvier 1981, il déclare : « Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine », en arguant que celle-ci aggrave le chômage et constitue une arme du patronat pour surexploiter une main-d’œuvre bon marché et affaiblir les droits des travailleurs français. Cette position s’inscrit dans une logique marxiste classique : l’immigration est vue comme un outil de l’« armée de réserve » du capital, permettant de maintenir les salaires bas et de briser la solidarité ouvrière.
Face à lui, Francis Bouygues, PDG du groupe de BTP Bouygues, incarne le patronat favorable à l’immigration. Dès les années 1970, il défend publiquement l’idée que les travailleurs immigrés, souvent peu qualifiés et peu revendicatifs, sont indispensables à l’économie française. Lors d’une émission des Dossiers de l’écran en 1970, il plaide pour le regroupement familial, estimant que stabiliser les immigrés en France avec leurs familles favoriserait leur intégration et leur productivité. Cette position reflète les besoins des grandes entreprises, notamment dans le bâtiment et l’industrie, qui, durant les Trente Glorieuses et au-delà, ont massivement recruté à l’étranger pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre et réduire les coûts.
La controverse éclate dans un contexte de tensions sociales et économiques : la crise pétrolière des années 1970 marque la fin du plein-emploi, le chômage monte, et l’immigration, jusque-là perçue comme une nécessité économique, devient un enjeu politique. Marchais dénonce Bouygues et le patronat comme responsables de cette immigration « massive », tandis que ce dernier défend ses intérêts économiques. Cette opposition met en lumière un clivage idéologique : d’un côté, une critique de classe portée par le PCF ; de l’autre, une vision utilitariste du patronat.
Pourquoi les partis anti-immigration actuels ne ciblent-ils pas le patronat ?
Aujourd’hui, les partis opposés à l’immigration, principalement situés à l’extrême droite comme le Rassemblement national (RN) en France, ne reprennent pas cette critique du patronat initiée par Marchais. Plusieurs raisons historiques, stratégiques et idéologiques expliquent ce silence :
- Évolution idéologique et abandon de l’analyse de classe
Les partis anti-immigration actuels, contrairement au PCF de 1981, ne s’appuient pas sur une grille de lecture marxiste ou anticapitaliste. Le RN, par exemple, a historiquement été lié à une droite conservatrice et nationaliste, souvent proche des milieux économiques libéraux. Sous Marine Le Pen, bien que le discours ait intégré des accents sociaux pour séduire les classes populaires, il reste focalisé sur une rhétorique identitaire (« Français contre étrangers ») plutôt que sur une critique systémique du capitalisme. Dénoncer le patronat reviendrait à adopter une posture anticapitaliste incompatible avec leur base électorale, qui inclut des petits entrepreneurs et des classes moyennes attachées au libéralisme économique. - Alliance implicite avec les intérêts économiques
Le patronat, historiquement favorable à l’immigration pour des raisons de compétitivité (comme l’illustrent les positions de Bouygues ou les déclarations de Georges Pompidou en 1963 : « L’immigration est un moyen de créer une détente sur le marché du travail »), reste un acteur influent dans les cercles de pouvoir. Les partis comme le RN, tout en s’opposant à l’immigration sur le plan politique, évitent de s’aliéner ces milieux économiques dont ils dépendent pour leur financement ou leur légitimité. Critiquer le patronat risquerait de perturber cette relation tacite, d’autant que certaines entreprises continuent de bénéficier d’une main-d’œuvre immigrée peu coûteuse, notamment dans des secteurs comme l’agriculture ou le BTP. - Stratégie électorale : simplifier le narratif
Les partis anti-immigration privilégient un discours simpliste et émotionnel qui désigne les immigrés eux-mêmes comme responsables des maux sociaux (chômage, insécurité, crise du logement), plutôt que de pointer les mécanismes économiques complexes pilotés par le patronat. Ce choix stratégique est plus mobilisateur pour leur électorat, souvent peu réceptif à une analyse structurelle du capitalisme. En 1981, Marchais s’adressait à une classe ouvrière organisée et politisée ; aujourd’hui, les partis comme le RN ciblent un public plus large, incluant des déclassés et des ruraux, pour qui le « grand patronat » est une abstraction lointaine comparée à la présence visible des immigrés. - Héritage historique et repositionnement du débat
Après 1981, le débat sur l’immigration s’est progressivement détaché de son ancrage économique pour glisser vers des enjeux culturels et identitaires, portés par l’essor du Front national dès les années 1980. Le PCF, affaibli par la montée du Parti socialiste et ses opportunistes droitiers, a abandonné sa ligne dure sur l’immigration, laissant l’extrême droite monopoliser le sujet. Cette dernière a repris la critique communiste de l'immigration plutôt que de s’attaquer à un adversaire interne puissant comme le patronat, évitant ainsi de diviser son propre camp. - Convergence paradoxale avec la gauche contemporaine
Ironiquement, la gauche actuelle, qui soutient souvent l’immigration au nom de l’humanisme ou de l’antiracisme, rejoint le patronat dans son refus de remettre en cause les flux migratoires, quoique pour des raisons différentes. Les partis anti-immigration, en ne dénonçant pas cette convergence, maintiennent un clivage gauche-droite artificiel qui leur profite électoralement, plutôt que de rouvrir un débat sur les responsabilités économiques qui les mettrait en porte-à-faux.
Conclusion
La controverse de 1981 entre Marchais et Bouygues a révélé un lien clair entre immigration et intérêts patronaux, une analyse que les partis opposés à l’immigration aujourd’hui ne reprennent pas, par choix idéologique, stratégique et historique. Là où Marchais voyait un outil du capitalisme à combattre, les partis comme le RN préfèrent un discours populiste centré sur l’identité nationale, l'insécurité évitant de s’attaquer au patronat pour ne pas fragiliser leurs alliances et leur base électorale. Ce silence illustre une rupture avec l’approche de classe du PCF d’alors, au profit d’une vision qui, bien que critique de l’immigration, reste compatible avec les intérêts du système économique qu’ils prétendent parfois contester.
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