Première mesure, Dofasco, la société canadienne récemment acquise et que Mittal prévoyait de revendre à Thyssen en cas de succès de sa propre OPA, est désormais enfermée à double tour dans une fondation de droit néerlandais. Les gardiens indépendants de celle-ci ne pourront pas céder les titres de la société dont ils ont la garde, en cas d’OPA hostile sur Arcélor. Une opération assez originale, mais dont on peut se demander si elle ne se retournera pas contre Arcelor, en cas d’échec de l’OPA. Ce montage ne paraît guère propice en effet à une optimisation de la structure financière du groupe. Et je ne suis pas certain non plus qu’il résisterait vraiment à une intégration complète d’ Arcelor dans Mittal. Il s’agit donc au mieux d’une mesure de retardement.
La deuxième mesure est encore plus discutable, pour ne pas dire dangereuse. Arcelor annonce en effet un dividende exceptionnel à verser à ses actionnaires, ainsi qu’un rachat de son propre capital. En clair, Arcelor va "rendre" de l’argent à ses actionnaires, soit sous la forme de dividendes, soit en rachetant à un niveau élevé ses propres actions, ce qui, par effet mécanique, augmentera la valeur unitaire de chaque action. Avec, comme effet secondaire, le passage au laminoir de la trésorerie de la société. L’idée qui semble prévaloir consiste donc à vider les caisses afin de rendre l’opération extrêmement onéreuse pour Mittal. Réaction immédiate de ce dernier, diminuer la part de cash contenue dans son offre... et mettre en valeur l’augmentation sensible du cours de sa propre action, proposée en échange. Du vent contre de l’air...
Dans ce jeu de Monopoly géant, on se demande finalement si Arcélor n’est pas en train d’organiser son propre suicide, afin de ne se rendre à Mittal que mort. Jusqu’à présent, Mittal a maintenu ses propositions, jugeant sans doute que ces effets d’annonce destinés à le décourager mériteraient d’abord d’être confirmés. Les actionnaires, eux, se taisent et attendent de choisir la meilleure solution, tout en se remplissant les poches, sous les effets conjugués de l’appréciation de la valeur de l’action et des promesses de dividendes améliorés qui leur sont faites.
Mais si Mittal renonçait ? Il est à craindre que dans ce cas, Arcelor ne se trouve confronté simultanément à un endettement massif et à un écroulement de la valeur de son action. On imagine les mesures que le management d’Arcelor se devrait de prendre ensuite, afin de résister simultanément à un renchérissement des taux d’intérêt et à une éventuelle diminution du cours de l’acier. Il est à craindre que, dans ce cas, le patriotisme économique ait un coût très élevé, et que la pilule empoisonnée, si habilement préparée à l’attention des Mittal, ne soit finalement servie aux collaborateurs d’Arcelor, sous le regard éploré des syndicats et de tous les tenants d’une économie administrée.