Immigration et calcul économique
L’immigration fait partie des thèmes qui engendrent facilement la polémique. A l’heure de « l’immigration choisie », cet article met en lumière les motivations économiques de certains migrants et esquisse des solutions pour réguler les flux.
On peut définir aujourd’hui la rente comme un revenu monétaire ou non monétaire (sous forme de biens et services gratuits ou à un prix inférieur à celui du marché) qui n’est pas fondé sur un travail ou un investissement au sens du marché. Depuis l’école des "choix publics", les économistes néoclassiques se sont intéressés au phénomène de recherche de rente qu’ils jugent défavorable au développement économique.
Il semble que l’analyse de la recherche de rente puisse être appliquée à une bonne partie des flux d’immigration qui caractérisent les pays du Nord.
Pendant la période d’après-guerre, les flux d’immigration ont été principalement motivés par un besoin de main-d’œuvre additionnelle exprimé par la croissance économique soutenue dans les pays du Nord. Depuis la crise des années 1980, ces besoins se sont largement estompés notamment en raison du processus de désindustrialisation. Avec la multiplication des conflits au Sud et dans les pays en transition, les flux d’immigration comportent de nombreux réfugiés politiques, mais également une plus grande proportion de réfugiés « économiques » qui franchissent illégalement les frontières. C’est ce dernier flux qui apparaît le plus concerné par la recherche de rente.
Les raisons des migrations à caractère économique ont été largement étudiées, notamment pour tenter de justifier l’exode rural dans les pays du Sud (Todaro, 1970). De façon schématique, la décision de migrer résulte d’un calcul économique coûts-avantages. L’immigrant potentiel met en balance un revenu « certain » (qui est souvent proche du revenu de subsistance) dont il est titulaire dans son pays et un revenu anticipé dans le pays d’émigration. De plus, la migration nécessite généralement un investissement sous forme de transport, de paiement de passeurs... La décision de migrer intervient lorsque le revenu escompté à l’étranger devient supérieur au revenu domestique majoré de l’investissement nécessaire. Bien entendu, il convient d’actualiser l’ensemble des revenus comparés et de tenir compte d’un certain nombre de probabilités.
Le calcul économique favorable à l’immigration
Les revenus escomptés dans le pays d’accueil comprennent en premier lieu les revenus du travail et les transferts sociaux dans le cas où l’immigré le plus souvent clandestin trouve un emploi. Certains économistes ont estimé la probabilité de trouver un emploi à partir du taux de chômage dans le pays d’accueil. Cette estimation apparaît hasardeuse du fait des possibilités importantes de trouver un emploi non déclaré (au noir). Le fait de trouver un emploi et d’obtenir un logement (en réalité une adresse) permet déjà à l’immigrant de bénéficier de certains transferts sociaux[1]. Si, par la suite, ledit immigrant arrive à être régularisé, il bénéficiera alors pleinement des revenus garantis et des transferts sociaux. Le problème est que souvent la régularisation devient synonyme de perte d’emploi, car l’employeur, obligé de respecter la loi en termes de salaire minimum et de charges sociales, préfère faire appel à un autre immigrant clandestin. Dans ce cas, l’immigrant régularisé devient un pur rentier s’il ne parvient pas à retrouver un emploi. En fait, l’existence d’un système de protection sociale et d’un revenu minimum constitue un facteur d’attraction des migrants potentiels et déconnecte partiellement la décision de migrer de la situation sur le marché du travail du pays d’accueil.
Les coûts représentés par la perte du revenu domestique certain apparaissent dérisoires. Une simple référence au PIB par habitant permet de l’attester : 27 677 dollars en France et au 994 Mali (en termes de parité de pouvoir d’achat, PPA, en 2003) soit un rapport de 28 à 1. Il est vrai que le coût du transport ou le paiement des services d’un passeur s’avèrent relativement élevés par rapport au revenu du pays d’origine, mais ils ne représentent guère que quelques mois de revenus escomptés dans le pays d’accueil. Néanmoins, il convient de prendre en compte la probabilité de se faire refouler du pays d’émigration. Plus cette probabilité est importante et plus elle réduit la valeur des revenus escomptés.
Au total, le calcul économique révèle, dans la grande majorité des cas, un résultat favorable à l’émigration qui justifie l’importance des flux.
L’immigration à la recherche de rente
Le but poursuivi par une bonne partie des immigrés est donc de percevoir des revenus supérieurs à ceux qu’ils avaient dans leur pays d’origine. Il s’agit d’un comportement tout à fait rationnel d’agents cherchant à maximiser leur bien-être. Néanmoins, peu importe la provenance de ces revenus qu’ils émanent du travail ou qu’ils soient simplement des transferts de « rente ». Il existerait donc une immigration contribuant au développement national de par son apport sous forme de travail légal et une immigration ayant un comportement de passager clandestin (resquilleur) bénéficiant de transferts sans aucune contrepartie, le coût étant supporté par la collectivité. En fait, dans le dernier cas, il s’agit d’un comportement tout à fait « capitaliste » en ce sens que l’immigré « privatise » les bénéfices et socialise les coûts.
Réduire les flux d’immigration « rentière »
Discerner les deux types d’immigration n’apparaît pas chose aisée. Néanmoins, une politique d’immigration légale ciblée sur les besoins de l’économie d’accueil permettrait d’opérer une première discrimination en identifiant les flux contribuant au développement. Ainsi, l’immigration illégale resterait alors essentiellement constituée d’agents à la recherche de rente. Pour lutter contre ce flux, il convient d’agir pour inverser les termes du calcul économique du migrant potentiel c’est-à-dire abaisser le montant du revenu anticipé afin qu’il devienne inférieur à la somme du revenu détenu et de l’investissement migratoire. Pour ce faire, il faut réduire les possibilités de trouver un emploi non déclaré en agissant notamment sur la demande. Une telle démarche implique une législation plus sévère envers les employeurs ainsi que des contrôles plus nombreux. Le problème se situe dans la résistance des puissants lobbies qui emploient de la main-d’œuvre non déclarée (construction, textile-habillement...). À l’instar de certains immigrés, les employeurs de main-d’œuvre au « noir » ont un comportement tout à fait « capitaliste » car ils réalisent des profits importants et socialisent les coûts dès que l’immigré est régularisé. D’autre part, il s’avère nécessaire de réduire les possibilités de captation de la rente attachée aux transferts sans contrepartie de la part des immigrés « rentiers ». De plus, l’augmentation de la probabilité de reconduite à la frontière est un facteur important de réduction des revenus anticipés. Enfin, il serait possible, pour « responsabiliser » les gouvernements des pays d’origine des immigrés illégaux, de déduire les coûts attachés à l’immigration de l’aide publique accordée par la France auxdits pays.
Quelle solidarité ?
Le monde doit être solidaire, c’est une évidence. Néanmoins, il apparaît que la rente captée par l’immigration sur le sol national pourrait être avantageusement affectée à l’aide aux pays d’origine sous forme de projets de développement. Bien entendu, le bien-être individuel des immigrés clandestins reconduits dans leur pays s’abaissera, mais le bien-être collectif des populations de leur pays d’origine en sera accru de façon plus importante. Par exemple, les 579 millions d’euros consacrés à l’aide médicale de l’Etat (AME), en 2003, pourraient être utilisés de façon efficace en investissements dans les pays pauvres avec un effet multiplicateur important sur le bien-être des populations. La solidarité revendiquée par les nombreuses associations des « droits de l’homme » doit donc arbitrer entre bien-être individuel et bien-être collectif.
[1] Ces conditions ne sont pas nécessaires pour bénéficier de l’aide médicale de l’Etat (AME) qui concerne aujourd’hui plus de 180 000 étrangers. L’AME prévoit la gratuité des soins pour les étrangers en situation irrégulière et pour les demandeurs d’asile. http://www.ifrap.org/Sante/AME.htm
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