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Interview d’Alain Juillet, haut responsable de l’intelligence économique

Quel bilan pouvez-vous dresser de l’intelligence économique actuellement en France ? Quelles sont les lacunes ou les obstacles qui existent encore ? Quelles solutions envisagez-vous pour les réduire et les maîtriser ?

Le premier objectif a été atteint puisqu’en grande majorité, les entreprises ont été sensibilisées, et l’on parle de plus en plus d’IE. Maintenant, l’effort consiste à garder le cap ! En rendant accessibles les dispositifs d’IE à toutes les entreprises, en incluant tous les partenaires de l’Etat dans la chaîne d’information, et surtout en continuant à coordonner les efforts afin de renforcer le lien public-privé nécessaire au bon fonctionnement du dispositif d’intelligence économique.


La problématique des systèmes d’information, d’une sorte de "dépendance" informatique et technologique pourra-t-elle entraver le développement de l’intelligence économique française ?

Les logiciels informatiques contribuent pour une bonne part à la démarche d’intelligence économique car ils offrent des opportunités pour aider les entreprises à maîtriser et à protéger les informations stratégiques utiles à leurs décideurs. Aucun outil, à ce jour, n’arrive à crawler et à indexer le Web entier pour aider les entrepreneurs à disposer des bonnes informations au bon moment. De même, la sécurité des systèmes d’information, priorité nationale depuis la remise du rapport du député Pierre Lasbordes au Premier ministre, est un enjeu vital pour se prémunir des actes de malveillance à des fins criminelles ou d’espionnage. Les banques l’ont bien compris, tout comme les sites de commerce en ligne qui savent que leur business model repose en partie sur la confiance que leurs clients ont dans leur dispositif.

Sans être ni naïf ni paranoïaque : les systèmes d’information font partie de la stratégie de l’entreprise et les PME doivent en prendre la mesure, car elles sont souvent les plus exposées et les plus vulnérables...

Les PME/PMI françaises ont des visions commerciales, à court terme, de rentabilité... et ne voient pas le ROI immédiat d’une démarche d’intelligence économique. Quelles sont les actions que vous avez menées pour éliminer cette frilosité et cette "inconscience" ?
Faute de moyens (financiers, humains, matériels...), comment les PME/PMI françaises peuvent-elles tirer profit de l’intelligence économique ? Qu’entendez-vous par agressivité ?


Jusqu’à un passé récent, les entreprises françaises, et notamment les PME/PMI, considéraient comme contradictoire le fait de développer leurs activités économiques et d’engager une démarche d’intelligence économique. Cette attitude pouvait être considérée comme légitime dans la mesure où l’intelligence économique était davantage considérée comme un concept réservé à quelques initiés. Cette vision souvent juste n’a pas permis de faire prendre conscience de l’importance du sujet à l’instar d’autres pays qui ont su mobiliser plus tôt les pouvoirs publics au bénéfice du secteur privé.

Depuis maintenant plusieurs années, et notamment depuis le rapport « Carayon », le gouvernement a nommé, en décembre 2003, un haut responsable chargé de l’intelligence économique dont la mission consiste à assurer la synthèse de l’information rassemblée par les différents services dans le domaine de l’intelligence économique, et d’organiser sa diffusion.

La France est donc rentrée dans une phase opérationnelle qui a déjà montré son efficacité.

Ainsi, à titre d’exemple, au niveau national, des mesures d’accompagnement financier des PME/PMI considérées comme relevant du domaine stratégique ont été mises en place.

Dans l’ensemble des régions, un dispositif dit d’intelligence territorial, regroupant l’ensemble des acteurs publics et privés, a été développé. Les pôles de compétitivité bénéficieront, à très court terme, de mesures de protection au bénéfice des PME/PMI qui seront assurées de la confidentialité de leur savoir-faire par rapport aux autres partenaires internes à ce dispositif et des risques externes. La volonté des pouvoirs publics, en accord avec les chambres consulaires, les fédérations professionnelles et les collectivités territoriales, est de mettre en place, au plus proche des PME/PMI, un dispositif simple et pragmatique. L’intelligence économique n’est pas destinée exclusivement aux grands groupes considérés comme ayant les moyens d’organiser leur défense économique. Elle doit être à la portée de l’ensemble de nos entreprises, qui concourent à la richesse nationale, au maintien et à la création d’emplois. L’Etat doit, avec d’autres, y contribuer.

Enfin, sur le plan international, nos ambassades sont également mobilisées pour assister nos PME/PMI dans le cadre de leur recherche de développement sur les marchés, mais aussi pour les aider à assurer la protection de leurs données et de leur patrimoine.

Dans votre dernière intervention à l’Assemblée nationale, vous aviez dit que si la France n’utilise pas des moyens aussi agressifs que ses concurrents, elle n’a évidemment aucune chance de l’emporter. Qu’entendez-vous par agressivité ici, surtout que l’ombre de l’espionnage économique est toujours présente quand on parle d’intelligence économique ?

C’est vrai qu’il est parfois difficile d’admettre que les méthodes d’intelligence économique se différencient du renseignement par le traitement de l’information provenant de sources ouvertes et dans le respect de la légalité. Il est sûrement plus flatteur de rêver à des James Bond qu’à des stratèges et à des analystes. Cependant, l’espionnage industriel n’est pas un mythe, mais ces méthodes particulières restent très ponctuelles et ne sont pas le sujet ici. Etre un acteur important sur la scène mondiale très concurrentielle amène évidemment à devoir répondre à certains défis. Celui que doit relever la France, c’est de ne pas être naïf face à la concurrence, et de se battre avec les mêmes armes que ses adversaires. C’est-à-dire qu’il faut connaître son environnement, avoir accès aux sources pertinentes d’informations ouvertes et savoir les traiter, et enfin utiliser l’information et les moyens de diffusion de l’information de manière offensive. Ce n’est pas de l’agressivité que d’être en compétition, le "vouloir gagner" est un état d’esprit.

Quels sont les objectifs derrière la création de la FEPIE ? Quels sont ses apports dans le développement de l’intelligence territoriale ?

La FEPIE a comme objectif de donner aux entreprises une vision claire de l’offre en matière d’intelligence économique. Cela permettra de mettre en évidence les bonnes pratiques de l’IE grâce à une labellisation élaborée par le ministère de l’Intérieur sur les cabinets d’IE. Cela permettra également de mieux cibler ses besoins. Dans un second temps, la Fépie disposera d’un portail de discussion dans lequel les professionnels de l’IE pourront échanger sur ces problématiques.

Les PME qui ne sont pas toujours en mesure d’accéder aux services de cabinets spécialisés en IE, dont les tarifs sont souvent élevés, pourront avec la FEPIE, entre autre, mettre en commun les demandes afin de réduire les coûts, échanger sur les retours d’expérience, et mettre en réseau ces informations. Ceci devrait permettre de tisser la toile des échanges de données, nécessaire à un système d’intelligence économique territorial orienté vers l’action.


La problématique de l’emploi en intelligence économique, avec l’augmentation du nombre des diplômés ?

Les enseignants qui interviennent dans le système LMD appliqué à l’intelligence économique doivent regarder le problème en face. Très peu d’étudiants ou d’étudiantes sont embauchés à l’issue de leur scolarité sur des postes d’intelligence économique. Ceux-ci sont encore très peu nombreux dans les entreprises et les organisations. Cette réalité doit être énoncée très clairement dès le début de l’enseignement. Il est d’ailleurs de bonne pédagogie d’en expliquer les raisons. L’intelligence économique, en tant que discipline, viendra compléter une formation principale d’ingénieur, de juriste, d’économiste ou de littéraire. Elle doit être vécue comme un surplus, une dimension complémentaire, un enrichissement personnel, une vision supplémentaire. Dans la plupart des cas, l’ingénieur ou le cadre d’entreprise ne pourra que plus tard mettre au service de son organisation les compétences acquises lors de sa formation initiale. En aucun cas il ne faut laisser planer un faux espoir sur la réalité actuelle du marché de l’emploi. Cette réalité ne doit pas empêcher les efforts entrepris pour faire reconnaître les métiers de l’intelligence économique. C’est ce qu’a initié le HRIE auprès des institutions et associations concernées. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui commence à porter ses fruits. Le HRIE, l’ANPE, l’ADBS et la Fépie, sans exclure d’autres partenaires, ont entrepris depuis un an une concertation. Celle-ci vise à définir les contours et les contenus des nouveaux métiers de l’intelligence économique. Ce travail ne peut être que collectif. Il doit associer dès le début les employeurs, les fonctionnaires de l’Etat, les différents acteurs du marché de l’emploi, les enseignants et les étudiants en intelligence économique.

Un dernier mot sur le futur de l’intelligence économique ?

La démarche de sensibilisation entamée depuis plus de deux ans commence à porter ses fruits. Maintenant l’objectif est d’arriver à une réelle professionnalisation par l’enseignement et la recherche, à l’usage des bonnes pratiques, et à la systématisation des réflexes concernant la maîtrise de l’information sensible dans les entreprises. La conjoncture actuelle et la société de l’hypermédiatisation induisent une pratique de plus en plus nécessaire et pointue des métiers de l’intelligence économique. L’Etat français en est convaincu, et continuera à soutenir ses fleurons, ainsi que ses jeunes pousses industrielles.


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3 réactions à cet article    


  • krokodilo (---.---.49.232) 11 septembre 2006 09:53

    Pourquoi ne pas parler français ? L’intelligence économique n’est que du renseignement ou de la veille économique. Il ne s’agit pas de purisme franco-français. Certes les langues vivent, échangent des mots, mais ce sont nos amis francophones, Liban, Québec, Afrique, qui nous reprochent de trop accepter d’anglicismes, et c’est uniquement grâce à leur ténacité qu’on a pu avoir divers substituts qui sonnent bien (courriel, par exemple.) Ils nous diront un jour : autant étudier directement l’anglais... En outre, dans ce cas précis, le sens est assez éloigné : intelligence n’avait en français aucun deuxième sens en rapport avec la veille ou la surveillance, ou un bilan. Les exemples analogues sont nombreux : supporter, management, qu’est-ce d’autre que de la gestion ? Ou gestion d’entreprise s’il faut le préciser. salutations (regards !)


    • catelin (---.---.200.47) 30 novembre 2006 15:11

      M. Alain Juillet est satisfait. Les entreprises françaises sensibilisées à l’IE ont une démarche de « systématisation des réflexes » facilitée par une professionnalisation des bonnes pratiques. L’industrie « logiciel » est optimisée par cette prise de conscience. Tout va donc pour le mieux. A une nuance près et de taille : la stratégie française est autarcique dans sa démarche comportementale, repliée sur une logique déductive trouvant sa source dans des prémisses de précaution et de protection. Le langage enrobe le tout pour rassurer pouvoirs et politiques. Le servum pecus peu concerné par ce sujet gobe les discours sur la mondialisation, les entreprises « voyou », les délocalisations, les contrefaçons et autres substantifs pour se confirmer que lesdits arguments obligent cette stratégie. La servitude a toujours eu de bons ouvriers taiseurs, sourds et muets.


      • Lethiais 12 décembre 2006 18:24

        Que se passe t-il quand votre brevet d’invention est plagié par l’appareil de l’état ? Le mien par exemple déposé en 95 boudé par le ministére de l’intérieur et en 2003 l’innovation équipe 46000 armes Sieg Sauer commandées par le meme ministére. Il y a de quoi se ,tordre de colère quand le ministre ce l’intérieur anime des colloques sur l’IE, ne pensez vous pas ? Et pourtant des parlementaires et hauts fonctionnaires, connaissaient l’existence du brevet. Merci d’avoir pu capter votre attention.

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