Une folle histoire d’humour
C’est vraiment une chose étrange à la fin que le monde. Tout ça pour un trait d’humour… Comment en est-on arrivés là ? Au fond, il n’y a pas d’explication, il n’y a que des pièces d’un puzzle infini, des logiques insensées et pourtant imparables, des histoires qui s’entremêlent :
- Dessin de Cabu
C’est l’histoire d’un pays fait depuis toujours d’un agrégat de diverses populations, « ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c’est ça les Français. » 1
C’est l’histoire d’une République qui s’est voulue ferme face aux religions pour favoriser l’instruction et qui se veut accueillante à tout citoyen pour peu qu’il respecte le pacte social et qu’il apporte une main d’œuvre bon marché.
- L’Eglise vue par la République
C’est l’histoire de Trente Glorieuses suivies de Trente Piteuses aujourd’hui quadragénaires, d’un lent sentiment de déclin, d’une impuissance face au chômage grandissant, d’une précarisation de l’emploi, d’une ghettoïsation des banlieues.
C’est l’histoire d’une deuxième génération d’immigrés chantée par Renaud, contrainte à redoubler d’efforts pour s’intégrer, bousculée par une vingtième ou une cent-cinquantième génération pas plus éclairée mais se trouvant plus légitime de par son ancienneté.
C’est l’histoire d’une troisième, d’une vingt-et-unième ou d’une cent-cinquante-et-unième génération légèrement paumée, perfusée au Club Dorothée, complètement dépolitisée, cherchant vaguement un idéal lorsque le cynisme ne l’a pas encore emporté.
C’est l’histoire d’une religion débarrassée de siècles d’occupation ottomane, de présence coloniale et de guerre froide et cherchant à revivre son âge d’or par une pratique archaïque, en réaction à la culture occidentale.
C’est l’histoire de deux tours qui s’effondrent, de bombes qui sifflent dans un pays inconnu jusqu’alors, d’une invasion décidée unilatéralement dans un autre abandonné depuis dans le chaos, de deux peuples voisins qui ne peuvent toujours pas se sentir, de printemps arabes, d’hivers islamiques.
C’est l’histoire d’un radicalisme importé en France par je ne sais quel mélange de toutes ces histoires, avec l’aide d’une usine à endoctrinement appelée également prison où des idéologues en tous genres trouvent des disciples à portée de cellule.
C’est l’histoire d’un journal hebdomadaire dans la pure tradition des caricaturistes français croqueurs de rois et bouffeurs de curés, volontiers provocateur et ne souhaitant faire aucune concession face à de nouveaux curés, quels qu’ils soient.
- Caricature du roi Louis-Philippe par Daumier
C’est l’histoire de 17 assassinats qui ne méritent pas d’être montrés, ni filmés, ni racontés mais qui ne mériteront jamais d’être oubliés.
C’est l’histoire de policiers lâchement abattus, de juifs tués parce que juifs, d’un agent de maintenance fauché par hasard et d’une rédaction endeuillée.
C’est l’histoire de dessinateurs tombés sur les barricades et qui, tels Gavroche, se riaient des balles et auraient pu imiter le chant funeste du gamin de Paris :
On n’a pas pu se taire,
C’est la faute à Voltaire,
On mange des pissenlits2,
C’est la faute à Charlie.
C’est malgré tout l’histoire ironique de deux sinistres personnages qui projettent de tuer un journal, font de la publicité pour une imprimerie et offrent au journal la plus grosse vente jamais enregistrée.
C’est l’extraordinaire histoire de l’otage qui était resté caché sous un évier Ikea3.
C’est l’histoire ô combien symbolique d’un musulman qui sauve des juifs, ou plus simplement d’un homme qui sauve des êtres humains.
C’est l’histoire d’une marche de République à Nation, d’une République qui reste debout, d’une Nation qui fait peuple.
C’est l’histoire drôle, à croire qu’ils se soient ligués pour nous réconforter par le rire, d’un président qui fait du Hollande en se prenant une fiente de pigeon à un moment improbable ou d’un ex-président qui fait du Sarkozy en se faufilant admirablement en tête de cortège.
C’est l’histoire d’une liberté d’expression dont on mesure à quel point on y est attaché au moment où l’on nous l’enlève, subtilement encadrée par la loi entre l’autorisation de se moquer d’une religion – Dieu sait qu’il y a matière - et l’interdiction d’incitation à la haine contre les croyants d’une religion – ce que n’a jamais fait Charlie Hebdo, au contraire de Dieudonné.
C’est l’histoire de citoyens offensés par la représentation d’un prophète, et qui devront s’habituer à l’être, comme l’ont été avant eux les bigots et autres adorateurs de sa majesté depuis plus de trois siècles ; en témoigne cette phrase de l’abbé Meslier, reprise par Voltaire :
« L'humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier roi aura été pendu avec les tripes du dernier prêtre »
- Caricature des Corbeaux
C’est l’histoire de minorités assourdissantes et d’une majorité silencieuse qui n’a pas à se justifier de ne pas vouloir faire de bruit pour vivre sa vie.
C’est l’histoire d’une quatrième, d’une vingt-deuxième ou d’une cent-cinquante-deuxième génération née avec un téléphone dans la main, droguée aux réseaux sociaux, jugée inquiétante comme toute nouvelle génération, dont j’espère juste qu’elle n’oubliera pas de se moquer d’elle-même.
C’est une histoire que nous avons conjuguée à l’imparfait, que nous conjuguons au conditionnel du vivre-ensemble et que nous conjuguerons à l’impératif de la lutte contre l’obscurantisme.
1 Voyage au bout de la nuit, Céline
2 « Etre mort, cela s’appelle manger des pissenlits par la racine » (Les Misérables, à propos des métaphores du gamin de Paris)
3 Pour Ikea, ce n’est pas prouvé, j’attends les résultats de l’enquête.
- Dessin de Charb
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