Internet peut-il restaurer le lien social ?
Le constat est paradoxal, voire même choquant. A l’heure où chacun d’entre nous fait une consommation effrénée d’internet, notamment pour entrer en contact avec d’autres individus via de grandes communautés électroniques standardisées, la cohésion sociale semble largement défaillante et la problématique de l’isolement n’a jamais été aussi aiguë.
La dégradation du lien social ne date pas d’hier
Les nombreux attentats de l’année 2015 ont remis la notion de lien social au centre des débats. Il y a une forme de non-sens, d’absurdité à propos de ces événements tragiques qui frappent notre pays aveuglément et arrachent injustement des individus à l’amour de leurs proches dans une suite de circonstances d’une violence inouïe, incompréhensible, qui nous interroge profondément.
Cette prise de conscience d’une fracture dans la société semble d’une extrême brutalité, cependant le sentiment d’une forme de dislocation de la communauté nationale ne date pas des dernières semaines : 83% des français déploraient déjà la faiblesse de la cohésion sociale en 20121 et 74% de nos compatriotes estimaient en 2013 que le lien social s’était dégradé au cours des 10 dernières années2.
Sous l’effet de la crise économique les tensions se sont exacerbées, les inégalités sociales se sont aggravées et une grande majorité des Français a le sentiment d’avoir été abandonnée par les gouvernements successifs3. Le déclin manifeste de l’autorité de l’Etat, l’affaiblissement des liens familiaux et de voisinage, la montée de l’individualisme en règle générale et la perte progressive des valeurs sociétales expliquent également ce très fort sentiment de dégradation du lien social, de marginalisation d’une frange croissante de la population.
Le paradoxe d’internet
Le constat est paradoxal, voire même choquant. A l’heure où chacun d’entre nous fait une consommation effrénée d’internet, notamment pour entrer en contact avec d’autres individus via de grandes communautés électroniques standardisées, la cohésion sociale semble largement défaillante et la problématique de l’isolement n’a jamais été aussi aiguë.
Le tourbillon de la mondialisation ouvre certes une foule d’opportunités mais il donne bien souvent le vertige. Un mouvement de repli sur soi, de communautarisme a émergé, destiné à se protéger de cette vague de déstabilisations successives, pour retrouver un groupe, une tribu, un ensemble plus ou moins cohérent d’individus avec lesquels faire corps. Il faut convaincre les autres et se convaincre soi-même que l’on est pas tout seul pour faire face.
Les liens virtuels ne remplacent pas le réel
C’est ici même que le leurre d’internet intervient, offrant un semblant de protection contre les agressions du monde moderne, permettant de bander ses muscles à coups de centaines de followers pour affirmer qu’on est bien au centre de quelque chose et non écarté en périphérie par la force centrifuge de cette société de l’instantané et du jetable. Nous avons dès lors quitté l’ère de la qualité des contacts pour celle de la quantité, de la multitude, de la production de l’ami “virtuel” de masse qui sert à impressionner les autres et qui tend probablement à nous rassurer… temporairement.
“Virtuel”, tel est bien le problème de cet ami parfois intrusif. Pendant de longues années les expériences en ligne n’ont pas véritablement rapproché les individus dans la vraie vie. Bien au contraire. Une première vague de sites marchands n’a fait que canaliser l’individu vers de nouveaux réflexes consuméristes, à rendre ses achats encore plus compulsifs et immédiats car ils devenaient payés et livrés en un clic. Internet s’est progressivement substitué aux interactions humaines quotidiennes dans une foule de domaines (courses, visionnages de films, etc) et ainsi a participé à la désertification de la vie sociale dans le réel.
Le web s’est également mu en un immense répertoire d’individus grâce à l’émergence de sites tels que Facebook ou Linkedin. Mais franchement, quelle est la proportion d’amitiés réelles qui se sont crées via l’un, et quelle est la proportion de jobs qui ont réellement été décrochés via l’autre ? 79% des utilisateurs de Facebook estiment que le nombre de contacts virtuels n’impacte pas la richesse de la vie sociale. Et seuls 54% d’entre eux ont déjà rencontré l’intégralité de leurs contacts2. Nous ne connaissons généralement pas une bonne partie des individus qui font partie de nos nombreux réseaux virtuels, et nous ne les rencontrerons jamais. Entendez-vous, ja-mais. Ces pages web deviennent alors des vitrines de notre propre ego, une exposition des relations dépersonnalisées que nous avons réussi à accumuler au gré des clics, comme nous accumulons biens et objets avec la plus grande frénésie. Ils tendent à affirmer notre statut, notre importance, ou notre influence… virtuelle.
L’isolement, la solitude, la dégradation du lien social n’ont jamais été des sujets aussi sensibles alors que le Saint-Web est tout puissant, qu’il nous abreuve d’amis, d’informations, de conjoints potentiels et d’une multitude de possibilités d’accroître notre prétendu pouvoir sur le monde, et ce jusqu’à la nausée.
Un pouvoir sur le monde… finalement relativement limité il faut bien l’admettre. Il y a parfois cette illusion de devenir des dieux qui nous flatte mais nous ne restons pourtant que de simples mortels ayant des problématiques bien triviales à gérer au quotidien. Il est aujourd’hui bien plus facile via internet de prendre les commandes du robot Curiosity sur la planète Mars, expérience proposée récemment par la Nasa, que de retrouver son chat qui vient de s’échapper par la fenêtre pendant qu’on consultait le nombre de ses followers sur Twitter. Nous sommes au 21ème siècle, il faut encore placarder tout son quartier d’affichettes pour retrouver Minou alors qu’on peut retrouver la trace d’un Copain d’Avant expatrié au Honduras du bout de son clavier ou de son smartphone avec une facilité déconcertante.
Une nouvelle forme de collaboration sociale apparaît
Enfin, ça c’était avant. Eh bien oui, bonne nouvelle, il y a désormais un peu d’espoir de retrouver Minou, “A new Hope” comme diraient certains. En effet, l’ère du collaboratif s’installe heureusement dans nos vies un peu plus chaque jour et permet un renversement total du paradigme : nous étions jusqu’ici les instruments d’un système, mais le système tend enfin à se mettre à notre service avec de fulgurantes initiatives. L’internaute n’est plus seulement un consommateur ou une proie marketing de marques à l’affût, il devient maintenant acteur de son propre épanouissement en tissant de nouvelles relations dans la vraie vie de tous les jours, #IRL pour les geeks. Les transactions de biens et de services entre particuliers ont ceci de magique qu’elles créent d’abord et avant tout un échange, des échanges, de vraies interactions dans le réel. Certes, les motivations sont prioritairement utilitaires car j’ai d’abord et avant tout besoin d’un trajet en voiture avec Blablacar ou d’un logement avec AirBnB, mais le moyen de parvenir à mes fins et de satisfaire tel ou tel besoin (économique, logistique, d’organisation, etc) est de passer par l’Autre, de le rencontrer et de collaborer avec lui. Enfin, dans cette nouvelle configuration les humains se parlent, négocient, s’entraident et finissent par se sentir membres d’une communauté à laquelle ils appartiennent, qui leur rend service et à laquelle ils peuvent chacun contribuer à leur niveau, c’est à dire qu’ils peuvent enfin trouver leur place… Et trouver sa place est effectivement l’enjeu majeur du processus de socialisation. Enfin, grâce à une société en mode collaboratif, nous parvenons à réconcilier autonomie individuelle et bénéfice collectif, à passer d’une société ou chacun était dans “son monde” à une perspective dans laquelle chacun peut être davantage dans le même monde que celui de son voisin. La dislocation sociale pourrait ici avoir enfin trouvé une sérieuse opposition, une raison même de finir par reculer.
La rencontre humaine est indispensable
Les bienfaits de cette nouvelle économie vont au-delà de ce que vous pouvez imaginer. Essayez-vous au collaboratif, si ce n’est déjà fait, et plus vite que cela s’il vous plaît, car votre espérance de vie peut en dépendre ! Il y a un lien indéniable entre votre santé, votre bien-être et la richesse de votre vie sociale. C’est la conclusion de centaines d’études plus éminentes les unes que les autres. Les chercheurs de l'Université Brigham Young indiquent par exemple que les relations sociales sont un facteur à part entière de l’espérance de vie, comme peut l’être le poids ou la consommation tabagique. Par ailleurs, des scientifiques de l’université de Caroline du Nord ont déterminé que l’isolement social lors de l’adolescence pouvait augmenter le risque d’inflammation au même taux qu’un manque d’exercice. A l’âge adulte la qualité davantage même que la quantité de connections sociales aurait un impact particulièrement bénéfique. Et à un âge avancé, l’isolement social aurait plus de chance d’entraîner de l’hypertension que des facteurs de risque cliniques comme le diabète4. Comme l’explique aussi Susan Pinker dans ‘The Village Effect’, des relations sociales solides et étendues tendent à améliorer sensiblement votre santé et la durée de votre existence5. Plus fort encore, venir en aide à son réseau est associé à davantage de résultats positifs que de bénéficier de l’aide de ceux qui vous entourent.
L’importance du contact humain se fait donc ressentir à tous les âges de la vie. Contrairement à ce que prétend Sartre, l’enfer ça n’est pas les autres mais plutôt l’absence des autres.
Recréer sa zone de confort et bénéficier de l’effet village
Il faut probablement se résoudre à penser que le village planétaire est un concept dépassé et ne plus tergiverser. Il est temps de promouvoir un village de proximité pour briser la dynamique de l’isolement et restaurer le lien social. Développons un quotidien plus simple, plus efficace et plus convivial. Retrouvons du sens dans notre vie et dans nos interactions avec les autres.
Vous aurez certainement noté que “Get out of your comfort zone” est le slogan provocateur qu’on nous martèle sans cesse. La belle affaire... encore faudrait-il posséder une zone de confort ! Les différentes enquêtes indiquent qu’elle s’apparente aujourd’hui davantage à une zone de repli défensif dont on ne veut pas sortir. Opposons à ce concept, la nécessité de recréer une véritable zone de confort, de partage et d’épanouissement, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. C’est quand cette zone de confort social sera retrouvée que les individus pourront enfin en sortir pour prendre des risques additionnels, choisis et mesurés et enrichir véritablement leur expérience de vie.
Et si on commençait tout simplement par recréer un village dans sa ville, dans son quartier, dans son immeuble, afin de faire renaître une cohésion sociale locale et tisser des liens de proximité dans notre vie de tous les jours ? Pour répondre à ce défi, de nouveaux réseaux de voisinage font leur apparition. La belle vie, ça ne tient qu’à vous désormais.
Eric Welment
Président, www.konnectown.com, Vous êtes citadins, devenez villageois !
Notes et références :
1 - enquête Credoc sur la cohésion sociale pour la DGCS, 2012
2 - enquête IFOP “Continuité et transformation du lien social à l’heure des réseaux sociaux”, avril 2013
3 - Ateliers CSA, “L’état du lien social en France fin 2015”, décembre 2015
4 - Etude de l’Université de Caroline du Nord - http://uncnews.unc.edu/2016/01/04/social-networks-as-important-as-exercise-and-diet-across-the-span-of-our-lives/
5 - The Village Effect : How Face-to-Face Contact Can Make Us Healthier, Happier, and Smarter, 2014, Susan Pinker
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