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Commentaire de lloyd henreid

sur Petite histoire édifiante sur le Pôle Emploi


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lloyd henreid lloyd henreid 7 juin 2013 13:04

L’épreuve n’est pas marrante non plus quand on est jeune :)

Pour mon brin d’histoire surréaliste et pourtant véridique, la première remarque du premier conseiller que j’ai rencontré lors de mon premier rendez-vous chez Paul (Emploi) :

« Oubliez vos diplômes [bac +3], ils ne vous serviront à rien. Misez plutôt sur votre expérience [de jeune diplômé... cherchez l’erreur]. »

On m’envoie donc après un bilan de compétences (qui ne m’apprend strictement rien que je ne sache déjà) rencontrer une autre conseillère dans le cadre d’un dispositif d’accompagnement ++ au rythme de 1 rencontre par semaine. Première remarque de cette nouvelle conseillère, notre première rencontre :

« Vous avez pas quelqu’un qui peut [sic] vous aider à entrer quelque part ? »

Là, je me dis que les choses sont encore pire que je ne l’imaginais. On touche le fond. Il est évident que si j’étais un « fis de », je ne m’infligerais pas la peine de rendre des comptes à Paul. Je ne serais pas chômeur ou si je l’étais, du moins pas contraint de mendier des allocations. Et puis les diplômes sont optionnels quand on est « fils de » : suffit alors d’un bac +2 pour prétendre (par exemple) à de hautes fonctions à la Défense ^^

Ma conseillère doit faire du chiffre, c’est son job. Un sous-traitant, payée seulement (par Paul) si à la fin, je retrouve du travail. C’est elle-même qui le dit (à mon grand étonnement). Faute de pouvoir véritablement me conseiller sur « comment mettre en valeur les acquis de mon parcours » (genre les études que je me suis donné le mal de faire), elle fait la seule chose qu’elle puisse vraiment faire : me pousser chaque semaine à postuler sur un maximum d’annonces à la con... avec parfois l’impression que plus c’est éloigné de mes compétences, plus elle apprécie :)

Je veux dire... ’y a pas de sots métiers hein, c’est pas que je me la pète — mais gardien de péage sur l’autoroute en CDD de quinze jours, c’est pas vraiment bandant comme perspective. Disons que je n’ai pas fait ma licence pour ça. Mes parents non plus ne se sont pas serré la ceinture pendant tout ce temps pour que je devienne gardien de péage, ils l’ont fait pour que je vive mieux et pour pouvoir être un peu fiers.

Ma conseillère me suggère aussi de postuler à des tas de trucs bizarres, genre du soutien scolaire chez Acadomia, ce genre de chose. Pour ceux qui ne connaissent pas, ça marche par « missions » d’une ou deux heures par semaine chez un particulier à 50kms de chez vous pour un salaire qui, en gros, couvre à peine les frais de déplacement. Le tout en CDI, je sais, ça fait rêver ; mais ce genre de CDI se romp aisément dès lors que le « client » n’a plus besoin de vos services. Normal : puisque Lucas a vaincu ses difficultés et qu’il a son bac, la mission est accomplie, le contrat (donc) terminé.

Il est évident que ce genre d’expérience n’entre pas dans la case « reprise durable d’emploi », càd ce pour quoi ma conseillère sous-traitante est payée. Mais elle semble vraiment convaincue que c’est le moyen je cite « de se faire connaître » et d’aboutir, peut-être mais c’est vraiment pas sûr, à quelque chose de plus stable et avec plus d’heures. En fait je comprends bien qu’elle n’y croit pas elle-même, mais son travail consiste à faire en sorte que moi, j’y croie. Et du coup mon rôle à moi c’est de faire semblant que oui : j’y crois, ça me motive, parce que c’est elle qui tient les cordons de la bourse donc qui décide de toute façon.

Pour faire valoir ce dispositif de reprise « progressive » d’emploi, Paul propose en effet un accompagnement financier pour faire en sorte (et c’est le minimum) qu’on gagne au moins autant en bossant qu’en restant chez soi. Le fonctionnement est simple : vous déclarez votre reprise d’emploi partiel, votre salaire, et Paul le complète par une allocation spécifique à hauteur de ce que vous gagneriez en restant simplement chez vous (voire un peu plus mais bon... ça casse pas des briques hein).

Le hic c’est qu’on peut avoir droit par exemple (c’est mon cas) à deux ans d’indemnités de chômage total, càd deux ans de « je reste chez moi à rien faire et j’encaisse pareil que si je bossais à temps partiel », c’était mon cas. Rester chez soi étant quand même assez aliénant, je trouve l’idée d’une reprise de travail « partielle » intéressante ne serait-ce que pour garder du lien social et se sentir utile (plutôt que d’être juste un « fainéant d’assisté », selon la rhétorique politique en vigueur). Mais si l’on peut rester deux ans à ne rien faire, en revanche le dispositif d’accompagnement avec cumul salaire + indemnités (pourtant moins coûteux) est limité à quinze mois d’accompagnement au total. Conséquence : si vous signez pour un CDI ne serait-ce que de 12H par semaine, ce qui évidemment ne permet pas de vivre « en autonomie », au bout de quinze mois la gentille conseillère qui vous disait « c’est super ! » vous lâche et vous explique que maintenant, c’est fini : Paul ne complète plus votre salaire. Il vous reste alors le choix soit de continuer sur ce magnifique CDI qui ne vous permet même pas de payer votre loyer, donc découvert etc. ; soit de le rompre et dans ce cas vous êtes démissionnaire. Dans un cas comme dans l’autre, au final vous sortez des listes (c’est toujours ça) et perdez le minimum vital que vous pourriez paradoxalement continuer de percevoir si au lieu de « montrer votre motivation » sur un temps partiel, vous étiez resté tranquille chez vous à « profiter » des allocations auxquelles avant de bosser, vous aviez droit.

Par chance et par le jeu de relations strictement professionnelles, donc semi-piston mais t’façon ’y a que ça qui marche, j’ai retrouvé du taf avant que la miss ne me coince pour de bon dans son merveilleux dispositif. Puis j’ai reperdu mon emploi neuf mois plus tard (CDD) pour en retrouver (seul, comme un grand !) trois mois plus tard, aucun rendez-vous chez Paul dans l’intervalle. (Et c’est tant mieux.)

Parallèlement à cet emploi dans le public, j’ai passé un concours administratif avec succès... une autre preuve (s’il en fallait) de ma motivation. Suite à ce concours j’ai encore perdu mon emploi (CDD, encore et toujours) pour découvrir que finalement peu d’offres sont diffusées qui correspondent aux besoins de recrutement pour le concours que j’ai passé (lequel n’entraîne pas d’affectation automatique). Je me retrouve donc à bac (scientifique) +3 années d’études (littéraires) post-bac, quelques années d’expérience professionnelle (très) réussies, un concours en poche et une détermination sans faille dont je ne cesse de témoigner, et au final : un rendez-vous chez Paul à la fin juin. Faudra que je lui explique aussi que les emplois d’avenir, contrats uniques d’insertion, et autres trucs spéciaux pour « les jeunes sans formation », c’est parfois frustrant pour ceux qui se sont donné le mal de bosser à l’école. Tu sais, Paul : travaille bien et t’auras un bon métier... ptèt’ même que tu seras chef :)

En conclusion de mes petites réflexions perso : le monde actuel du travail et notamment celui des « pros de l’emploi » (dont je me demande si c’est une oxymore ou un pléonasme ?) n’est qu’un tissu de choses vaines, absurdes, dont au final (j’avoue) je préfère rire. C’est pas que ma situation ne me désespère pas, mais je fais mon possible et constate simplement qu’au final : ce sont les idiots qui tiennent le monde, du DRH au ministère en passant par ma conseillère, et qui s’entendent parfaitement entre soi. Triste à dire mais je me permets pour le constater, et ce, y compris dans mon entourage familial : les vrais « cassos » débiles qui n’ont pas fait d’études trouvent beaucoup plus facilement du travail que ceux qui, comme moi, se sont donné le mal d’étudier et de se construire. De même qu’en politique, le monde appartient aux spectateurs de TF1 : ceux qui se tapent les conférences d’Asselineau, Chouard, Soral (dans leur variété pour n’offusquer personne) sont les vrais idiots de la république. Les bons citoyens sont ceux qui préfèrent NRJ12. Mes anciens camarades cancres envoyés en CFA parce qu’ils s’en branlaient de l’école, des maths, etc., qui ne savent pas écrire ni même parler (dans un nombre croissant de « cas ») sont tous plombiers, électriciens, menuisiers avec du taf, des sous, des projets plein la tête : maison, femme, chien, enfants... Si j’avais su !!


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