MANIFESTE
POUR L’INSTRUCTION PUBLIQUE Appel à
la résistance
Le système d’instruction publique français
est en train de sombrer. Cette évidence ne peut échapper à
quiconque fréquente les établissements scolaires. Il reste qu’à
l’extérieur, elle est mal connue : la presse n’informe plus et le
mutisme complice des organisations syndicales majoritaires paraît
s’accorder avec l’étrange silence de l’immense majorité des
enseignants. Pour notre plus grande honte.
Nous avons à dénoncer ici une forfaiture
: de très nombreux enseignants, dont la vocation était d’instruire,
n’ont aujourd’hui d’autre choix que de participer, bon gré mal gré,
à une entreprise d’abrutissement dont leurs élèves sont les
premières victimes. Savoir lire et écrire correctement est
redevenu, pour ainsi dire, le privilège d’une élite. Ces
enseignants, qui cèdent souvent sans lui opposer la moindre
résistance à la tyrannie imbécile des prétendues « sciences
de l’éducation » et de leurs
zélateurs (inspecteurs, formateurs et autres tuteurs), abdiquent
leur véritable mission. Par désinvolture ou par sottise, ils se
font les agents aveugles et irresponsables d’une immense machine à
détruire l’intelligence. Ils acceptent sans broncher que l’école
soit mise au service d’intérêts radicalement opposés à une
certaine idée de l’homme, que les siècles passés nous avaient
laissée en héritage.
Des réformes successives ont peu à peu
affaibli l’institution, réduit sa capacité à instruire. Longtemps,
il a été possible de croire que l’évolution négative de l’état
des choses résultait d’erreurs, de compromis hasardeux. Mais
aujourd’hui, plus de dix ans après la promulgation de la Loi
d’orientation du 10 juillet 1989,
qui entérine la transformation de l’institution scolaire en
« service public »,
aucun doute n’est plus permis : l’école a perdu sa mission
d’instruire et devient peu à peu l’instrument privilégié du
contrôle social et de la propagande.
L’objectif des gouvernements, quels qu’ils
soient, soumis aux pressions des instances économiques
internationales, est clairement de détruire de fond en comble le
système d’instruction publique, en France comme ailleurs.
Disqualification des professeurs, abandon du principe de laïcité
sur lequel se fonde pourtant l’école de la République ; savoirs
fondamentaux que l’on a rabaissés au rang de simples prétextes
éducatifs et relégués à la périphérie d’un « système »
dont l’élève, par pure démagogie, est devenu le centre ;
déconcentration et autorité accrue des chefs d’établissement ;
T.P.E.,
N.T.I.C.,
E.C.J.S.,
et aujourd’hui I.D.D.
Voilà énumérés les principaux moyens d’une politique désastreuse
arrivée à son terme.
On voit maintenant des professeurs s’épuiser
dans les collèges à enseigner ce que les instituteurs ont été
empêchés de transmettre ; un peu partout, des individus isolés
tentent l’impossible – souvent en vain – pour sauver ce qui
pourrait encore l’être. La possession du baccalauréat n’empêche
plus désormais, dans bien des cas, qu’on puisse être, stricto
sensu, parfaitement illettré. Dans
quelques rares établissements – très privilégiés –
si on enseigne encore quelque chose, c’est qu’il faut bien permettre
la reconstitution des élites. Partout ailleurs, le chaos et la
violence s’installent.
C’est que, dans de trop nombreux collèges et
lycées, le simple droit d’étudier se trouve refusé à ceux qui
veulent être instruits, par l’obligation qu’on leur a faite de
côtoyer et subir ceux qu’on a rendus incapables d’apprendre et que
la perversion des règles de discipline encourage à la violence
aveugle de la délinquance. Ces derniers finissent toujours par
imposer leur loi particulière, en toute impunité. On a voulu
définir – atroce ironie ! – les établissements scolaires
comme des « lieux de vie » !
Mais dans certains cas, ce n’est pas seulement l’intelligence de la
jeunesse qu’on laisse mourir, c’est la jeunesse elle-même qu’on tue.
Nous accusons les gouvernements qui se sont
succédé de s’être faits, sous couvert d’une phraséologie
démagogique et fallacieuse dont seuls des imbéciles pourraient
désormais être dupes, les exécutants de la politique la plus
cynique et la plus basse qu’on ait vue en France depuis des
décennies. Politique d’abrutissement et d’asservissement des masses,
politique fondée sur le mépris de l’homme et de toutes les valeurs
qui font une civilisation.
Nous accusons les syndicats majoritaires
d’avoir prêté main-forte à ces gouvernements. Ils ont fait marcher
les professeurs, au sens propre comme au sens figuré, dans
d’innombrables manifestations contre une politique qu’ils entendaient
délibérément soutenir et favoriser tout en prétendant
hypocritement le contraire. Ils ont pris le contrôle des inévitables
mouvements de contestation qu’elle suscitait. Ils ont sciemment égaré
des milliers d’adhérents, leurs dupes, dans des voies qui ne
devaient les mener nulle part sinon à l’acceptation de ce qu’on
avait prétendu d’abord les inciter à contester.
Le pitoyable S.G.E.N.-C.F.D.T.,
le S.E.-U.N.S.A.,
les syndicats de la F.S.U.
(S.N.E.S.,
S.N.E.S.U.P.,
S.N.U.i.p.p.,
etc.) ne sont pas des syndicats ; ce ne sont que les rouages d’un
mécanisme bien huilé dont la véritable fonction est aujourd’hui,
plus que jamais, d’enrégimenter ceux dont ils prétendent défendre
les intérêts moraux et matériels. Ils ont inspiré certaines des
dispositions les plus pernicieuses des prétendues réformes.
Ils font actuellement tout ce qui est nécessaire pour que les
enseignants ne voient rien d’autre à faire que d’appliquer ce qu’ils
ont naguère voulu refuser.
Nous appelons tous nos collègues à sortir de
leur torpeur et à opposer une résistance déterminée à cette
volonté totalitaire d’anéantir toute culture, de compromettre
l’avenir des jeunes générations et donc celui du pays.
Il n’est plus possible d’être au S.G.E.N.,
à la F.E.N.
ou à la F.S.U. sans
se rendre complice d’une forfaiture !
Nous exhortons les adhérents de ces
organisations à renvoyer leur carte et à s’organiser autrement.
Nous appelons à la création d’un vaste mouvement de résistance qui
puisse mettre fin au processus criminel dont nous sommes
quotidiennement les témoins. Un mouvement qui rassemblera tous ceux
qui ne peuvent plus assister en silence à la destruction insidieuse
de notre système d’instruction.
Il y va de l’avenir de ce pays et des jeunes
générations, comme de l’honneur de celles et ceux qui ont pour
mission de les instruire. 2 février 2002