Je vous déconcerte, ça ne m’étonne pas.
Dostoïevski vous renverserait.
Bon, le débat entre ceux qui voient et savent dire à peu près les complexités et ceux qui voient simplement et ne s’éloignent surtout pas des poncifs ne sera pas clos ce soir.
Je vous vois vous agiter encore comme grenouille sur feu devant mon assertion selon laquelle vos parents sont vénaux. Vous ne savez me répondre que leur petit salaire.
Je crois que sans surseoir, vous devriez interroger vos parents et leur demander si oui ou non l’ASE exige d’eux qu’ils fassent ce travail d’abord et surtout pour l’argent. Quand ils vous aurons répondu, quand ils vous aurons avoué que c’est bien le cas, vous descendrez d’un cran de votre nuage rose et commencerez à comprendre que c’est plus compliqué que ça en a l’air. Qu’en tous cas, il est impossible de simplifier la problématique du placement par le miel de l’amour.
L’ASE interroge les candidats qui, ayant fouillé sur le net, en ayant interrogé d’autres familles d’accueil, savent devoir répondre vouloir faire ce boulot pour l’argent qu’il rapporte. C’est effectivement un salaire modeste mais c’est correct, confortable et prestigieux ./. à un boulot d’égorgeur de moutons, de fileteur de morue ou de gratteur de moules.
L’ASE ne veut surtout pas de gens idéalistes, elle ne veut surtout pas d’enfiévrés. Elle veut des gens qui exécutent froidement et proprement les consignes officielles, qui sont prêts à se séparer d’un gamin élevé pendant des années (en se faisant des montagnes de soucis pour lui étant donné la responsabilité) sans sourcillier, sans pleurer ni sortir les violons ou les mouchoirs. C’est dans ces conditons vénales et très professionnelles que les choses peuvent se passer le plus correctement possible. (le mot vénal n’est jamais employé tant il a mauvaise presse, mais son concept est dans le filigrane des contrats)
Et c’est malheureusement parce que les employés de l’Ase refusent d’admettre leur vénalité, parce qu’ils refusent de se voir comme intéressés par la misère des autres, qu’ils dérapent et transpirent de quelque chose d’affectif. Cette sueur affective (je dis sueur car c’est un produit de soi qui ne se contrôle pas) opère soit en positif selon le biais « nous on t’aime » soit en négatif selon le biais « tes parents ne t’aiment pas ». Trop souvent l’enfant accueilli sent une de ces deux odeurs.
Simple, vous dites.
Simple l’intromission soudaine d’un ou de plusieurs enfants étrangers au sein d’une famille comprenant déjà des enfants en propre. Simple cette cohabitation ?
Oui c’est simple, vraiment simple, quand on élude toute la problématique que ça pose déjà à ses propres enfants. Oui, on peut se rassurer en affirmant que tout se passe très bien, que les enfants du foyer sont même enchantés de partager leur maison, le temps disponible de leurs parents. Oh que c’est simple !
Heureusement, l’ASE est d’expérience. Elle sait que ce n’est pas simple et qu’il vaut mieux que l’on parle d’argent, rien que d’argent et de règles éducatives froides. Heureusement qu’elle sait qu’il ne faut pas que les parents d’accueil s’égarent à donner à croire qu’ils font ça d’abord et surtout par bonté d’âme, par altruisme, par compassion, par pitié, par générosité, par amour.
Non, ces traits, ces sentiments doivent être placés le plus officiellement possible, derrière l’intérêt pécuniaire. Alors seulement on est pro.
Il y a un film qui s’appelle Dreamer. Il raconte l’histoire d’un cheval blessé, qu’en principe on abat mais qui là, à la demande de la fille d’un éleveur, est sauvé. Et c’est tant mieux. Son père lui rappelle que le métier d’éleveur oblige à ne pas s’attacher aux bestioles. On les soigne très bien, on se fait un sang d’encre pour leur santé et leur bien être, on se tue à la tâche pour leur confort et leur pleine forme mais on ne doit pas s’y attacher car on est pro et on les élève uniquement pour l’argent que ça rapporte.
Mais je vous en prie Fergus, je ne vous retiens pas plus longtemps. Passez donc un coup de fil à vos parents et demandez-leur si l’ASE préfère ou non qu’ils fassent ce job surtout pour l’argent.
Au fond, Fergus, je vous choque simplement parce que vous redoutez l’accusation de vénalité. Cette accusation vous aura peut-être traumatisé mais sachez que dans ma bouche, il n’y a pas de jugement. Je ne dis pas que c’est bien ou que c’est mal. Vous avez remarqué que je fais régulièrement référence à Dieu auquel je ne crois pas un instant, mais c’est pour dire que le jugement des hommes est une chose très critiquable, jamais universelle, jamais absolue à mes yeux.
Pour moi, la vénalité n’est pas une maladie honteuse. Ce n’est ni bien ni mal. On est intéressé par l’argent comme on l’est par le cul, les parfums ou les pizzas. Le tout c’est de ne pas en faire une obsession, de ne pas tout ramener à ça et de savoir faire sans, à l’occasion. La vénalité n’est déplorable que quand elle est sans partage, exclusive et jalouse de tout autre sentiment, quand elle obère la pitié, la magnanimité, le pardon ou la générosité par exemple.
Sinon, je la trouve normale, ni scandaleuse ni vilaine.
Bonne nuit
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