La Nation déchirée

La France est un pays. La France est une Nation. Depuis l’avènement de la 5ème République, Charles de Gaulle en fut le président élu, puis Georges Pompidou, puis Valéry Giscard d’Estaing, puis François Mitterrand, puis Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy, puis François Hollande. Que ces noms éveillent en nous colère ou nostalgie, que leurs politiques nous aient plu ou déplu, ils n’ont jamais conduit notre pays aussi près du gouffre devant lequel nous nous trouvons aujourd’hui.
Nous avons traversé des crises, nous avons eu des désaccords à leur sujet, mais jamais aucun d’entre eux ne nous avait conduits dans une impasse telle qu’à l’heure actuelle, plus personne ne peut regarder son voisin ou sa voisine dans les yeux sans se demander qui des deux est le traître, qui des deux est le menteur, qui des deux est le criminel, qui des deux est la victime, qui des deux est l’écervelé.
Emmanuel Macron n’est pas une mauvaise personne. Emmanuel Macron n’est pas un menteur congénital au service de sa propre réélection. Mais Emmanuel Macron n’est pas le président de la Nation française. Il est le gouverneur, ou plutôt le gestionnaire, d’une province du monde nommée France. Il pourrait être aussi bien le gouverneur de l’Allemagne ou de l’Argentine, de la Nouvelle-Zélande ou du Canada. Devant la menace interstellaire du Covid-19, quelle différence que l’on soit danois ou polonais ? Il fallait bien faire quelque chose, autrement dit la même chose, pour limiter la pandémie.
Emmanuel Macron devait sans doute être très doué pour les études. J’imagine qu’il n’a pas dû souvent copier sur son voisin ou sa voisine pendant les interrogations écrites. C’est plutôt sur lui qu’on devait copier et c’est tout à son honneur. Mais depuis deux ans, plus personne ne copie sur lui car c’est lui qui copie les autres. Lui d’ailleurs qui annonçait le 11 mars dernier :
« Nous ne renoncerons à rien, surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer, surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été, surtout pas à la liberté ».
Il le pensait vraiment. Comme Dominique de Villepin pensait très certainement ce qu’il disait le 14 février 2003 à la tribune de l’ONU à propos de la perspective d’une intervention militaire en Irak :
« Personne ne peut affirmer aujourd'hui que le chemin de la guerre sera plus court que celui des inspections. Personne ne peut affirmer non plus qu'il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus stable. Car la guerre est toujours la sanction d'un échec. »
Ce fut son quart d’heure de gloire, sa plus grande contribution à l’histoire de la Nation française. Emmanuel Macron aurait sans doute rêvé d’avoir le sien, de faire entendre sa voix et de rejoindre Jean Jaurès, Winston Churchill et quelques autres dans le cercle fermé des chanteurs apocryphes, assassinés ou ignorés par les prophètes de l’Avenir Unique, avant d’être canonisés par l’Histoire repentante. Il en aurait rêvé, mais il n’en a pas eu l’audace.
Le Monde, en moins d’une semaine, a déclaré la guerre au virus ; la conscription a été décrétée en haut-lieu (par l’OMS en particulier) et la province voisine, l’Italie, basculait la première dans le lockdown transnational qui rétablissait le contrôle aux frontières tout en imposant une norme commune à toutes les sous-préfectures de l’échiquier mondial. Les chiffres ont remplacé les lettres, le mandarin est devenu la langue internationale, les épidémiologistes et les statisticiens ont été tirés de leurs labos pour publier cent-mille articles contradictoires sur la Bête Immonde venue répandre le Feu et la Désolation sur la planète Terre. Prédiction autoréalisatrice s’il en fut une dans l’Histoire de l’Homme : le monde a basculé dans le chaos, la panique et la désolation encore plus rapidement que lors des deux guerres mondiales.
L’écrivain Romain Rolland, dans sa correspondance avec Stefan Zweig, exprimait avec raison ses craintes devant la montée des nationalismes avant la Grande Guerre de 1914-1918. Les bras lui en sont tombés quand il a vu les jeunes Français monter dans les trains la fleur au fusil, armés de cette insouciance tragique des soldats qui n’ont jamais connu la bataille. Quatre ans après, on lisait partout « plus jamais ça ». Plus jamais ça.
Emmnanuel Macron se rêvait Roi de Cœur, ou peut-être As de Pique. Il n’a été et ne restera, quand tout sera fini et que nos regards se tourneront plus au nord, vers la Suède, que valet de trèfle d’un jeu de cartes multicolore où toutes les couleurs se valent sauf deux : le jaune et bleu d’une nation courageuse, prévoyante, modeste et industrieuse dont le grand mérite n’aura pas été de choisir la meilleure option, mais d’avoir choisi une option sans s’aplatir, comme la France en 2003, devant la loi martiale du jugement supranational.
Tout le monde a eu tort en 1914. Tout le monde aura eu tort à l’automne 2020.
Car que restera-t-il de tout ça ? Des courbes comparatives de contaminations et de mortalité entre les différentes provinces du monde ? Des procès, chiffres et statistiques à l’appui, faits à nos gouvernants et à nos virologues ? Des « on en a sauvé mille de plus » contre des « oui mais vous comptez pas comme nous » ? Les « nous, on a testé tout le monde » contre les « oui mais nous, on a tous mis des masques » ? En partie, bien sûr, mais en partie seulement.
Il nous restera surtout, en France, le souvenir traumatisant d’une Nation déchirée face à un ennemi unique. D’une France divisée de haut en bas incapable, à nouveau, de s’imaginer un avenir commun faute d’un grand capitaine et d’un navire solide. Il nous restera l’incompréhension, la tristesse d’avoir été témoins et complices d’une déroute sanitaire et civique dont personne n’imaginait, il y a encore deux mois, qu’elle pouvait trouver en France le terrain de jeu idéal pour accomplir ses méfaits. Il nous restera le souvenir des patrouilles policières, des débats sur le tracking, des couvre-feux et des hésitations au moment d’entrer dans un magasin ou de prendre l’ascenseur avec son voisin.
Il nous restera à lire, parmi tant d’autres livres, magazines et revues, des extraits de cet entretien de Strategika avec Lucien Cerise, dont celui-ci :
« Il faut désormais se méfier de chaque personne dans la rue, ainsi que de soi-même, mais en revanche il est interdit de se méfier du pouvoir, il est même obligatoire de lui faire confiance, ainsi qu’à sa parole, même quand elle accumule les contradictions et les mensonges flagrants. (…) La nature humaine est en cours de modification au prétexte d’une crise largement gonflée par la bulle médiatique virtuelle, c’est-à-dire une vaste dramaturgie à laquelle nous sommes sommés d’adhérer aveuglement en dépit de ses incohérences évidentes, principe de la double pensée orwellienne dans 1984. »
Il nous restera à croire, à espérer même, qu’on n’est pas passé loin mais que plus jamais ça.
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