Petit manifeste contre le livre de Jean-François Kahn sur les Gaulois
"L'invention des Français. Du temps de nos folies gauloises". Un livre de 590 pages. Un effort d'écriture et de documentation indéniable ainsi qu'un certain talent. Il y a tout de même un sacré problème et il est de taille. M. Kahn part de l'idée que notre histoire commence à Marseille (page 287). Mais alors, Gergovie (1), Bibracte (2), nos anciennes capitales gauloises, c'est du lard ou du cochon ? Je n'ignore pas, et pour cause, que des contestations existent quant à leur emplacement, mais tout de même. Bibracte, proche de l'actuelle ville d'Autun (page 185) ; Gergovie qui disparut au profit d'une bourgade nommé Nemetum qui devint Clermont (page 222). C'est vite dit et c'est tout. Monsieur Kahn, vous êtes manipulé. Nous sommes manipulés. Le 29 août 1943, grande manifestation sur le point omphalos/ombilicos mystique du plateau de Gergovie en présence du Maréchal ; dépôt solennel d'un échantillon de terre de toutes les communes de France. Nouveau point omphalos/ombilicos mystique, le mont Beuvray est érigé, le 17 septembre 1985, en site national, par le président Mitterrand ; appel à l'union ; construction du musée archéologique européen. Dans moins de deux mois, sur le point omphalos/ombilicos mystique récemment mis au jour à Marseille, appel à l'union de tous les anciens peuples de la Méditerranée par le président Hollande ; inauguration d'un nouveau musée avec son jardin des migrations. Bibracte et Gergovie condamnées aux oubliettes.
Si j'ai bien compris la thèse de l'auteur, la Gaule d'avant la conquête aurait été un pays de barbares et de sauvages (et donc, sans grand intérêt) je cite : une mosaïque tribale parsemée de bourgades aux constructions en bois (page 8).
Moi qui écris des articles pour dire le contraire, me voilà bien obligé de réagir. Des tribus !!! Je ne vois pas dans quel texte latin ou grec, M. Kahn a trouvé ce méchant mot pour dénigrer notre passé gaulois. Ces textes sont pourtant précis. Strabon qualifie Cabillo, l'actuelle Chalon-sur-Saône, de cité (3), César y voit un oppidum (4), c'est à dire une fortification, mais il est vrai, pas encore de ville (qui ne sera construite au bord du fleuve qu'au III ème siècle). Lors de la guerre des Gaules, Litavic y a pourtant mobilisé 10 000 fantassins (5), ce qui laisse supposer une population conséquente mais dispersée en fermes isolées et en hameaux ; une cité organisée et apparemment prospère que César juge suffisamment "riche en blé" pour y installer une légion en quartiers d'hiver (6). M. Kahn imagine une Gaule en bois que les Romains auraient transformée en une Gaule en dur ? (page 147). Une transition aussi brutale surprend. Comme la plupart des pays évolués, la Gaule d'avant César ne pouvait ignorer ni l'usage du mortier de chaux ni les constructions en pierre (7).
Quant à l'état sauvage des Gaulois avant la venue des Romains - comme si les autres ne l'étaient pas - n'y aurait-il pas là un grave malentendu ? Je vois deux explications possibles. Premièrement, la possibilité que Strabon, en recopiant Posidonios, nous ait décrit en réalité une Gaule légendaire et des habitants d'avant l'époque de César (presque tous les Gaulois, aujourd'hui encore, couchent sur la dure et prennent leurs repas assis sur de la paille). Deuxièmement - et c'est le plus probable - il est possible que Strabon et d'autres ne se contentent que de quelques coups de projecteurs sur la campagne et sur le peuple ordinaire, disons, un peu de la même façon que les Parisiens jugent encore aujourd'hui les provinciaux.
Pour en revenir à la Cabillo du temps de César, la cité avait son conseil, ses magistrats (8), sa cavalerie du maintien de l'ordre, ses corporations où les citoyens se regroupaient et dont les chefs étaient élus (9). La carte de Peutinger leur donne le nom de Cabillonences. Ils sont toutefois rattachés aux Eduens dont l'oppidum/capitale/citadelle est Bibracte, là où se réunit le sénat (10). Tout cela indique une société évoluée bien avant que les Romains conquièrent la Gaule. Aussi suis-je très étonné que M. Kahn soit encore dans la vision très exagérée et très négative de Gaulois habitant dans des huttes (page 226). Que les vingt villes du pays biturige que César a incendiées aient été en bois, soit ! (11). En revanche, les murailles de l'oppidum de Bourges étaient bien en pierres maçonnées ainsi que les trois tours dont les archéologues ont retrouvé la base. C'est leur hauteur qui explique que César ait dressé contre elles une rampe de près de 23 mètres de haut (12).
Ce qui a choqué César, ce n'est pas l'absence supposée par l'auteur de grands bâtiments et monuments en pierre, lesquels ne pouvaient être que rares, ce sont les corporations dont il dit qu'elles occupaient la première place en Gaule (13), les nobles n'en occupant donc que la seconde. Exit la thèse de M. Kahn d'une Gaule élitiste pro-romaine à tendance monarchiste opposée à une Gaule populaire, pro-druidique, indépendandiste et identitaire (page 197). Exit une soi disant république sénatoriale que Vercingétorix aurait voulu renverser pour se faire nommer empereur des Gaules (page 485 et 486). La société gauloise s'était dotée d'un système de gouvernement où les magistrats étaient, semble-t-il, élus ou choisis ; un sytème aussi valable qu'un autre, sauf qu'il conduit inexorablement, comme l'écrit César, à l'existence de deux partis rivaux (14), à une éternisation des palabres (15) et éventuellement au foutoir (page 186). C'est ainsi que la présence à Chalon de commerçants romains (16) suppose des corporations éduennes de nautes favorables à une amitié commerciale du type coopération alors qu'en Gaule belge, l'importation de boissons alcolisées était interdite (17). Il a fallu le massacre de Bourges par les Romains (18) et la victoire de Gergovie (19) pour que la majorité des cités gauloises s'opposent à la colonisation romaine en confiant à Vercingétorix le commandement en chef des armées (20).
Non, ce n'est certainement pas dans le panégyrique de Marc Antoine à la gloire de César qu'il faut prendre ses références : Voyez cette Gaule qui naguère nous envoya des sauvages aujourd'hui entretenue et cultivée comme l'Italie (pages 201-202). Penser que la Gaule doive son agriculture à César est absurde. Relisez mon paragraphe sur Cabillo, riche en blé ! Après la chute d'Alésia, Strabon confirme que le territoire gaulois était presque partout cultivé et florissant et que les Gaulois étaient retournés aux champs (évidemment, lorsque la paix est revenue après la guerre des Gaules)(21). Contrairement à ce qu'affirme l'auteur (page 216) l'empereur Auguste n'a pas changé grand chose à la Gaule. Il a conservé l'ancienne organisation gauloise des cités.
Contrairement à ce qu'il dit (page 222), les oppidum historiques, éduen et arverne, bien qu'ayant changé de nom, se dressent toujours sur leurs hauteurs, l'un à Mont-Saint-Vincent (22), l'autre au Crest (23). Quant à la ville monumentale d'Autun, elle devra attendre le IVème siècle pour être fondée (24). Tout cela est l'absolu contraire de ce que s'efforce de démontrer M. Kahn. Sous Auguste, il n'y a eu aucun signe d'agitation, reconnaît-il (page 222) ; en effet, mais pour la simple raison qu'il n'y a eu aucun bouleversement. Je ne vois pas sur quel texte, il s'appuie pour affirmer que l'époque d'Auguste a été une période de profonde mutation pour la Gaule (page 224 et suivantes). A noter que la Gaule parlait latin dans ses élites avant que César ne vienne.
Parler d'avènement d'un nouveau monde (page 226), relève du fantasme hollywoodien ! Imaginer un urbanisme révolutionnaire dû à Auguste qui aurait surgi du sol au milieu de pauvres cabanes en bois (pages 225 et 227), non, vraiment, ça ne tient pas la route.
De même, peut-on dire qu'Agrippa ait été l'inventeur et le fondateur du réseau routier de la Gaule (page 226 et 228) alors que les voies gauloises existaient déjà au temps de César puisqu'il les a parcourues ? Que des grandes villes romaines auraient poussé comme des champignons après un jour de pluie (page 226) ? Non, vraiment, il n'y a rien de crédible dans tout cela.
M. Kahn écrit que les Romains ont fait d'une Gaule en bois une Gaule en dur. Mon avis est qu'en remettant Gergovie et Bibracte sur leurs bons sites, on se rendra vite compte que nos deux capitales étaient déjà en dur bien avant la venue de César, et cela, alors que la ville de Rome n'était peut-être encore qu'en bois (26).
Avant les Romains, des hordes sauvages (page 352), des peuplades en errance (page 355), des bandes en cavale (page 358) ?
Pourquoi ces qualificatifs dévalorisants qui suggèrent, là encore, une Europe en pleine anarchie à laquelle les Romains sont sensés avoir mis fin ? Enée de Stymbale écrit au IV ème siècle av.J.C. en ce qui concerne la Grèce : Il fut un temps où la milice suffisait à la défense du pays, mais aujourd'hui, les cités riches font souvent appel à des étrangers habitant une cité alliée que l'on
paie. Il en fut de même en Gaule, mais à la différence que ce sont des contingents entiers - véritables populations militaires - auxquels les cités gauloises ont fait appel. Qu'on ne s'imagine toutefois pas un déferlement de tribus en mal d'émigration. Les textes en ont conservé le souvenir, certes traumatisant, mais limité et explicatif. Les Cimbres et les Teutons ont été accueillis par les Helvètes comme des frères (page 350). Les Séquanes et les Arvernes ont fait appel aux Germains pour s'opposer aux Eduens (27). Les Eduens ont fait appel aux Helvètes d'Orgétorix pour reprendre le mont Beuvray aux Germains qui y avaient établi une tête de pont (28). Il en sera de même, par la suite, avec les Burgondes et les Francs. M. Kahn y voit des flux d'émigrants qui se succéderont sans discontinuer pendant quelque cinq cents ans (page 354) ; ce n'est qu'une hypothèse. Quant à César, il est venu en Gaule comme un chien dans un jeu de quilles (29), et cela, M. Kahn se garde bien de le dire.
Avant les Romains, des hordes de Gaulois qui ont la réputation de vouloir foutre le binz dans le monde entier (page 315) ?
Des escogriffes (page 315), braves mais cons (page 316), parés de chaînes, de colliers et de bracelets d'or (page 317), des mercenaires, garnements insupportables (page 318), un Bituit ridicule qui caracole sur un char d'argent et dont certains disent qu'il est à la tête d'un empire arverne, ce qui est très exagéré (page 338 et 339), l'inévitable barde grotesque (page 340) et enfin, le plus horrible : un Gaulois qui tire la langue (page 353). Et pourtant, ce sont eux qui ont fait le monde celte avant qu'on leur donne le nom de Gaulois.
Contrairement à ce qu'écrit l'auteur, Vercingétorix a été l'incarnation durable d'une volonté logique d'union nationale. Je ne vois pas en quoi il serait un chef à l'imagination délirante (page 490). Ses motivations morales et patriotiques apparaissent d'autant plus justifiées quand on constate les turpitudes de la colonisation romaine qui a suivi, turpitudes que M. Kahn a au moins le mérite de ne pas cacher.
Il ne faut pas prendre à la lettre ce qu'écrit César évoquant, pour justifier son intervention, des conflits locaux que la Gaule aurait connus avant son arrivée (30). Bien au contraire, la Gaule indépendante ne se signale que par des cas relativement rares de vestiges archéologiques qui pourraient être la trace de conflits sanglants entre cités. Rien de semblable aux tells de destruction que l'on trouve au Proche-Orient avec leurs couches archéologiques superposées. Et puis, il y a les textes qui montrent une permanence dans le temps des deux cités de Bibracte et de Gergovie, ce qui témoigne en faveur d'une certaine stabilité politique. Quoiqu'en dise l'auteur toujours prisonnier de la bien-pensance romaine civilisatrice, c'est la pression romaine au sud et la pression germaine, à l'est, qui a déstabilisé le pays. C'est pour faire face à ces menaces d'invasion romaine et germaine que les peuples de la Gaule, dans leur majorité, ont pris conscience de la nécessité d'un commandement unique et donc d'un commandant en chef. Hélas, avec leurs modestes troupes armées à la grecque, les cités gauloises ne s'attendaient pas à la terrible machine de guerre des Romains qu'elles allaient avoir à affronter. Aujourd'hui, la mode est de se féliciter de la défaite d'Alésia qui nous aurait permis de nous romaniser (31). Mais après cette soi disant peu glorieuse catastrophe (page 177) n'est-ce pas faire preuve d'un étonnant aveuglement que d'énumérer les hécatombes par dizaine de milliers qui ont marqué la période de l'anarchie romaine qui a suivi (page 96 et suivantes) et de continuer à défendre sans trop d'états d'âme les bienfaits de cette romanisation ? N'est-ce pas un peu trop simple de s'imaginer que c'est en s'assimilant que la Gaule est devenue la France ? (page 275 et suivantes) alors qu'il s'agit, en réalité, d'un processus normal d'évolution.
Vercingétorix, un planicateur socialiste, cruel, aspirant à la tyrannie, illusionniste, bluffeur, rêveur, qui aurait voulu être roi ? (pages 484 et suivantes) cela fait beaucoup de défauts pour un seul homme ! Certes, on pourrait le penser si l'on s'en tient à l'inscription très prétentieuse portée sur le socle de sa statue d'Alise-Sainte-Reine : La Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’Univers. Le problème, c'est que cette traduction est fautive. En réalité et en vérité, Vercingétorix a dit ceci : Je ferai de toute la Gaule un seul conseil dont personne au monde ne pourra contester les décisions dès lors qu’elles auront été prises dans une volonté commune (32). Il s'agit là d'un programme politique plein de bon sens. Vercingétorix ne serait-il pas le premier homme politique à avoir proclamé le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ? Ajoutons, par ailleurs, que Vercingétorix est loin d'avoir eu le pouvoir absolu. Il n'était qu'un "rix", c'est à dire un chef chargé de conduire une guerre. Son action et ses décisions étaient contrôlées par un conseil qui, soit les approuvait, soit ne les approuvait pas. L'affaire de Bourges est caractéristique. Vercingétorix voulait qu'on évacue la ville et qu'on y brûle les stocks de blé afin que César ne puisse s'y ravitailler(33). Le conseil ne l'a pas suivi ; on connaît la suite. M. Kahn écrit que Vercingétorix n'a rien fait pour briser l'encerclement (pages 488 et 489 ). C'est faux ! il a sans cesse harcelé les Romains depuis les marais où il se cachait (DBG VII, 18-20).
A Gergovie, que la perte de 700 légionnaires (34) soit quantité négligeable, loin du prix ordinaire d'une défaite (page 492), il faut oser le dire quand on sait qu'il s'agissait, en grande partie, de "purs" Romains. La vérité, c'est qu'un tel désastre condamnait politiquement César. C'était une destitution assurée. Prétendre ensuite que l'embuscade gauloise de cavalerie était stupide (page 492), c'est parler pour ne rien dire alors qu'on ne cherche même pas à en retrouver le champ de bataille (35) et qu'il est très possible que César y ait perdu une partie de son train des équipages, ce que, évidemment, il ne dit pas. Ajouter que Vercingétorix n'avait aucun sens de la guérilla (page 491) alors que César fuyait, victime de sa stratégie de la terre brulée (36), ayant perdu tout ce qu'il avait mis à l'abri dans sa base arrière de Noviodunum (37), c'est tout de même un peu fort de café. Et puis, écrire que Vercingétorix s'est laissé bêtement enfermé dans Alésia, c'est un peu facile de le dire après coup (page 147). Pour ma part, je ne me permets pas de tels jugements catégoriques.
César et Vercingétorix étaient entourés tous deux d'officiers compétents et expérimentés. Il y a d'un côté comme de l'autre une intelligence tactique indéniable et il me semble, comme le reconnaissent d'ailleurs les deux protagonistes, que c'est plutôt la "Fortune" qui a fait pencher la balance tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Et puis, ironiser superbement sur Alésia comme le font nombre d'historiens d'aujourd'hui alors que César lui-même reconnaît que l'issue de la bataille s'est jouée dans un moment ultime (38), cela ressemble tout de même à du parti pris. C'est pourtant le moment capital et fatidique où la Gaule a perdu sa liberté. La dernière déclaration de Vercingétorix devant le conseil est très claire : il a fait cette guerre pour la liberté commune (39). Enfin, il est profondément injuste et faux de jeter, comme à l'habitude, la suspicion et l'opprobe sur les Eduens (pages 183 et 186) alors que ce sont eux qui se sont le plus impliqués (40).
N'en déplaise à l'auteur, Sacrovir et Vindex s'inscrivent dans le prolongement de la pensée, de l'action, de la morale et du patriotisme de Vercingétorix. Ils parlent de la même façon que lui de la liberté.
Sacrovir était le premier des Gaules (41). Avec ses cohortes gauloises de l'intérieur, il se trouvait à Augustodunum/Mont-Saint-Vincent (42) et non à Augustodunum/Autun comme l'auteur le pense (page 245). Son nom signifie "l'homme qui est dans le sacré". Il appelle au combat au nom de l'ancienne gloire des Gaulois, tout en rappelant les batailles (43) qu'ils ont livrées aux Romains (sous-entendu : notamment à Alésia sous le commandement de Vercingétorix).
En + 68, c'est Vindex qui dresse un violent réquisitoire contre Néron, devant des représentants gaulois, notamment arvernes, éduens et séquanes (44). Il proclame : Soyez vous-mêmes vos propres libérateurs. Et il ajoute : Apportez au peuple romain le secours de votre assistance ; en agissant ainsi, c'est au monde entier que vous allez rendre la liberté. Où Vindex a-t-il déclamé son discours ? Certainement pas à Lyon comme M. Kahn en est persuadé (page 19). Dans cette hypothèse, les deux cohortes romaines qui y tenaient garnison (45) l'auraient aussitôt mis à mort. Le tribunal où Vindex s'est exprimé ne peut être qu'Augustodunum/Mt-St-Vincent, l'antique Bibracte. En tant que gouverneur de la Lyonnaise, c'était son siège légal. Lyon étant celui du gouverneur romain des trois Gaules. Est-ce un appel civil (laïc) au nom de la défense des libertés républicaines en vue du salut du genre humain (page 29), autrement dit un appel mondialiste prophétique pour sauver notre pauvre terre et notre humanité menacée de disparaître ? J'en doute fortement. Même si les textes manquent de précision, nous sommes toujours, depuis Sacrovir, dans la survivance d'un druidisme qui a évolué sous l'influence d'un judaïsme pré-chrétien qui veut s'étendre au monde entier tout en s'opposant à une romanité hellénistique à tendance laïque. La noble intention de ce courant, très présent en Gaule, étant de sauver le monde humain par la religiosité. Sauver le monde de quoi ? Mais, bien évidemment, du péché (46).
Peut-on qualifier de républicain, le soulèvement de Vindex ? (page 29). Difficile, quand on sait que son premier geste fut d'offrir l'empire à Galba dont on connaît leur aversion commune pour la populace. D'après M. Kahn, ce soulèvement n'aurait eu aucun lien avec celui de Jérusalem (page 46) ? Je suis persuadé du contraire. Il est tout de même étonnant que Vindex prononce son discours contre Néron au moment où l'Apocalypse, lui aussi anti-néronien, est proclamé et où Jean de Gishala investit Jérusalem (47). C'est tout un monde, en partie judaïsé ou croyant sincèrement en un Dieu/Jupiter suprême, qui s'est dressé contre un empereur et son entourage qui bafouaient les valeurs humaines que le judaïsme prônait. Et si Vindex ne dit pas tout, s'il ne cite ni Vercingétorix ni César, ce n'est pas parce que Vercingétorix avait laissé fort peu de traces dans les mémoires (page 49) ou que son exemple était déjà oublié (page 128 et 493), c'est probablement parce qu'il ne voulait pas raviver les anciennes dissensions entre les familles gauloises qui avaient suivi le premier et celles qui s'étaient ralliées au second. Il lui fallait ratisser large.
Cette histoire se comprend beaucoup mieux si on raisonne à partir des anciennes capitales de la Gaule indépendante : Bibracte des Eduens, Gergovie des Arvernes, Besançon des Séquanes et Trèves des Trévires. Il y a là une logique historique qui resurgit du passé et que l'auteur occulte plus ou moins.
La mode actuelle est de minimiser, voire de discréditer l'héroïque bataille d'Alésia en accusant l'armée de secours de s'être enfuie sans combattre. C'est un pur mensonge qui trouve sa source dans une mauvaise traduction (48). Et puis, on ironise sur les effectifs engagés qui apparaissent en effet grossis. Les effectifs que César donne pour l'armée de secours gauloise sont bien évidemment des effectifs théoriques prévus mais non réalisés. Pourquoi César se serait-il donné la peine de faire une estimation à vue d'oeil alors qu'il n'avait qu'à recopier la liste de recensement établie par les Eduens (49) dont les chiffres rendaient sa victoire d'autant plus glorieuse ? Il est manifeste que des cités n'ont pas répondu à l'appel ou sont arrivées trop tard. Je pense même que les Séquanes n'ont pas participé au combat et que les monnaies retrouvées qu'on leur attribue doivent plutôt l'être aux Eduens (50). Tout cela s'explique et ne mérite pas qu'on en fasse des choux gras pour dénigrer la Gaule d'avant César. Quant à dire que l'insurrection de Vercingétorix ne fut qu'un feu de paille qui laissa peu de traces (page 8), ce n'est pas mon avis. Hostiles à l'entrée des Gaulois dans le Sénat, les opposants de Claude lui ont rappelé qu'ils avaient assiégé le divin César (51), et Sidoïne Apollinaire, au Vème siècle, se fait un titre de gloire que ses ancêtres aient repoussé à Gergovie les légions romaines (52).
La révolte de + 21 s'est faite sous l'impulsion de deux capitales gauloises historiques, celle des Eduens et celle des Trévires, Gaule celte et Gaule belge du nord-est pour une fois agissant de concert (53). Capitales romanisées ? J'en doute. Quant au soulèvement de Vindex de + 68, c'est la Celtique primitive qui réapparaît dans ses trois principaux composants historiques : Eduens, Arvernes et Séquanes. Romanisés ? J'en doute, là encore. Disons romanisées pour la forme, puisque cet empire était devenu le leur.
Expliquer que le soulèvement de Civilis de + 69 va "se fracasser sur le roc d'une autre réalité spécifiquement gauloise : la profondeur des rivalités clanique et tribales" (page 140), c'est en fait reconnaître l'ancienne division de la Gaule entre Gaule celtique et Gaule belge. Cette Gaule celtique du centre avait conscience du risque que comportait pour elle une alliance des Belges et des Germains et elle avait encore davantage conscience de ce risque lors de l'entreprise de Civilis. Le projet de Civilis d'une grande Gaule européenne englobant la Germanie peut apparaître séduisante à M. Kahn (page 130 et suivantes) ; elle ne l'était certainement pas, à cette époque, pour les Gaulois de la Celtique. C'est ce que résume très bien le général romain Cérialis : « Est-ce que vous croyez vraiment que Civilis, ses Bataves et les nations d'outre-Rhin vous chérissent davantage que leurs pères, vos aïeux ? Ce sont toujours les mêmes raisons qui poussent les Germains... Et si aujourd'hui nous défendons le Rhin, ce n'est pas pour protéger l'Italie, mais pour empêcher qu'un autre Arioviste ne s'empare de l'empire des Gaules. » (54)

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