Les passoires thermiques
Il ne se passe pas un jour sans que l'expression "passoire thermique" soit employée dans les médias pour qualifier certains logements. De quoi s'agit-il exactement ?
Comparaison automobile
Pour mieux comprendre cette notion, prenons un équivalent automobile et essayons de définir ce que pourrait être une "passoire roulante", c'est à dire une voiture qui gaspille l'énergie. Pour cela, considérons deux modèles :
- Renault Twingo 1.0 SCe 75ch Zen. Prix : 13 500 €. Consommation : 4,4 litres au 100 km. Masse : 981 kg (source).
- Jeep Grand Cherokee IV 3.0 V6 250ch. Prix : 59 400 €. Consommation : 7.9 litres au 100 km. Masse : 2403 kg (source).
De ces deux véhicules, quelle est la "passoire roulante" ? Il s'agit incontestablement de la Renault Twingo.
Pourquoi ? C'est très simple : si vous divisez la consommation par la masse du véhicule, vous constaterez que la consommation de la Renault Twingo est de 4,5 litres par tonne aux 100 km, tandis que celle de la Jeep grand Cherokee n'est que de 3,3 litres par tonne aux 100 km.
Les heureux conducteurs de Jeep Grand Cherokee peuvent donc être qualifiés de grands écologistes. En doublant les Renault Twingo, ils pourront lancer à leur conducteur "Va donc, espèce de passoire sur roues !" .
Ah ! Je vois d'ici certains lecteurs s'étonner en lisant ces lignes : "c'est absurde ! Pourquoi diviser la consommation par le poids ? La twingo consomme 4,4 litres et la Cherokee 7,9 litres, un point c'est tout". Ces lecteurs sont d'ailleurs suivis par les pouvoirs publics, puisque la Twingo est classée "A" tandis que la Cherokee est classée "F" pour les émissions de CO2.
Je dois bien reconnaître qu'ils ont entièrement raison. Le raisonnement que je tenais, conduisant à considérer la Cherokee comme écologiquement plus vertueuse que la Twingo, est évidemment absurde.
Qu'il soit bien clair que je ne mets en cause ni les conducteurs, ni les constructeurs de ces deux véhicules. C'est juste l'absurdité d'un raisonnement que je veux mettre en évidence.
Passons au logement
Le raisonnement absurde, expliqué plus haut, est tenu tous les jours par ceux qui qualifient de nombreux logements de "passoires thermiques".
Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner l'étiquette énergétique d'un logement :
Ce logement est classé F : il s'agit donc bien d'une "passoire thermique". Pourquoi ? Parce-que sa consommation énergétique est supérieure à 330 kW.h par mètre carré et par an. Oui, vous avez bien lu : par mètre carré.
Adaptons maintenant au logement la comparaison automobile du début de l'article.
- Un couple de retraités habite un petit logement de 40 m², sensé consommer 16 000 kW.h par an : cela donne 400 kW.h par mètre carré et par an, ce qui classe le logement dans la catégorie F des "passoires thermiques".
- Un autre couple vit dans un logement de 250 m², supposé consommer 20 000 kW.h par an : la consommation est donc de 80 kW.h par mètre carré et par an, ce qui le place dans la catégorie B.
Le couple (2) est donc considéré "vertueux", alors qu'il consomme plus que le couple (1) ! Vous voyez qu'on applique au logement le raisonnement absurde que je tenais sur l'automobile.
La réalité est sans doute encore plus caricaturale. En effet, le couple (1), qu'on imagine modeste, fera très attention à ses dépenses énergétiques. Dans les faits, sa consommation sera probablement inférieure à ce qu'annonce son étiquette énergétique. Pour le couple (2), ce sera le contraire. Au final, la différence de consommations entre les deux sera plus importante que celle annoncée.
Appuyons nous sur les résultats d'une étude
Il s'agit d'une étude menée dans les pays d'Aix. Ses auteurs ont comparé les consommations théoriques d'un échantillon de logements aux consommations réelles, facturées aux occupants.
Le résultat est assez spectaculaire : les écarts de consommations réelles sont bien moindres que les écarts théoriques. Par exemple, les logements datant de 1948 sont sensés consommer au moins 3 fois plus que ceux construits après 2005, mais la comparaison des factures montre que les consommations réelles sont très proches. Les auteurs de l'étude ne tirent pas de conclusions particulières de cette observation (échantillon sans doute trop petit), je pense pour ma part qu'il s'agit d'une illustration de ce qu'on appelle l'effet rebond : de nouvelles technologies vous permettent de faire des économies, alors vous en profitez pour consommer plus !
J'ai cherché en vain d'autres études comparant les consommations théoriques aux réelles dans le domaine du logement. Elles existent probablement, mais elles sont difficiles à trouver.
Les auteurs de l'étude du pays d'Aix ont aussi étudié les coûts de bouquets de travaux d'économies d'énergie : ils vont de 216€ à par m² à 364€ par m² pour les maisons individuelles contre environ 234€/m² dans le collectif. Pour une famille de 4 personnes vivant dans 80m², cela représenterait une dépense entre 17 000 € et 29 000 €.
Les bénéfices attendus de ces lourds investissements, en supposant que les gens aient les moyens de les faire, ne risquent-ils pas d'être anéantis par l'effet rebond ?
À la recherche de l'effet rebond
Ce phénomène est connu, mais peu popularisé, citons quelques sources :
- Un article du site Slate
- Un article de la banque des territoires
- Un article du Monde
L'effet rebond a donc été bien étudié. Il est acquis qu'il mange couramment une bonne partie des résultats attendus d'investissements d'économie d'énergie, même si ce n'est pas facile à mesurer.
Le blog Ravijen montre qu'en 2008-2013 la consommation d'énergie liée au logement était de 7840 kW.h par an et par personne, contre 8188 en 1970-1973. Ainsi, en 40 ans d'isolation des bâtiments, on aurait réussi de baisser la consommation énergétique d'à peine 4% !
Pour des économies gratuites
L'effet rebond peut ainsi contrarier de lourds investissements destinés à économiser l'énergie. À contrario, ne pourrait-on pas économiser de fortes quantités d'énergie sans investir un centime ?
Existe-t-il un moyen de faire baisser les consommations de chauffage sans entreprendre de lourds investissements ni écraser les gens de taxes ? Pour le savoir, examinons les tarifs du gaz pour le chauffage :
- L'abonnement coûte environ 250€ par an.
- La consommation est facturée environ 0.056€ par kW.h
Pour montrer l'effet pervers de cette tarification, distinguons deux cas :
- Vous consommez 8 000 kW.h par an : on vous facturera au total environ 700€ en additionnant l'abonnement et la consommation, ce qui fait un coût moyen de 8,75 centimes par kW.h.
- Vous consommez 20 000 kW.h par an : vous payez 1370 €, le coût moyen est donc de 6,85 centimes par kW.h consommé.
Le résultat est clair : si vous consommez beaucoup, on vous facturera l'énergie moins cher que si vous consommez peu ! Ne faudrait-il pas faire le contraire ?
On pourrait imaginer un système de facturation qui favorise les économies :
- L'abonnement serait gratuit.
- Les 10 000 premiers kW.h seraient vendus à bas prix (5 centimes, par exemple).
- Au delà, les kW.h suivants seraient beaucoup plus chers (10 centimes, par exemple).
Une telle tarification serait fortement incitative. Chacun surveillerait ses consommations pour rester en desssous du seuil de 10 000 kW.h. De plus, les dépenses d'isolation seraient rentabilisées beaucoup plus rapidement, car elles permettraient d'économiser les kW.h les plus chers.
Bien sûr, les seuils et les tarifs donnés ici sont purement indicatifs. C'est le principe que je veux exposer.
Mais ce n'est pas cette voie qui a été choisie. On préfère imposer aux gens des investissements importants. Vous devez changer de chaudière ? On vous impose la condensation ! Vous devez ravaler votre façade ? On vous impose l'isolation par l'extérieur ! Vous ne pouvez pas payer ? Partez !
Par ailleurs, il est bizarre que les politiques d'économie d'énergie se focalisent à ce point sur le logement, alors qu'en France, le secteur des transports émet plus de CO2 que le logement (lien). Il suffirait par exemple de limiter à 110 km/h la vitesse sur autoroute pour diminuer de 7% la consommation de carburant des ménages (lien), et cette mesure ne coûterait pas un centime !
En conclusion
À part quelques climatoseptiques farfelus, tout le monde s'accorde à dire que nous devons diminuer notre empreinte carbone, mais pour attteindre cet objectif, nous privilégions une escalade technologique coûteuse, dont les effets sont parfois décevants. Une telle approche rend l'écologie impopulaire, voire angoissante, alors qu'on néglige de prendre des mesures simples pour réduire nos émissions. Un renversement des priorités s'impose pour trouver le chemin de l'efficacité.
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