Appel des appels : un SOS désespéré et pluriel des acteurs de la République
C’était en 2007. Nicolas Sarkozy s’était fait élire, non sans manier les références historiques et faire écho à quelque propos papal du genre, entrons dans l’espérance, ensemble, tout est possible. 20 mois plus tard, le résultat est accablant. C’est tous ensembles, que des professionnels d’horizon multiples signent un appel dont la traduction est : nous sommes désespérés.

C’est le journal Libération, retrouvant ses vieux réflexes de porte-parole des frondeurs, publie un appel commun assez court mais très explicite*** Selon les analystes du journal, cet appel est singulier et constitue même un précédent. C’est d’ailleurs ce qui marque les crises politiques et sociales, le fait qu’il y ait des précédents. Comme il y a peu, ces députés socialistes chantant la marseillaise devant un président Accoyer imperturbable sur son perchoir. Ce n’est pas un scoop, la France est en crise, pas seulement économique mais surtout sociale et politique.
Qu’y a-t-il de singulier dans cet appel ? Tout simplement le fait qu’il dépasse les revendications catégorielles, rassemblant de nombreuses professions sur service public et pas les moindre. Ce sont celles qui participent à la texture du lien social, au maintient de l’espace républicain, de l’Etat de droit, à l’éducation de toutes les tranches d’âge, depuis la maternelle jusqu’au doctorat de l’Université en passant par les enseignements dits professionnels. Ajoutons les professionnels du système de santé, qui assument l’héritage d’une institution créée par le Conseil national de la résistance. Et la recherche, domaine sans lequel il n’est pas de grande et prestigieuse nation. Et la presse, sans laquelle il n’y a pas de démocratie et de liberté fondée sur une opinion bien informée. Et la culture, qui donne un sens à la civilisation. La qualité des signataires surprend aussi. Les clivages syndicaux sont dépassés et parmi les frondeurs, des professionnels haut placés, pour employer une formule évoquant les directeurs de recherche, les professeurs d’université, les médecins, les psychiatres, les magistrats, les responsables de rédaction, des directeurs dans le champ culturel.
Cet appel s’avère exceptionnel et sans doute, historique, du moins à l’échelle de notre décennie et plus particulièrement, en plein milieu du quinquennat de Sarkozy. Lequel est tout spécialement visé mais c’était son choix puisqu’il avait promis qu’en régentant tout, il serait le seul comptable des succès ou des échecs. Et là, au vu du marasme ambiant, parler d’échec est un euphémisme puisque une sorte de désastre est en vue (« conséquences désastreuses » dit le texte) Un mot sur le motif et le contenu. Tous ces professionnels reprochent au Président de la République une vision économiste et comptable applicable aux services publics.
Souvenons-nous le 8 janvier 2008, Sarkozy lançait à la cantonade la politique de civilisation. Qui devait être, selon ses termes, la politique de la vie et des repères (La politique doit être animée par le souci d’un idéal humain, a expliqué le chef de l’État. « La politique de civilisation c’est la politique de la vie ». Elle est nécessaire « quand il faut rétablir des normes, des critères, des repères » (Figaro, 08/01/08) Et que disent tous ces professionnels, que l’idéal humain qui guide Sarkozy, c’est l’homme économique. Et que pensent les professionnels de la politique actuelle ? Eh bien qu’elle désagrège peu à peu les repères dans notre société. Et que s’il y a bien un personnage dépourvu de vision humaine, de repères (exceptés statistiques et économiques) et pourvus de normes contestables, c’est le chef de l’Etat.
L’histoire le dira mais cette crise est majeure car elle révèle un schisme sans précédent entre deux volontés et deux représentations, celles d’un chef de l’Etat et celles d’une assemblée hétéroclites et plurielle de professionnels parvenus au sommet de leurs compétences pour façonner un pays à hauteur de civilisation. Cette crise de la représentation est énorme et elle doit être prise pour ce qu’elle vaut, à savoir comme une crise de la démocratie.
*** Appel des appels « Nous, professionnels du soin, du travail social, de l’éducation, de la justice, de l’information et de la culture, attirons l’attention des pouvoirs publics et de l’opinion sur les conséquences sociales désastreuses des réformes hâtivement mises en place ces derniers temps. A l’Université, à l’école, dans les services de soins et de travail social, dans les milieux de la justice, de l’information et de la culture, la souffrance sociale ne cesse de s’accroître. Elle compromet nos métiers et nos missions. Au nom d’une idéologie de "l’homme économique", le pouvoir défait et recompose nos métiers et nos missions en exposant toujours plus les professionnels et les usagers aux lois "naturelles" du marché. Cette idéologie s’est révélée catastrophique dans le milieu même des affaires dont elle est issue. Nous, professionnels du soin, du travail social, de l’éducation, de la justice, de l’information et de la culture, refusons qu’une telle idéologie mette maintenant en "faillite" le soin, le travail social, l’éducation, la justice, l’information et la culture. Nous appelons à une Coordination nationale de tous ceux qui refusent cette fatalité à se retrouver le 31 janvier 2009 à Paris. »
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