SOS Laïcité
Après le discours du président de la République au « Palais du Latran » (Rome le 20/12/07).
Quelques jours dans l’air pur et les cimes enneigées des Pyrénées stimulent les neurones, aiguisent la perspicacité et affûtent l’esprit critique... au point de s’étonner - au retour -, replongé dans le paysage médiatico-politique ambiant, de l’agressive controverse nationale autour des amours présidentielles d’un mannequin-vedette, des seins dévoilés d’une naïade frivole ou encore des dessous affriolants d’une reine de beauté contestée (tandis que messieurs Montebourg et Krivine dissertent allègrement sur le « voyage pharaonique en Egypte »)... alors que semble être passé en « pertes et profits » (politiques ?) le discours prononcé par Nicolas Sarkozy lors de sa visite au pape, discours qui n’est rien moins qu’une remise en cause du principe de laïcité qui fonde notre République...
Certes, le Parti socialiste y est allé d’un communiqué (anodin et peu médiatisé) de M. Glavany, mais le PCF et la LCR (fort occupée à préfabriquer un nouveau parti) sont officiellement restés silencieux... Et il revient au seul François Bayrou le mérite, dans une (excellente) interview au Figaro (le 26/12/07) d’une critique véritable du texte tandis que les associations essentielles de défense de la laïcité semblent faire, à ce jour encore, preuve d’une certaine paralysie de la réflexion et de la plume...
Et pourtant...
A lire le texte produit par le président d’une République dont la Constitution stipule : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », on est en droit de se demander si la France « fille aînée de l’Eglise » n’est pas de retour dans le giron du Vatican car tout y détruit - en termes généraux et généreux, théoriques et affectifs - l’idée même de laïcité que plusieurs siècles de luttes idéologiques, politiques et sociales ont contribué à élaborer !
Et M. Bayrou ne s’y est pas trompé, lui qui - pourtant -, il y a peu, nous faisait douter de son implication « laïque » et de sa volonté de défendre et de conforter la loi de séparation des églises et de l’Etat, en écrivant à propos de l’expression « laïcité positive » : « quand on a besoin d’un adjectif (pour qualifier la laïcité -NDLR), c’est qu’on veut changer le sens du mot »... et cela vaut pour les tenants « gauchisants » de « la laïcité ouverte », pour les adeptes communisants « d’une laïcité du XXIe siècle », pour les apôtres bien pensants « d’une laïcité modernisée », pour les thuriféraires « royalisants » de la « laïcité de tolérance »... (la liste n’est pas close : chacun pourra la compléter).
Changer le sens du mot pour mieux changer la réalité historique, idéologique, politique qu’il suppose, pour mieux effacer sa concrétisation réelle dans notre espace sociétal : tel est le projet du texte, telle est la perspective qui doit guider notre réflexion et notre action devant le péril extrême qui menace ce pilier fondateur de notre nation républicaine... Des voix s’élèvent qui proposent des analyses, des arguments, des réflexions : écoutons Yvon Quiniou (Le Monde en ligne du 27/12/07 ) ou encore Catherine Kintzler (Marianne en ligne du 29/12/07 )... Et faisons de « Riposte Laïque » le fer de lance de la contre-offensive...
Comment accepter qu’un président d’une République laïque puisse affirmer, sans trembler, par-delà les précautions oratoires et le rappel prudent du nécessaire maintien des « grands équilibres de la loi de 1905 », qu’il convient aujourd’hui à l’Etat de « reconnaître » les religions (et, en particulier, la première d’entre elles ici...) alors que l’article 2 de la loi organique dit : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte... », ce qui induit que l’Etat sorte de sa situation de neutralité, de son rôle de simple arbitre contrôlant le libre exercice de la liberté de conscience (dont la liberté religieuse n’est qu’une partie), de son abstention devant l’organisation et le fonctionnement des religions, libérées de l’Etat comme la société civile dans son ensemble est libérée de toute emprise religieuse et/ou idéologique. Le discours présidentiel renverse la situation actuelle en imposant « une reconnaissance » des religions qui amène à un dialogue privilégié avec elles (il est vrai que M. Jospin avait ouvert la voie...), à faire participer à l’élaboration de la loi commune « les grands courants spirituels » (quels sont-ils ?) en tant que tels (et non chacun des membres de ces courants en tant que citoyens à égalité de droits et de devoirs) tout en favorisant « leur vie quotidienne »... c’est-à-dire en les aidant matériellement et financièrement ! La démarche, implicite, est bien celle instaurée par les conclusions de la commission « Machelon » (de triste mémoire) : vider de sa substance l’article 2 de la loi de 1905 pour permettre une insertion totale des églises dans l’espace public, pour les faire s’exprimer « sur » l’espace public tout en leur laissant leur rôle spirituel « privé »... Outre que cette démarche écarte, en les ignorant, les 30 % de Français qui ne se reconnaissent en aucune religion (et les 25 % autres qui, reliés à une culture catholique, doutent de l’existence de Dieu...), elle introduit dans l’espace public le désordre et le conflit puisqu‘elle tend à reconnaître aux responsables religieux une autorité et une compétence politique, porte ouverte aux différents communautarismes constitués comme autant de groupes d’influence et dont les lois et coutumes différentes s’opposeront tout en voulant se substituer à la loi générale... Pour être concret, lors de la prochaine campagne des « municipales », quid des demandes de construction de mosquées, des revendications identitaires, des pressions pour obtenir des horaires « féminins » en piscines publiques ou des repas « conformes » dans les restaurants scolaires ? Quid des manifestations ostentatoires des insignes religieux dans les espaces communs à tous ou des impositions de coutumes s’opposant à la loi générale ? Que feront les politiques, de droite comme de gauche ou d’extrême gauche, qui, trop souvent, ont précédé le chef de l’Etat sur ce terrain miné de la laïcité « élastique » ? Quel appel d’air pour la revendication communautariste que ce discours du « Latran » !
Mais ce n’est pas tout ! S’il y a dans ce texte un aspect destructeur de la notion de « laïcité », c’est bien aussi par la récurrence lancinante des références à « l’héritage chrétien » de la France... Le lieu, certes, s’y prêtait ; le moment, aussi... mais l’insistance fait sens et témoigne, d’abord, d’une ignorance (feinte ? manipulatrice ?) de notre Histoire... Car si la France s’est faite en s’appropriant deux facettes essentielles du christianisme (catholicisme et protestantisme) sans gommer entièrement son origine judaïque, elle s’est faite - aussi - en s’appropriant l’héritage « antique » des Grecs et des Latins, tout en intégrant les apports « païens » celtes et franciques, et ceux venus du monde arabo-musulman... Mais, surtout, elle s’est faite contre « l’héritage chrétien » : de l’Humanisme du XVIe siècle aux Lumières du XVIIIe, en passant par le mouvement Libertin du XVIIe (et en se référant aux utopistes et socialistes du XIXe), c’est un bouillonnement de la pensée, un cheminement incessant de la connaissance, un bouleversement de la société sous toutes ses formes, une recomposition économique totale qui ont permis l’émergence du pays que nous connaissons où les valeurs établies (le concept de République ; l’idée de nation ; l’égalité homme/femme ; la liberté de conscience, de parole, d’écriture ; la mise en action de l’esprit de raison ; la notion de progrès, ; l’accès à la connaissance ; l’égalité des droits et devoirs...) se sont toujours établies contre les autorités des Eglises (de l’Eglise catholique, particulièrement) et se sont maintenues par une lutte incessante contre elles (comme elles doivent le faire aujourd’hui face à l’islam...). On n’en finirait pas de citer les conflits, les oukases, les freins, les régressions imposés par la loi religieuse tout au long des siècles passés à la pensée libre comme à l’exercice de la raison, aux progrès de la science comme aux avancées de la démocratie... Et ce n’est pas fini : ne voit-on pas resurgir, portées par le catholicisme, l’évangélisme ou l’islam, les théories « créationnistes » ou les obligations moralisatrices les plus rétrogrades qui enchaînent l’individu ?
Et pour cela encore, le discours du Latran sera un point d’appui... Il relève, en effet, d’un parti pris idéologique inacceptable pour tout homme de raison, pour tout citoyen libéré des croyances et des dogmes définitivement révélés. Qu’est-ce qui autorise le président de la République, dans un texte public déclamé ès qualités où il a le devoir de se tenir à l’écart de toute idéologie comme de toute foi, à déclarer que tout homme a besoin de religion, d’espérance, pour trouver « un sens à l’existence » ; que tout homme a besoin de la religion pour fonder sa morale ; que « la République a besoin d’hommes et de femmes qui espèrent (en Dieu) » par-delà « les facilités matérielles, la frénésie de consommation, l’accumulation des biens » qui ne pourront jamais le « combler » ?... Venant d’un être qui honore le luxe et « la consommation sous toutes ses formes », cela pourrait faire sourire (cependant, comme laïc, je lui reconnais le droit de jouir de l’une et de l’autre dans sa sphère privée) ! Mais vouloir imposer au citoyen libre de ce pays un obligatoire « supplément d’âme estampillé Benoît XVI » pour l’amener à accepter sans broncher sa condition terrestre relève de l’hypocrisie de comportement et de la manipulation idéologique... Cela relève aussi de l’ignorance « du mouvement de son histoire » qui a fait sortir l’homme, par la mise en œuvre de sa propre intelligence, de « sa guenille impure » pour accéder à sa responsabilité « ici et maintenant » et à la construction de son bonheur d’être... Cela relève encore de l’incommensurable ineptie (déjà moquée par Voltaire) de faire procéder la morale de la religion en faisant dépendre les valeurs universelles destinées à réunir l’humanité de croyances aléatoires, étroites, particulières, marquées historiquement et géo-politiquement, souvent opposées entre elles, toujours promptes au conflit pour s’imposer, à l’écart des chemins de la connaissance dont le champ d’investigation infini sape leurs fondements.
La laïcité, oui, est en grand danger... Nous n’aurons certes pas une attaque frontale contre la loi de 1905 : le terrain est miné, et le discours du président s’attache à contourner les « mines ». Mais il trace une ligne idéologique, politique, sociologique... et soyons sûrs qu’elle servira de repère dans un avenir rapproché.
Car il nous faut maintenant relier les fils tissés çà et là : le traité européen... le discours du Latran... celui de Mme Alliot-Marie en octobre dernier... les textes pontificaux... l’action de la Halde... les concessions faites à l’islam... le rôle croissant des enseignements privés confessionnels... les appels permanents à la charité, à la compassion codifiée, à la solidarité obligatoire comme substituts à une politique globale sanitaire et sociale... l’argent public dilapidé dans des aides aux associations confessionnelles de tout acabit et aux constructions de lieux de culte... l’appel à la reconnaissance des congrégations religieuses...
Il faut relier tous les fils...
Et comprendre que c’est par une politique de « petits pas » que se détricotera la loi de 1905 et que reviendront dans et sur l’espace public les « églises » de toute confession...
Les défenseurs de la laïcité construite laborieusement tout au long de notre Histoire seraient bien inspirés d’oublier leurs querelles intestines et de voir dans le moindre « détail » accepté la possibilité pour « ces églises » d’aller « plus loin » et pour les politiques de tous les partis de se sentir confortés dans leur pusillanimité et leur complaisance électoraliste qui les conduisent à aller au-devant des desiderata communautaristes et/ou religieux... Les défenseurs de la laïcité seraient bien inspirés de se réunir, de présenter un front commun au péril et d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Robert Albarèdes
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