@Tristan Valmour
Vous me demandez si j’ai des preuves formelles que les sciences de
l’éducation sont la cause du naufrage. C’est un peu comme si vous me
demandiez s’il y avait une relation très évidente entre plus de
20000 morts et disparus en mars 2011 et un certain tsunami qui venait
de ravager les côtes du Japon. Peut-être n’était-ce, après tout,
qu’un « sentiment personnel ou une intuition » des
Japonais !
Or, c’est bien à une sorte de tsunami qu’on a assisté aussi dans
l’Education nationale. On avait délibérément fait sauter les digues : tout
le monde ou presque devait désormais « avoir le niveau du
bac », sauf 20% de sacrifiés (je n’ai jamais compris pourquoi
!). Les enseignants se trouvaient donc dessaisis de leur prérogative
naturelle qui était d’évaluer le niveau des candidats. C’était le
politique qui décidait à leur place de ce qui devenait, comme dans
n’importe quelle usine, des contraintes et de la gestion des flux. Mais
on ne fabrique pas des citoyens cultivés comme on fabrique des
bagnoles. Il reste que les sciences de l’éducation, au mépris de
tout réalisme professionnel, ont prétendu pouvoir fournir les
moyens techniques qui permettraient de réaliser ces sortes de
miracles. Sont apparus immédiatement les IUFM, qui permettraient de
formater les jeunes professeurs et de les induire à mécaniser leurs
pratiques, conformément à des instructions officielles de plus en
plus stupides. J’ai connu beaucoup de jeunes collègues qui avaient
subi comme une suite de sévices intellectuels dignes de la Chine de Mao cette année de formation où
des crétins prétendaient leur inculquer des recettes infaillibles
pour réussir - eux-mêmes ayant préféré devenir formateurs pour
fuir les difficultés du terrain qu’ils n’avaient de toute évidence
jamais été capables de maîtriser.
C’est à cette époque qu’on a vu surgir dans les textes officiels
un jargon ridicule, que les collabos du système (il y en aura
toujours) sont devenus de parfaits émules de Trissotin. On a remis
en selle la vieille rhétorique, intéressante pour des élèves d’un
excellent niveau, mais désastreuse pour des jeunes qui savent à
peine lire. Je me souviens de tel collègue paniqué juste avant
d’aller voir ses élèves, parce qu’il hésitait sur le nom qu’il
fallait donner dans le texte qu’il allait expliquer, à telle figure
de style un peu compliquée. Une année, j’ai hérité une classe de
première où les élèves étaient particulièrement obsédés par
les oxymores. Ils en voyaient partout, jusqu’à en être hallucinés.
On les avait dressés à rechercher l’oxymore comme on dresse les
cochons à flairer les truffes !
Je préfère me limiter à ces quelques anecdotes qui seront bien
suffisantes pour ceux qui ont été témoins de ces dérives. S’il
fallait entrer dans les détails, un bouquin ne suffirait pas, mais
je peux toujours vous éclairer sur tel ou tel point particulier.
Vous me demandez ce que c’est que noter. La réponse est toute
simple, elle est dans l’article d’Abou Antoun : c’est faire en sorte
que l’élève puisse se rendre compte aisément de ce qui ne convient
pas dans le devoir qu’il a produit. On peut aisément convenir avec
la classe d’un barème : au delà d’un certain nombre de fautes ou
d’erreurs dont la gravité a été évaluée une fois pour toutes, on
sera nécessairement en dessous de telle ou telle note. Si on
informatise la correction, dans l’enseignement du français, on peut
très bien renvoyer l’élève à tel ou tel paragraphe d’un polycopié
qui définit très clairement les règles de l’exercice, cela vaut
mieux qu’une appréciation globale toujours trop vague et sans
remède. De vrais élèves essaieront de comprendre les remarques qu’on aura pris soin de multiplier, mais avec
beaucoup de ceux qui fréquentent aujourd’hui les lycées, ce sera
peine perdue : il préfèreront se sentir humiliés et déchireront
leur copie. Les sciences de l’éducation, qui promettent la réussite
pour tous, seront déjà passées par là.