Alors là Appoline, votre propos est vraiment énorme. Autant
je suppose que nous sommes d’accord sur le constat de la déchéance morale et spirituelle
de cette société, autant je trouve que le recours au principe magique du péché
originel que vous situez en 68 est désolant, car sans valeur aucune. Aucune
société n’est immuablement figée, ni coupable de vouloir rompre avec une
oppression parfois telle que les révolutions passent par là. A cet égard, les
analyses de mai 68 divergent souvent à tel point qu’y voir le germe du désastre
vers lequel la société d’aujourd’hui se rue n’a pas de fondement. Il y a trop
d’éléments sans rapport du tout avec les espoirs revendiqués par la génération
68 pour que ceux-là puissent être mis en cause. La liberté de pensée, celle de
se déplacer, d’exercer un métier de son choix, d’aimer, de s’affranchir de
normes hyper moralisatrices et castratrices, l’espoir, l’espoir tout simplement
d’une refondation de la société, rien de tout cela ne signifiait en soi la
disparition des valeurs fondamentales de la vie respectueuse d’autrui. Je ne sache pas qu’il soit décent
de confondre anarchie et rêve d’un lendemain différent.
Il n’y a rien pour moi d’acceptable dans la condamnation de
quelque révolution que ce soit lorsqu’elle est pacifique, et mai 68 ne coûta
pas la vie à des dizaines de milliers de citoyens. Était-ce même une révolution…
Par contre, je situe pour ma part le début du délitement des valeurs et l’offensive
montée de l’individualisme, de la compétition à outrance, de la violence de la
mondialisation et de l’injonction à devenir consommateurs décérébrés aux années
70, qui s’accompagnent de la corruption et de la bestialité des marchés et des
Etats dont on voit aujourd’hui les plus sinistres effets, et dont je ne peux
imaginer quels malheurs épouvantables ils nous promettent. Et rien de ces
cyniques et immondes dérives ne trouvent leur source dans les rêves sincères de
nombre d’acteurs de mai 68, car il y en eût. Il serait temps de balayer devant
la porte de nos bourreaux, plutôt que d’accuser sans le moindre espoir d’en
tirer un profit quelconque la génération de nos parents ou grands-parents. Les
coupables sont masqués, mondialisés, soutenus par nombre de larbins de toute
obédience, et ils vivent ici et maintenant, parmi nous. Parfois même... nous
leur prêtons la main.