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Reinette (---.---.150.168) 8 février 2007 16:46

En 1938 déja...

L’injonction à « remettre la France au travail » est calquée mot pour mot sur une formule d’Edouard Daladier, lancée en 1938 pour casser les acquis du front populaire.

Aujourd’hui, le front popu est loin, mais la réaction sociale est la même. Jusque dans le choix des mots.

Juin 1937, le gouvernement Blum tombe, le patronat exulte. Revenue aux affaires, la réaction se met à l’ouvrage.

Les mêmes hommes qui interneront les réfugiés espagnols républicains fuyant le franquisme et qui voteront les pleins pouvoirs à Pétain entendent bien « sonner la fin de la récréation », comme le dira Seillière 65 ans plus tard.

« La volonté d’en découdre avec le monde ouvrier - à travers sa représentation syndicale - est illustrée par la concentration du tir sur le thème des « 40 heures », note l’historien Pierre Laborie.

S’ajoutent, à la critique technique des effets néfastes de la loi, des reproches culpabilisateurs sur la paresse, la facilité, les loisirs, la semaine des 2 dimanches, sans jamais mettre en cause les responsabilités éventuelles du patronat et l’inadaptation des structures aux nouveaux besoins de la production, c’est toucher au domaine ultra-sensible du symbolique et de l’affectif. » [1].

Le 21 août 1938, le radical-socialiste Edouard Daladier, nouveau président du Conseil, déclare : « Il faut remettre la France au travail. »

C’est mot pour mot la formule dont le Medef et l’UMP usent et abusent pour lancer leur train de mesures en faveur du patronat. Le gouvernement actuel supprime un jour férié et permet aux entreprises, en compensation des « 35 heures », d’accroître les heures supplémentaires imposées à la main d’oeuvre.

Le gouvernement de 1938 a agit de même, avec une série de décrets-lois qui reviennent sur la semaine de 40 heures et suppriment le samedi chômé (« la semaine des 2 dimanches »).

En préfiguration des vols groupés de Sarkozy, on assortit la casse sociale d’une répression accrue à l’égard des étrangers.

Le 14 avril 1938, le ministre de l’Intérieur, le radical-socialiste Albert Sarrault, demande à ses préfets

« une action méthodique, énergique et prompte en vue de débarrasser notre pays des éléments indésirables trop nombreux qui y circulent et y agissent au mépris des lois et des règlements ou qui interviennent de façon inadmissible dans des querelles ou des conflits politiques ou sociaux qui ne regardent que nous. » Deux semaines plus tard tombe un décret gouvernemental stipulant que « le nombre sans cesse croissant d’étrangers résidant en France impose au gouvernement, investi du pouvoir législatif dans un domaine nettement défini, d’édicter certaines mesures que commande impérieusement le souci de la sécurité nationale, de l’économie générale du pays et de la protection de l’ordre public. »

L’expression « tolérance zéro » n’existait pas encore, mais on l’entend qui macère. Hier comme aujourd’hui, on tape sur les immigrés pour faire oublier à « nos » ouvriers les coups qu’eux-mêmes reçoivent.

Depuis 1938, production et productivité n’ont cessé de croître.

Le 14 janvier 2003, sa baronnie Ernest-Antoine Seillière se plaignait pourtant auprès de son majordome Raffarin :

« Vous avez, Monsieur le Premier ministre, sifflé ces derniers mois la fin de la récréation, mais vous n’avez pas encore convaincu la France qu’elle devait se remettre au travail. »

Message reçu cinq sur cinq. Le ministre du Budget, Alain Lambert, clame son désir de « restaurer la primauté du travail » et de « restituer aux Français les fruits de leurs efforts. » Pour corser l’injonction, le registre militaire s’impose jusque dans les médias : « Ce n’est qu’ainsi qu’ils seront mobilisés pour donner le meilleur d’eux-mêmes à leur pays. » (La Montagne, 26/09/03).

L’offensive idéologique en cours n’a pas d’autre objet que d’éradiquer toute tentative de renverser le rapport de force. Le rappel à l’ordre continu, le ton magistral de la réprimande et la mise à l’index des chômeurs « en situation d’assistance » (Fillon) accompagnent cette mise au pas.

Le 26 août 2003, le député UMP et marchand d’armes multimillionnaire Serge Dassault s’indignait :

« On ne peut pas tous travailler le même nombre d’heures, gagner le même salaire, partir à la retraite au même âge. Il faut laisser ceux qui réussissent s’enrichir, arrêter de croire que le salut viendra en faisant payer les riches, car il n’y a pas assez de riches et ceux qui restent vont partir, et surtout, il faut remettre la France au travail » (Le Figaro, 26/08/03).

Il est vrai que les riches, eux, savent quoi faire de leur temps libre, alors que les pauvres s’ennuient quand ils ne travaillent pas, comme le remarque avec une lucidité confondante l’intello chouchou des médias, Nicolas Baverez :

« Le temps libre, c’est le versant catastrophe sociale. Car autant il est apprécié pour aller dans le Lubéron, autant pour les couches les plus modestes, le temps libre, c’est l’alcoolisme, le développement de la violence, la délinquance, des faits malheureusement prouvés par des études. » (20 minutes, 07/10/03)

La droite tenait le même discours en 1938. Deux ans après, c’était Vichy.

[1] Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, p. 146, Paris, Seuil, 1990, 405 pages


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