Colère de Mélenchon : l’éducation politique par le corps
Les perquisitions politiques contre le mouvement FI ordonnées par un procureur à la solde du pouvoir, dans tout le ramdam médiatique qui s'en est suivi, est un formidable moment d'éducation politique. Face aux mines sucrées et aux coups par derrière de la bourgeoisie, le peuple n'a que son corps et c'est bien celui-là que Jean-Luc Mélenchon a mis en avant, mettant à bas de nombreux masques et démontrant, à qui veut bien le voir, contre quoi et qui un mouvement populaire et progressiste devra toujours s'affronter.
Le principal choc symbolique de la révolution de 1789 en France s'incarna à maints égards dans le corps guillotiné de Louis XVI. La monarchie et l'aristocratie découvraient subitement ce que les plus miséreux, les plus exploités, ont toujours su : la politique se joue par le corps, inviolable jusque-là (et gras) pour le roi, toujours menacé par la faim, le froid, la misère, pour les pauvres. Le surgissement du corps du roi sur la guillotine, conséquence de sa trahison permanente et de sa volonté d'écraser par le sang et les armées monarchistes étrangères le peuple français révolutionnaire, est un moment éminemment symbolique qui rééquilibre la présence corporelle de chacun dans le temps politique : si les miséreux ont toujours été menacés dans leurs corps par les conditions sociales que leur afflige le système de privilèges iniques de la monarchie, de la noblesse et du haut-clergé, la révolution est le moment politique par excellence où les corps de ces privilégiés se retrouvent eux-mêmes confrontés aux conséquences politiques de leurs actes, jusqu'à finir pour certains sur l'échafaud. C'est un traumatisme politique d'une grande ampleur qui, encore aujourd'hui, effraye la bourgeoisie et ses supplétifs. Elle lui a donné le nom de Terreur et lui a assigné la figure de Robespierre, sans hésiter à abuser du mensonge et de l'approximation.
C'est que le corps du bourgeois, le corps du privilégié ne devrait en principe jamais être impliqué dans la lutte politique. Ce sont les pauvres qui doivent affronter sur les barricades les balles des armées de l'ordre, ces mêmes armées de l'ordre n'étant d'ailleurs pas composées de la bourgeoisie elle-même mais de sous-fifres appartenant objectivement à la classe des exploités. Durant les dix-huit mois que dura ce que la bourgeoisie appelle la Terreur, période prenant subitement fin avec le 9 Thermidor et l'exécution de Robespierre, les bilans donnent 2500 guillotinés sur Paris et 17000 sur toute la France. Les royalistes actuelles type Marion Sigaut aimeraient aussi inclure à ce bilan la guerre civile en Vendée, à laquelle ils voudraient donner le nom de "Génocide", mais ce serait oublier les innombrables massacres commis par la réaction vendéenne contre les Républicains (massacres de Machecoul, de Saint-Florent-le-Vieil, de Mortagne-sur-Sèvre, de Cholet etc.), qui précédèrent les infamies de Carrier à Nantes (contre lesquelles Robespierre s'était d'ailleurs élevé). "Génocide" plutôt que "guerre civile" selon Marion Sigaut, mais il est vrai que la malhonnêteté intellectuelle est consubstantielle et nécessaire à l'historien(ne) réactionnaire.
2500 guillotinés sur Paris en dix-huit mois : voici le bilan de la Terreur, rabâché par nos manuels scolaires et par les penseurs médiatiques type Onfray. Qui par contre n'évoquent jamais les 5000 morts en une semaine, au minimum (on parle aussi de 15000 morts) que fit la répression bourgeoise lors de la révolution de juin 1848 à Paris. Pas plus que les 20000 morts a minima de la Semaine Sanglante où les Versaillais mirent fin, dans un bain de sang, aux formidables progrès sociaux promus par la Commune de Paris. Cette sélectivité montre bien à quel point le corps de l'ouvrier, le corps de l'émeutier abattu par les balles de la réaction ou éventré par son sabre, ne compte pour rien pour le penseur bourgeois et combien au contraire la "Terreur" qui allait, pour un temps très court, faire du corps du privilégié, de l'aristocrate, du roi, un enjeu politique, est un traumatisme durable. Le bourgeois énonce doctement ses opinions depuis son canapé du Boulevard Saint-Germain et si ces opinions participent de la défense d'une société d'exploitation féroce mettant des milliers d'ouvriers à la rue du jour au lendemain et les condamnant, dans leur corps, à la ruine sociale (chômage, misère, divorces, maladies, dépressions, jusqu'au suicide), le docte penseur germanopratin ne saurait évidemment pour sa part investir son corps dans ses positions politiques dévastatrices.
C'est l'enseignement que l'on retrouve dans le dernier et remarquable livre d'Édouard Louis, Qui a tué mon père, et dans nombre des interviews qu'il va donner à la suite de celui-ci, où l'écrivain met en avant le fait que, pour le bourgeois, la politique ne se ressent jamais par le corps, alors qu'au contraire, pour le miséreux, le pauvre, la politique a des effets très concrets et très directs sur le corps : les cinq euros mensuels en moins d'Allocation Logement n'évoque évidemment rien pour le bourgeois (c'est le prix d'une pâtisserie Avenue Marceau), mais comme le souligne Édouard Louis - qui a eu à le vivre dans son corps - ça peut représenter deux jours à manger pour une famille pauvre.
C'est l'enseignement de la chemise déchirée du DRH d'Air France, qui offusqua tant les belles personnes politiques et médiatiques qui n'eurent par contre aucune parole contre les 3000 licenciements prévus (et les dizaines de suicides qu'à court ou moyen terme cela devait impliquer : mais il s'agit des corps d'anonymes travailleurs, n'est-ce pas, et non celui d'un tortionnaire costumé et parfumé de la bourgeoisie).
Et c'est l'enseignement des perquisitions infâmes ordonnées par le pouvoir proto-fasciste macronien contre la FI. C'est bien le corps des faibles (ou de ceux qui, aujourd'hui, les représentent le mieux) que vise la bourgeoisie réactionnaire, en envoyant sa flicaille armée à sept heures du matin, en réalisant des perquisitions dépassant les dix heures, et des auditions tout aussi longues, en confisquant les photos de vacances pour bientôt les diffuser dans la presse aux ordres : la bourgeoisie, dont le corps doit le moins possible exister politiquement (leur serpillière Sarkozy se l'est vu suffisamment reprocher), n'hésite par contre pas, et c'est là la marque la plus manifeste, la plus invasive, la plus traumatique de son pouvoir, à s'attaquer aux corps de ceux qu'elle prétend dominer, de ceux qu'elle prétend dresser, ce que l'on a bien vu dans les dernières manifs gazées et matraquées par la police (sans parler du furoncle Benalla).
Il y a en effet, dans ces perquisitions, et dans la colère éminemment saine que leur a opposée Jean-Luc Mélenchon, une leçon d'éducation politique précieuse, à l'intention non de l'ouvrier qui sait les implications désastreuses des politiques européennes sur son corps, mais du petit-bourgeois, qui de l'Europe se félicite de pouvoir passer le week-end à Prague, Rome ou Barcelone en payant en euros et sans aucune démarche administrative contraignante : c'est par le corps que se joue la politique et c'est sur le corps de l'exploité que la bourgeoisie cherchera toujours à signaler avec la plus grande virulence la force de son pouvoir (jusqu'à, inévitablement, équitablement, que cette violence finisse par se retourner contre elle).
N.B : A lire aussi, en supplément, cet article sur la lutte des campesinos contre les escadrons de mercenaires colombiens engagés par les grands propriétaires terriens au Venezuela.
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