L’école : cinq ans pour changer de cap ?
Il ne saurait pas y avoir de politique pertinente d’éducation sans une interrogation sur la vision de l’être humain vers lequel nous tendons. Les questions de l’école, de la société, de l’évolution de l’humanité sont liées. Les bons apprentissages pour l’école le demeurent pour la vie : apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à se connaître, apprendre à vivre ensemble. Ces quatre voies d’une éducation humanisante, au plein sens du terme, définies par l’Unesco, auxquelles s’ajoute aujourd’hui la voie écologique, devraient constituer la trame et la chair de toutes les formations de 7 à 77 ans... C’est à toute la société, et non seulement à l’école, qui en est l’émanation mais qui, en retour, l’influence, qu’incombe la responsabilité de repenser les principes, valeurs et modes d’action par lesquels elle répond ou non à ces besoins anthropologiques de base. Ce que l’on voudrait trouver dans les choix politiques pour les cinq ans à venir ce sont des projets et des programmes de développement individuel et collectif fondés :
sur :une vision écologique énonçant les conditions de survie de l’espèce (ce que satisfait en principe le « Pacte écologique » de Nicolas Hulot) ;
une vision anthropologique fondée sur une meilleure définition du processus d’humanisation, c’est-à-dire de maturation mentale et émotionnelle de l’espèce ;
une vision psychologique concernant la maturation des personnes, nourrie des connaissances des sciences humaines accumulées depuis plus d’un siècle (incluant l’éthologie humaine et les neuro-sciences) ;
une vision sociale elle aussi fondée sur ces sciences et permettant des apprentissages innovants et féconds d’un meilleur vivre-ensemble. Les voies d’actions et les outils existent qui sont ignorés ou négligés, où même rencontrent des sourdes résistances.
Cela apparaît bien faiblement au cœur des programmes politiques qui nous sont proposés : la dimension anthropologique, la connaissance de soi, la relation à autrui, la capacité à coopérer sont loin de prévaloir à l’école et dans la société. Elles ne sont pas identifiées et reconnues, « sacralisées » comme les autres savoirs. (en France en particulier). Le quotient intellectuel (QI) prime ; le quotient émotionnel (QE) ou le quotient relationnel (QR) demeurent des notions ignorées ou sous-estimées, alors que leur développement devrait devenir partie intégrante de toutes les formations. C’est même une voie royale pour reconnaître et ennoblir tous les métiers où la relation aux personnes tient une place essentielle. Ainsi en va-t-il des métiers « ordinaires », dits de proximité, appelés à se développer massivement : assistantes familiales, aide aux personnes âgées ou handicapées, aides ménagères (« bonniches »), surveillants de prison (« matons »), policiers (« flics ») etc. Le regretté Edouard Zarifian remarquait avec force que les qualités relationnelles ne comptent en rien dans le recrutement ou la certification des futurs médecins et qui ne recevaient, dans le meilleur des cas, que trente heures d’enseignement de psychologie médicale durant leurs études ! N’en va-t-il pas de même des enseignants, dont beaucoup il faut le dire se forment à la marge... A l’école tout autant que dans la société, l’excellence ne se juge que sur la capacité de surpasser les autres et non dans l’émulation constructive face à des savoirs ou des compétences à acquérir, et notamment celles de la coopération, du travail en équipe, de la confrontation positive des savoirs et des savoir-faire. Dans une orientation générale qui prendrait en compte la nécessité de ces finalités fondamentales, on pourrait proposer cinq mesures, essentielles parmi d’autres, dont l’efficacité psychopédagogique est largement vérifiée :
1- officialiser le développement des capacités de coopération, de travail en équipe des adultes comme des élèves, et assurer aux-enseignants-éducateurs les formations appropriées à cette fin ;
2- abandonner progressivement, au profit de modes d’évaluation novateurs et auto-formateurs, les modes d’évaluation stigmatisants, plus ou moins arbitraires, qui fragilisent la confiance de l’enfant dans ses capacités, exacerbent l’esprit d’hyper-compétition et pervertissent le désir et les raisons d’apprendre. A cet égard, le modèle finlandais, élaboré et expérimenté au long des trois dernières décennies, en démontre les gains humains et scolaires ;
3- repenser fondamentalement le statut de l’erreur dans les processus d’apprentissage et de formation. C’est une question centrale ;
4- assurer les apprentissages en cycles de maturation et non, rigidement, par année d’âge, qui conduit à faire avancer au même pas les élèves nés en janvier et d’autres nés en décembre de la même année. C’est sans doute un élément plus déterminant dans les difficultés et échecs scolaires que l’influence de telle ou tméthode d’apprentissage.
5- assurer la formation à « la médiation et à la résolution des conflits » pour les élèves comme pour les adultes.
Sans sous-estimer la complexité des facteurs en jeu, ces cinq mesures obtiendraient sans trop de peine un large consensus et pourraient susciter, à travers leur intégration dans les pratiques quotidiennes, des effets systémiques sur les représentations comme sur les valeurs implicitement transmises. Elles contribueraient à remotiver les élèves, à éviter leur désinvestissement ou ennui en classe, voire leur entraînement dans des spirales d’échec dont on sait les conséquences spectaculaires, mais trop peu les souffrances intimes. De nature à apaiser le climat de la classe, elles entraîneraient une économie d’énergie et de temps perdu à obtenir l’attention des élèves. Elles auraient naturellement tendance à diffuser dans le corps social, à féconder les comportements politiques, et à s’intégrer dans une culture commune. On l’observe dans les pays nordiques souvent cités, à juste titre, comme des exemples. Leur étude et formation dans les IUFM devraient tenir une place égale aux autres disciplines. Il faut noter avec espoir qu’elles apparaissent dans les instructions officielles et plus récemment dans les « Recommandations du Haut Conseil de l’Education » (octobre 2006). Changer de cap, ce serait créer les conditions d’une éducation humanisante où savoirs, savoir-faire, savoir-être et savoir-être-ensemble s’apprennent conjointement
Armen Tarpinian
Directeur de la "Revue de Psychologie de la Motivation"
* Ecole : changer de cap. Contributions à une éducation humanisante, Chronique sociale, 2007
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