Moutons, canaille, sotte espèce !
- "Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur."
Tel est le discours du renard dans la fable Les Animaux malades de la peste...
La Fontaine, dans cette fable, met en scène un procès truqué au cours duquel on cherche un coupable, une victime expiatoire, lorsqu'une maladie, la peste, se déclare. Le lion, le Roi des animaux vient d'avouer qu'il a dévoré "force moutons" et qu'il lui est même arrivé de manger le berger...
Mais le Renard, en courtisan rusé, le disculpe : il n'a fait que dévorer de "la canaille".
"Canaille, racaille, valetaille, marmaille", autant de termes péjoratifs qui comportent la même finale, à valeur dévalorisante...
Ainsi, Maupassant écrit au début de la nouvelle intitulée "Aux champs" : "Les deux chaumières étaient côte à côte, au pied d'une colline, proches d'une petite ville de bains. Les deux paysans besognaient dur sur la terre inféconde pour élever tous leurs petits. Chaque ménage en avait quatre. Devant les deux portes voisines, toute la marmaille grouillait du matin au soir."
Ces noms ont, de plus, une valeur collective et englobent plusieurs personnes...
Ces mots résonnent, pourtant de sonorités éblouissantes : voyelle "a" réitérée, gutturales variées, dentale, fricative...
Ces mots appartiennent souvent au peuple et désignent parfois, le peuple...
"La canaille" désigne la "vile populace", le petit peuple souvent méprisé par les grands de ce monde...
"La marmaille" s'applique à un groupe d'enfants souvent modestes, pauvres, sans ressources.
J'aime ces mots familiers et populaires, j'aime leurs éclats, leur gouaille !
La canaille est pourtant un terme à l'origine péjoratif : formé sur le mot latin "canis", le chien, ce terme renvoie au monde animal, par l'emploi de ce mot, l'homme est ravalé au rang d'un animal, méprisé, avili...
Ce terme plein d'expressivité dans son radical, avec le suffixe -aille dit l'essentiel : un certain mépris pour le peuple, la piétaille !!
Bien sûr, il existe, aussi, de vraies "canailles", des bandits, des escrocs de bas étage : eux méritent le mépris et le rejet....
Ce mot oscille entre sympathie et dégoût : formation populaire, il fait tout de même résonner la voix du peuple, on entend ce langage haut en couleurs qui est celui du peuple !
"Bafouille, bâfrer, bastonner, cagnard, clébard, emmouscailler, décarcasser... flicaille, rouste, mariole, mouscaille, etc."
Que de mots évocateurs ! On aime ces sonorités familières, ce verbe populaire, celui de Céline et de Rabelais...
On apprécie ce parler qui rayonne, qui nous charme de mots différents : on perçoit, là, une vraie inventivité dans les suffixations, les sonorités....
Ces mots chantent, et disent la voix du peuple.
Ces mots reflètent aussi les difficultés du peuple déconsidéré, mis à mal, déprécié...
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2021/05/moutons-canaille-sotte-espece.html
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