Taux d’hospitalisation, de mortalité, d’asymptomatiques, chiffres sur le Covid-19 : il y a des médecins généralistes en France
Le 23 avril 2020, le syndicat de médecins généralistes MG France publiait les résultats d’une enquête sur le Covid-19 menée sur une semaine, auprès de 2339 médecins généralistes. En terme de santé publique, cette enquête permet de dégager des indicateurs chiffrés concernant les hospitalisations, les décès et les porteurs asymptomatiques. Des mises en perspectives sont proposées, particulièrement concernant le taux d’infection dans la population. Parallèlement l’enquête sérologique EpiCOV est lancée.

EpiCOV.
Le 27 avril 2020 l’Inserm lance le projet EpiCOV[1]. Le départ est donné le 30 avril 2020[1][2].
Après la trentaine d’études « visant à » développer des traitements contre le Covid-19[3] et les essais cliniques de prophylaxie[4], en pleine période de pandémie, on se dit que décidément les choses vont trop vite en France.
EpiCOV est un projet destiné à pouvoir « conseiller les autorités sur la gestion du virus » [2]. L’urgence est donc à la gestion. Ce projet est une « grande enquête nationale sur le taux d'immunité des Français ». Plus loin dans le même article nous apprenons que « l’originalité de la France est de faire une double enquête, de mêler la science médicale et la science sociale. […] Les chercheurs veulent aussi avoir des données sur la façon dont le confinement change le quotidien des Français : comment gagnent-ils leur vie, comment mangent-ils, ont-ils de nouvelles maladies, ont-ils de nouvelles relations ? ». Effectivement la France est assez originale.
On décide de remonter à la source afin de mieux comprendre. Le titre est éloquent : « EpiCOV : Connaître le statut immunitaire de la population pour guider la décision publique » [1]. On ne commentera pas le besoin de guider[4b][4c][4d][4e]. On lit : « Ce projet permettra d’éclairer les dimensions spatiales, temporelles, sociodémographiques et familiales de l’épidémie et des mesures de confinement. ». Tout devient plus clair… ou pas.
Quant au calendrier de l’étude : « La collecte des données est prévue du 30 avril au 24 mai pour la première vague, et une deuxième vague se déroulera en juin. »
En attendant les résultats, on se dit que l’on pourrait bien être volontaire pour participer à une autre enquête de l’Inserm, institut dont le slogan est « La science pour la santé ». Nous avons le choix, au menu[5] :
« Alcool et drogues : la pandémie a-t-elle changé vos consommations ? »
« La situation de confinement change-t-elle notre rapport au temps ? »
« Quelle est notre perception individuelle du confinement, selon notre âge ? »
« Comment nos contacts ont-ils changé avec le confinement ? »
« Le confinement modifie-t-il notre sommeil et nos rêves ? »
« Le confinement nuit-il à l’attention ? »
« Comment la perte de l’odorat et du goût affecte-t-elle la qualité de vie ? »…
Cette liste n’est pas exhaustive.
On peut choisir de s’occuper autrement.
On se souvient d’avoir laissé traîner sur le bureau quelques multiplications et divisions inachevées[6]… Reprenons nos notes…
Une enquête auprès de 2339 médecins généralistes.
Le 23 avril 2020 le syndicat de médecins généralistes MG France annonçait « 1,8 million de patients soignés en ville » et « 9000 décès » [7]. Le contenu du communiqué précise : « 1,8 million de personnes consultant pour Covid en médecine générale depuis le 17 mars, 340 000 durant la semaine du 6 au 12 avril, près de 9 000 décès en ville en rapport avec le virus »[8].
Ces statistiques proviennent d’une « enquête […] réalisée par MG France entre le 14 et le 21 avril, à laquelle 2339 médecins généralistes ont répondu. »[9][10]. À partir de l’enquête, des estimations à l’échelle de la France « ont été réalisées en extrapolant département par département les réponses obtenues dans les 95 départements métropolitains ». Les estimations calculées et publiées par MG France coïncident peu avec les données affichées par le ministère de la santé[6][11], concernant le nombre de patients hospitalisés et le nombre de sorties d’hospitalisation :
Un second traitement (par normalisation) des données brutes collectées par MG France a été proposé[6]. Le tableau ci-dessous résume une partie des résultats obtenus (résultats bruts de l’enquête, estimations par MG France suite à l’enquête et estimations normalisées) :
Sans revenir sur la communication autour des résultats et les premières conclusions que MG France auraient pu (dû ?) tirer[6], on se dit qu’en terme de santé publique, d’autres indicateurs chiffrés pourraient être sortis de cette enquête et la valoriseraient. Il s’agit tout de même d’un travail sur 2339 médecins de terrain répartis sur tout le territoire.
Taux d’hospitalisation.
On doit toutefois remarquer que tous les patients Covid-19 ne sont peut-être pas nécessairement en contact avec un généraliste. Néanmoins lorsque MG France annonce un chiffre de l’ordre de grandeur du million de patients (en laissant de côté ceux qui ont consulté avant le 17 mars…), les 95403 cas confirmés affichés par le ministère semblent susceptibles d’induire des incertitudes qui ne seront que de l’ordre de quelques pourcents. De plus, un autre syndicat de généralistes (UFML) déclare par ailleurs que 95 % des patients Covid-19 sont gérés en médecine de ville[12][13]. Enfin, les consignes à la population face aux premiers signes de la maladie sont d’appeler son médecin[14]. Afin de simplifier les calculs le nombre de patients présentant un tableau clinique Covid-19 sera assimilé grossièrement au nombre de patients rencontrés par les généralistes.
Suite à l’enquête de MG France, on pourrait proposer un taux d’hospitalisation calculable à partir des résultats bruts de l’enquête (et non des estimations avant ou après normalisation) : 4530 hospitalisations recensées pour 68453 tableaux cliniques déclarés, soit un taux de 6,6 %. Ce taux (rapporté à des patients présentant un tableau clinique caractéristique) pourrait être mis en perspective avec le taux de 5,3 % relatif à une étude française[15][16] (menée sur un cluster probablement assez peu représentatif de la population française[16b]) ou celui de 5,4 % d’une étude réalisée au Brésil[17][18]. Cette deuxième étude porte sur des patients présentant un tableau clinique de type Covid-19.
Le taux de l’étude française est relatif à un cluster de population et est calculé par rapport à la population présentant une réponse sérologique (anticorps) positive[16]. Par ailleurs, l’étude détermine un taux d’asymptomatiques dans ce cluster de 17 %. En tenant compte de cette proportion d’asymptomatiques, cela donnerait un taux d’hospitalisation de 6,3 % rapporté aux personnes présentant des symptômes.
Taux de décès.
En ce qui concerne le vocabulaire des taux, entre langage usuel et langage de technicien, les termes peuvent se mélanger. On peut parler de taux de mortalité, de létalité, de morbidité[18b]… Ces taux peuvent être réels ou apparents[18c][18d]. Certains se rapportent aux personnes atteintes[18e], mais entre les personnes infectées et les tableaux cliniques constatés, les porteurs asymptomatiques compliquent les équations[18f].
À partir des résultats de l’enquête de MG France on pourrait proposer un taux de décès relatif aux tableaux cliniques constatés. Si on calcule ce taux à partir des estimations faites par MG France, à la date du 12 avril la France compterait 14393 + 9000 décès pour 1,8 million de patients, soit un taux de mortalité (décès) de 1,3 %. Si on calcule ce taux à partir des estimations normalisées nous aurions 14393 + 4500 décès pour 910000 patients, soit un taux de 2,1 %. Ces taux pourraient être mis en perspective avec ce qui a déjà été publié. Les taux publiés placeraient le plus souvent « la proportion moyenne des décès (parmi les cas confirmés) à plus de 2 % […] Ainsi, une vaste analyse publiée le 24 février par des chercheurs chinois dans la revue médicale américaine Jama évaluait le taux moyen de mortalité à 2,3 %. »[19][20]. Ce taux semble porter sur des cas confirmés. Les taux publiés peuvent descendre jusqu’à 1,38 %[19][21]. Ces valeurs sont liées à des études où des tests étaient pratiqués. Mais nos généralistes ne peuvent pas avoir cette information, peu de patients non hospitalisés sont testés[6]. Ceci nous ramène au cruel manque de tests[4c][21b][21c][21d]. Dès lors on ne peut estimer qu’avec les moyens du bord, et les moyens sont maigres…
Taux d’infection de la population.
On pourrait comparer ces résultats au travail présenté par l’institut Pasteur le 21 avril 2020[22][23][24]. Dans cette étude les paramètres sont : un taux d’hospitalisation de 2,6 % pour les personnes infectées (statistiquement compris entre 1,1 et 4,4 %), un taux de mortalité pour les personnes infectées de 0,53 % (compris entre 0,28 et 0,88 %) et un taux d’infection de la population prédit pour le 11 mai de 5,7 % (compris entre 3,5 et 10,3 %). Entre les « infectés » et les personnes présentant un tableau clinique, les porteurs asymptomatiques troublent toujours la donne.
Le taux d’infection de la population de 5,7 % (arrondi à 6 %) a déjà fait le tour des médias. Ne citons pas les médias qui ont oublié qu’il était proposé pour la date du 11 mai 2020. L’institut Pasteur lui-même arrive à écrire sur une même page « 6% des Français ont été infectés » et « 6% de la population française aura été contaminée » [22]. Certains s’emmêlent et présentent pour ce taux une fourchette de 6 à 10 % (de la valeur moyenne à la borne supérieure)[2]. En période d’épidémie, le buzz se fait aussi viral et pandémique.
Toutefois les courbes présentées par l’institut Pasteur évoluent peu entre la mi-avril et le 11 mai[24][*]. Tout le monde s’est bien rendu compte qu’il y a de moins en moins de nouvelles personnes infectées…car le déconfinement arrivait[3]…et le confinement fonctionnait[25]…
La modélisation a depuis fait l’objet d’une mise à jour publiée le 13 mai 2020[25b][25c]. On peut lire désormais : « le risque d’hospitalisation est de 3,6% pour les personnes ayant été infectées par le SARS-CoV-2. Le taux de mortalité chez les personnes infectées est de l’ordre 0,7% ». Mortalité ou létalité ? L’usage du vocabulaire semblerait aussi délicat pour l’Institut Pasteur[25d]. Quant au taux d’infection pour la population il passerait en moyenne à 4,4 % (se situant entre 2,8 et 7,2 %[25c] ou entre 3 et 7 %[25b] selon les arrondis).
Si on considère les 3 taux utilisés par l’institut Pasteur à la date du 21 avril, pour une population de près de 67 millions d’habitants en France, le 11 mai (ou le 12 avril donc, cf [*]) cela donne ainsi 3,8 millions de personnes infectées, 99000 hospitalisés et 20000 décès. Cette dernière valeur est manifestement sous-estimée car déjà dépassée (voir image ci-après). Le couple de valeur 5,7 % / 0,53 % (infectés/mortalité-létalité) ne fonctionnait donc pas très bien, ce qui était déjà visible sur le nombre de décès au 21 avril [11] :
Le nouveau couple 4,4 % / 0,7 % proposé le 13 mai conduirait à environ 20000 décès également. On peut remarquer que les chiffres clés affichés par le ministère de la santé avaient dépassé 26000 décès à la date du 11 mai 2020[11] sans tenir compte des décès à domicile[6][25e]. Toutefois les valeurs hautes proposées pour ce couple 7,2 % / 1,0 %[25c] laissent aller la « marge » jusqu’à 48000 décès…
Concernant le taux d’infection de la population, la dernière modélisation faite par l’Institut Pasteur le positionne à 4,4 % (compris entre 2,8 et 7,2 %[25c]). On peut lire des valeurs de 2 % pour des pays étrangers où l’on teste beaucoup (Corée du Sud, Allemagne ou Israël) [16b][25f]. L’IHU de Marseille présente des valeurs de 3,1 %[25g][25h] à 3,5 %[25i][25j][25k]. Rappelons que l’IHU procède à des mesures sérologiques[25l][25m].
Taux de porteurs asymptomatiques.
Par ailleurs, sur la thématique de la proportion de population infectée, une modélisation réalisée par l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement) a été publiée le 8 mai 2020[18c][18d][25n]. Elle indique que le nombre de cas infectés en France serait 8 fois (entre 5 et 12 fois) supérieur au nombre de cas observés.
Ce résultat transposé à la date du 12 avril 2020 où 95403 cas étaient décomptés positifs donnerait 760000 (entre 480000 et 1100000) cas infectés. Ceci irait dans le sens des 910000 tableaux cliniques estimés (après normalisation) à partir de l’enquête de MG France[6]. Cette étude de terrain sur 2339 médecins généralistes nous indiquerait de ce fait que le nombre de tableaux cliniques rencontrés serait 9,5 fois le nombre de cas confirmés figurant dans les chiffres clés.
Considérons les chiffres clés relatifs au 19 mai 2020[11] :
Ils indiquent 143427 cas confirmés. En appliquant le facteur multiplicatif 9,5 précédemment évalué cela nous donnerait environ 1,4 million de tableaux cliniques Covid-19 constatés. Retenons un taux de personnes infectées dans la population de 3,5 %[25i][25j][25k] (qui semble correspondre à une valeur mesurée, et non modélisée, se situant dans la zone médiane de la fourchette 2 %[16b] – 4,4 %[25c]). Ceci nous donnerait 1,4 million de tableaux cliniques pour 2,3 millions de personnes infectées soit une proportion d’asymptomatiques en France de 42 %.
Pour l’instant ce taux d’asymptomatiques est très variable selon les situations évaluées. On peut trouver 17 %[16] comme 96 %[25o].Toutefois une valeur indicative de 40 % semblerait se dégager[25o][25p].
Même si ces indicateurs chiffrés sont calculés à la louche, ils proposent une exploitation des données relatives à l’enquête de terrain réalisée par MG France sur une semaine, auprès de 2339 médecins généralistes. Faute de grives…
Une enquête sérologique.
Concernant le taux d’infection de la population, l’Inserm l’évaluerait entre 1 % et 6 % (à la date du 5 avril)[26]. La valeur de 10 % a également été évoquée[26].
Pour essayer de connaître ce fameux taux d’infection, on peut clairement penser que l’enquête sérologique EpiCOV a du sens. Un peu de recherche fondamentale ne ferait peut-être pas de mal ma foi…
En attendant les résultats de l’étude EpiCOV on a cherché à s’occuper.
Il est temps de ranger les tables de multiplication et d’aller se coucher.
« Le confinement modifie-t-il notre sommeil et nos rêves ? »
Précédentes tribunes :
Covid-19 : et si la France faisait confiance à ses généralistes ?
Covid-19 : que penser des essais cliniques avec groupe placebo en période d’épidémie ?
Marre d’avoir peur du Covid-19
[3] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/covid-19-masques-azithromycine-223575
[4] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/covid-19-azithromicyne-teste-en-223380
[4b] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/didier-raoult-collectif-laissons-223946
[4c] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/cheque-niouze-le-docteur-robinson-224170
[4d] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/covid-19-et-soignants-des-ovations-224403
[4e] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/marre-d-avoir-peur-du-covid-19-224478
[6] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/enquete-d-un-syndicat-de-medecins-223852
[9] https://www.mgfrance.org/actualites/2541-enquete-covid-2e-volet
[10] https://www.mgfrance.org/images/actualites/COVID/resultats-enquete-covid-v2.pdf
[13] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/monsieur-le-president-n-oubliez-pas-les-medecins_143589
[14] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/spf0b001001_coronavirus_signes_benins_400x600_fr_md.pdf
[16] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.18.20071134v1
[17] https://twitter.com/raoult_didier?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor
[18] https://www.dropbox.com/s/5qm58cd4fneeci2/2020.04.15%20journal%20manuscript%20final.pdf?dl=0
[20] https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2762130
[21] https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S1473-3099%2820%2930243-7
[21b] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-traitement-precoce-du-covid-19-224377
[21c] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/confinement-mesure-sanitaire-ou-222478
[21d] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/ce-n-est-pas-de-confinement-222712
(plusieurs fois consulté depuis fin avril 2020)
[23] https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-02548181
[24] https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-02548181/document
[25] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/antibiotiques-azithromycine-223696
[25c] https://science.sciencemag.org/content/early/2020/05/12/science.abc3517
[25e] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/estimations-des-deces-lies-au-224288
[25f] https://pgibertie.com/
[25g] https://www.mediterranee-infection.com/point-sur-lepidemie-risque-t-on-vraiment-une-deuxieme-vague/
[25h] https://www.youtube.com/watch?v=FcvDi6tjldk&t=292s
[25j] https://www.mediterranee-infection.com/comparaison-des-courbes-epidemiques-selon-villes-et-pays/
[25k] https://www.youtube.com/watch?v=Sc1-JBX2y70&t=417s
[25m] https://www.mediterranee-infection.com/wp-content/uploads/2020/05/Lire-larticle.pdf
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