UNIROSS : un nouveau cas d’école ?
Crédit Lyonnais, Enron, ou Lehman Brothers, sont des noms qui résonnent pour vous comme une insulte aux principes de bonne gouvernance ? Gemplus ou Synodys vous rappellent tristement que des technologies de pointe françaises sont désormais la propriété de puissances étrangères, à la suite d’opérations orchestrées de main de maître par leurs services de renseignement ? Alors attendez-vous à entendre parler d’Uniross d’ici les prochains jours...
Le cas de cet emblème du savoir-faire français crée le buzz aussi bien sur les tribunes indépendantes que sur les sites « sentinelles » (journalisme citoyen, veille stratégique…). La blogosphère n’est pas en reste, un vent de mobilisation souffle sur ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Uniross ».
Uniross est le leader européen de la fabrication de piles et de batteries rechargeables, et a su malgré son indépendance, entrer dans le Top 3 mondial. L’entreprise a tout d’une véritable « success story » bien de chez nous : elle a été rachetée par sa propre équipe dirigeante en 2001, dans une période de difficultés et de restructuration interne, tandis que son propriétaire de l’époque souhaitait s’en séparer pour reconfigurer son portefeuille d’activités. Les managers d’alors montent une opération de LBO et se lancent dans l’aventure du rechargeable grand public.
Malgré la frilosité de certains investisseurs institutionnels, l’entreprise double son chiffre d’affaires en un an, pour atteindre des sommets de performance : son chiffre d’affaire annuel a été multiplié par cinq en seulement six ans ! Ces résultats s’expliquent notamment par un effort d’innovation sans relâche, qui a permis à la société de lancer le développement d’une technologie inégalée de pile à combustible en partenariat avec le CEA.
Seulement voilà : dès le début de l’année 2008, la crise financière fait des petits. Tandis que certains investisseurs d’Uniross font faillite, l’entreprise cherche en vain des financements provisoires en vue de procéder au lancement de ses nouveaux produits et de compenser, accessoirement, la hausse des cours du nickel. Mais d’après les nombreuses informations qui circulent, ses banquiers font la sourde oreille et, pis encore, exigent le remboursement de sommes colossales sur une période déraisonnablement courte.
Voici donc l’entreprise placée sous procédure de sauvegarde. Mais celle-ci ne règle pas le problème sur le fond, Uniross risque d’être placée début décembre en liquidation judiciaire. L’incompréhension touche aussi bien Christophe Gurtner, son PDG, que le simple journaliste citoyen que je suis. Encore que… A la lumière du faisceau d’indices, l’affaire n’est peut-être pas qu’une histoire de crise financière.
Malgré 30% de croissance par an, le développement de technologies clés pour la France, et un vaste réseau de distribution international, le titre Uniross a perdu 80% de sa valeur depuis le début de l’année. Il n’en faudrait guère plus pour que l’animal blessé n’attise la convoitise du chasseur peu « fairplay » ! Et le chasseur potentiel pourrait bien être l’un de ses principaux concurrents chinois, puisque la PME française a su conquérir la seconde place sur le marché asiatique au nez et à la barbe des géants régionaux. On ne peut que s’étonner de la rayonnante passivité des banques, à l’heure où certains fonds d’investissement prédateurs disposent des fonds propres suffisants pour se porter acquéreurs de la promotion exceptionnelle de l’année !
Une chose est certaine : une mise en liquidation judiciaire d’Uniross arrangerait certains financiers, ou devrais-je dire commerçants, dont la vocation n’est apparemment plus le financement de notre économie, mais la réalisation de marges sur des opérations d’achats-reventes. Par la même occasion, nul doute que le principal concurrent d’Uniross, un géant chinois, verrait en cette opération de braderie une immanquable occasion de faire coup double : racheter un concurrent devenu gênant, et s’accaparer -sans effort insurmontable-, une technologie française de pointe qui sera peut-être demain le cœur de nos véhicules propres. Je ne rapporte même pas la campagne de rumeurs qu’a subi le PDG d’Uniross, comme le rapportent certains articles du Net. Celles-ci auraient eu pour effet d’empêcher le jeune dirigeant de convaincre de nouveaux investisseurs éventuels !
Je conclurai donc en m’interrogeant sur quatre points. D’abord, l’annonce faite hier chez DAHER par le Président de la République est la bienvenue, mais on l’aurait souhaitée plus diligente. Le fonds stratégique d’investissement devrait être opérationnel courant décembre, mais sera-t-il encore temps de sauver Uniross ? Ensuite, peu de temps après le Grenelle de l’environnement, comment est-il concevable que rien ne soit fait pour protéger ces technologies dites sensibles, dans la mesure où elles concernent directement la souveraineté technologie et l’indépendance énergétique de notre pays ? Par ailleurs, comment se fait-il qu’en plein cœur de la crise financière, dont on sait qu’elle fait le bonheur des poches encore bien remplies, on n’ait jamais autant parlé de dépénalisation des affaires financières ? Pour terminer, où passent les centaines de milliards d’euros garantis par nos propres économies au bénéfice des banques ? Elément de réponse : les banques ne financent plus nos entreprises, mais le Wall Street Journal faisait mention il y a quelques jours de la volonté de BNP Paribas de racheter une banque de détail russe…
Uniross n’est qu’un cas parmi d’autres. Bien des entreprises saines, performantes et innovantes subissent aujourd’hui un incompréhensible décrochage entre la finance et les résultats de l’économie dite réelle. Notre société fait face à une double crise : non seulement il nous incombe de comprendre pour mieux réguler et, le cas échéant, assainir le système. Mais de surcroît, il nous faut désormais veiller à ce que les rôdeurs de la finance ne profitent pas de cette période d’errements pour piller un patrimoine technologique national, fruit d’intenses efforts de recherche, d’investissements conséquents, et parfois d’implications personnelles lourdes !
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