Comprendre l’emprise : la relation « en-pire »
« Le sentiment de notre existence dépend pour une bonne part du regard que les autres portent sur nous : aussi peut-on qualifier de non humaine l’expérience de qui a vécu des jours où l’homme a été un objet aux yeux de l’homme ». [Primo LEVI, « Si c’est un homme », 1947.]
Certains d’entre vous l’auront probablement compris, le petit jeu de mots de ce titre évoque l’Empire comme souvent cité par celles et ceux qui dénoncent l’avènement d’un nouvel ordre mondial, mais là n’est pas le sujet de cet article. Quoique…
Le vingtième siècle a été marqué par des crimes contre l’humanité perpétrés par des « foules[1] » sous l’emprise de leurs dirigeants. Il restera dans l’histoire comme un triste exemple des systèmes totalitaires déployés sur des nations tout entières. Mais l’emprise est un procédé de domination sur autrui qui ne se manifeste pas uniquement à l’échelle d’un pays.
Étymologiquement « empire » et « emprise » sont de même origine. Leurs définitions respectives données par le CNRTL sont très proches l’une de l’autre et ces deux termes appartiennent à la famille vocabulaire du verbe transitif « prendre » et de ses participes passés et adjectifs « pris, prise ». Cette similitude révèle le caractère universel du concept de relation d’emprise pour peu que nous gardions constamment à l’esprit la notion de gradualité (fréquence, intensité et durée) qui y est afférente (nous sommes tous sous emprise à un degré ou un autre).
L’utilité de cette approche est très simple : comprendre les mécanismes en œuvre dans une relation d’emprise permet de s’en déprendre et donc, dans un certain sens, de reprendre le contrôle de notre libre arbitre qui, contrairement à certaines croyances, ne nous est pas acquis, mais doit être conquis.
Qu’est-ce qu’une relation d’emprise ?
Définitions :
Nous devons ce concept à Roger DOREY qui l’introduisit dans le champ psychanalytique en ces termes : « Une double constatation s’impose d’emblée lorsqu’on prend en considération la notion d’emprise. D’une part on observe, en parcourant la littérature psychanalytique, qu’un nombre relativement limité de travaux y font référence et le plus souvent d’ailleurs de manière assez confuse. D’autre part, et en opposition avec cette remarque, on est réellement saisi par l’importance clinique de tout ce qui peut être cerné comme gravitant autour de ce pôle que nul autre concept ne permet de traduire de façon satisfaisante. Par la manière même dont il a introduit cette dimension dans le champ analytique, FREUD, certainement, n’est pas totalement étranger à cet aspect des choses. Il voit en effet dans l’emprise la finalité d’une pulsion spécifique, non sexuelle, d’abord rattachée à la cruauté infantile puis au sado-masochisme, enfin, à partir de 1920, à l’action proprement dite de la pulsion de mort. Or, tout donne à penser que cette pulsion d’emprise (Bemächtigunstrieb) est une notion très ambiguë qui rend compte de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons sur le plan conceptuel. Il semble bien que la notion ne puisse trouver de véritable fécondité que si l’on considère l’emprise comme un mode très singulier d’interactions entre deux sujets, qui ne se réduit pas à l’activité d’une seule tendance, mais correspond à un agencement complexe de la relation à l’autre, dont la dynamique pulsionnelle reste entièrement à préciser. C’est dire que l’emprise ne prend son plein sens que dans le champ de l’intersubjectivité et que c’est là, précisément, qu’elle doit être abordée, à savoir en tant que “relation d’emprise” »[2].
Ce texte datant de 1981 a entraîné de nombreuses réflexions et développement qui ont contribué à sortir la psychanalyse de son champ d’investigation privilégié (i.e. l’intrapsychique) pour le confronté à l’interpsychique (les liens intersubjectifs qui se tissent dans les familles, les groupes ou les institutions) comme en avaient déjà pris l’initiative, en France, quelques chercheurs regroupés en associations telles que celles du Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale et de la Société Française de Thérapie Familiale Psychanalytique rapprochant (« re-liant ») ainsi la psychanalyse de la sociologie initiée par Gustave LE BON. Ce qui ne fut pas du goût de certains et notamment des « puristes » de la discipline[3].
Cette annotation me permet de donner une définition correspondant aux descriptions les plus récentes de la relation d’emprise : « L’emprise est une relation de soumission de l’autre, considéré comme une simple chose. Elle s’établit au moyen de manipulations et de stratégies « perverses » plus ou moins subtiles qui se déploient dans les dimensions interpersonnelles, familiales, institutionnelles, sociales et politiques. Elle constitue toujours un meurtre ou une tentative de meurtre psychique, le plus souvent symbolique, commis parfois pour la « bonne cause »… lorsque l’autoritarisme, qu’il ne faut pas confondre avec l’autorité bien comprise contenue dans des règles démocratiquement admises, constitue une valeur familiale ou sociale partagée. Les stratégies d’emprise peuvent être utilisées par les personnes mal traitantes dans une dimension perverse et dans la répétition de maltraitances transgénérationnelles »[4].
Entre temps, dans un dialogue avec Paul DENIS[5], Roger DOREY avait pris soin de préciser son concept : « Dans la relation d’emprise, il s’agit toujours et très électivement d’une atteinte portée à l’autre en tant que sujet désirant qui, comme tel, est caractérisé par sa singularité, par sa spécificité propre. Ainsi, ce qui est visé, c’est toujours le désir de l’autre dans la mesure même où il est foncièrement étranger, échappant, de par sa nature, à toute saisie possible. L’emprise traduit donc une tendance très fondamentale à la neutralisation du désir d’autrui, c’est-à-dire, à la réduction de toute altérité, de toute différence, à l’abolition de toute spécificité ; la visée étant de ramener l’autre à la fonction et au statut d’objet entièrement assimilable ».
Par la suite, bien que cette notion reste relativement mal comprise des professionnels et du grand public, de nombreux chercheurs tels que, par exemple, Boris CYLRUNIK, ont pu en décrire le but et les principes : « Dans la relation d’emprise, c’est bien simple : l’un des deux, pour son profit ou son plaisir, néantise le monde mental de l’autre. S’il néantisait le monde physique de l’autre, nous n’aurions pas de peine à nommer « crime » une telle relation. Mais pour le monde mental, il a fallu de longs débats, pour comprendre que la néantisation du monde mental d’un autre est un crime dont il faut analyser les processus de destruction et de reprise de néo-développement résilient »[6].
Pour le psychiatre Cédric ROOS, auteur d’une étude exemplaire portant sur une analyse pluridisciplinaire du sujet : « La relation d’emprise est un phénomène universel et ubiquitaire, écueil sournois et redouté qui menace toute relation humaine. L’interaction de deux ou plusieurs individus ou groupes d’individus, dans quelque milieu que ce soit, peut en effet conduire à une relation d’emprise. Celle-ci peut s’exercer, entre autres, au travers d’un pouvoir totalitaire en politique, par l’entremise de la propagande dans les médias, les dérives sectaires des religions, mais aussi dans les entreprises, les institutions, les familles, les couples et dans la sexualité à travers les situations de harcèlement, de maltraitance, d’inceste, d’abus sexuel… »[7].
Selon ces quelques définitions, nous pouvons subsumer sans peine que la relation d’emprise est une relation établie sur un mode asymétrique dominant/dominé. L’escroquerie du premier consistant alors à faire croire au second que nous bénéficions tous des mêmes droits et privilèges alors que dans les faits il se comporte comme si « tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres »[8]. La relation d’emprise interdit toute possibilité de reconnaissance de « l’altérité », de l’autre distinct de soi, tout en le maintenant soumis au groupe, prisonnier et esclave. Véritable main basse sur l’esprit, elle s’établit sur la base d’une communication déviante non repérée comme telle, qui a cours dans les organisations collectives de type « clanique » (désigné aussi sous les termes de « clientélisme » ou encore de « communautarisme ») dont l’exemple le plus évident est celui de la secte, mais que certaines familles (dites « ordinaire »), des organisations ou « réseaux » (d’influence), etc. peuvent également imiter.
Toutefois, la compréhension d’une relation d’emprise et de ses conséquences délétères sur la psyché humaine (« meurtre psychique ») ne saurait être réduite à une cause unique (la communication paradoxale, déviante ou perverse et ses corolaires qui sont la mystification et la disqualification). Une analyse plus approfondie de la nature de ce type de rapports à autrui peut nous permettre de mieux appréhender ce schéma relationnel qui incite « l’homme à être un loup pour l’homme » (bien que cette métaphore donne du loup, animal social par excellence, une image qui ne lui sied guère).
Les caractéristiques d’une relation d’emprise[9] :
Trois dimensions complémentaires caractérisent la relation d’emprise dont la spécificité correspond à trois courants sémantiques issus du terme « emprise » qui sont : le sens ancien (1), utilisé en droit, le sens commun (2) et le sens étymologique (3).
(1) La première dimension évoque l’idée de prise, de capture ou encore de saisie qui, en langage juridique, désignait une atteinte portée par l'administration à la propriété privée immobilière, comportant une prise de possession régulière ou irrégulière. Il s’agit donc d’une action d’appropriation par dépossession de l’autre ; c’est une mainmise, une confiscation représentant une violence infligée et subie qui porte préjudice à autrui par empiètement sur son domaine privé, c’est-à-dire par réduction de sa liberté.
(2) La deuxième dimension, inséparable de la précédente, est celle de l’ascendant intellectuel ou moral exercé par quelqu'un ou quelque chose sur un individu. Autrement dit, elle introduit la notion de domination dans la relation d’emprise. Ce second courant sémantique suggère l’exercice d’un pouvoir suprême, dominateur, voire tyrannique par lequel l’autre se sens subjugué, contrôlé, manipulé, en tout état de cause maintenu dans un état de soumission et de dépendance plus ou moins avancé.
(3) Et enfin, la troisième dimension apparaît comme la conséquence ou la résultante des précédentes, laquelle va inscrire une trace, l’impression d’une marque, chez la personne « emprisée » qui dès lors perd son statut de sujet pour être reléguée à celui d’objet. Celui qui exerce son emprise grave son empreinte sur l’autre, y dessine sa propre figure.
A noter que pour Reynaldo PERRONE et Martine NANNINI[10], abordant la relation d’emprise sous l’angle du courant systémique des thérapies familiales, ce rapport à autrui est marqué par trois pratiques relationnelles spécifiques, qui sont : l’effraction, la captation et la programmation ; dont les définitions données par leurs auteurs expriment le moyen par lequel une personne est spoliée de son libre arbitre, de son intégrité psychique et de sa dignité. L’appropriation-dépossession se fait par effraction ; la domination s’opère par captation afin de gagner la confiance de la (ou des) personne-s visé-e-s, fixer son attention et la priver de sa liberté ; et enfin la programmation est le procédé par lequel une personne est marquée du « sceau » de son agresseur (son empreinte).
Ces diverses approches renseignent sur le pourquoi et le comment de l’emprise qui, dans le cadre des relations interindividuelles, ne s’expriment pas de but en blanc. Pour asseoir son pouvoir sur autrui et rallier le plus d’affidés à sa cause, « l’empreneur[11] » (« l’emprenant » ou « l’empriseur[12] ») élaborera minutieusement diverses stratégies d’emprises et les mettra en place graduellement tout en prenant soin de ne pas dévoiler ses véritables intentions. C’est ce que nous allons maintenant disséquer en gardant à l’esprit qu’entre une personne et un groupe, seul diffère le degré (fréquence, intensité et durée) de la mise sous emprise.
De la prise à l’emprise :
« Par définition, la dynamique s’insinue par paliers successifs, souvent impossible à repérer à l’œil nu. En fait, sa progression est plutôt circulaire avec des allers-retours constants entre les forces en jeu et par intégration progressive des étapes franchies (Nda : d’où le décervelage qui en résulte). Le plus souvent l’onde de choc est beaucoup plus large qu’il n’y paraît et les personnes impliquées beaucoup plus nombreuses qu’on pense : enfants d’un couple, collègues de travail, club de sportifs, groupe de jeune… Et cette spirale absorbe tous les acteurs, victimes comme bourreaux, personne n’échappe à sa toxicité, personne n’en sortira indemne. »[13]
La relation d’emprise se développe par assimilation et « incorporation » (engramme), mais pour que le mouvement s’amorce, il faut un « fait » générateur qui l’impulse.
Cette première étape repose sur la séduction et c'est essentiellement grâce à elle que « l'empriseur » s'attire les faveurs de sa cible (personne ou auditoire) : « il s'agit d'une véritable action de séparation, de détournement, de conquête qui parvient à ses fins par l'étalement de ses charmes et de ses sortilèges, c'est-à-dire par l'édification d'une illusion dans laquelle l'autre va s'égarer. Cette séduction, en fait, prend valeur de fascination »[14]. Elle aurait pour fonction de subjuguer les « emprisés » et d’enflammer les foules (ou le cœur d’un « partenaire » en situation de couple). Cependant, cette séduction est à sens unique : « l'empreneur » cherche à « ensorceler » son « objet » sans se laisser piéger par l'attraction que ce dernier pourrait exercer sur lui.
Lorsque les personnes sont suffisamment engagées dans la voie tracée par l’instigateur de la relation d’emprise, l’emploi de la force peut succéder à celui de la séduction et le système devient alors autonome. Mais en cas de « rébellion », les périodes de séduction peuvent réapparaitre. C’est donc par une alternance de phases de séduction et de violence que croît la relation d’emprise. Les personnes soumises à ce traitement sont « sidérées[15] » et n’ont pas d’autres choix que de répondre à cette situation en développant des stratégies d’adaptation pour réduire leur état de stress à un niveau acceptable (ou supportable). L’état de sidération a pour conséquence d’entrainer une dissociation mentale interdisant aux personnes « dissociés » d’analyser et de comprendre la situation afin de trouver solution et délivrance.
La relation d’emprise se clive et devient circulaire entraînant tous ses acteurs vers une régression qui, dans certains cas, devient dramatique puisqu’elle équivaut à un « meurtre psychique » quand elle ne finit pas par un véritable meurtre ou un suicide.
Cette séduction n’est cependant opérationnelle que si l’interdit de pensée est implicitement posé par l’usage d’une rhétorique particulière. Tout en admettant qu’il soit très difficile de cerner le déclenchement des processus générant une relation d’emprise, et, plus encore, toutes les raisons qui l’ont orchestrée, Geneviève PAYET nous indique que « le problème réside au cœur même de la dialectique perverse qui s’est construite » entre le dominant et le dominé, entre « celui qui impose et celui qui subit ». Cette dialectique perverse n’est ni plus ni moins que la communication paradoxale (déviante ou perverse, selon les auteurs) que j’ai longuement présentée lors de mon précédent article[16].
Comprendre ce qu’implique une relation d’emprise dans toute son étendue nécessite de réunir des connaissances et des compétences issues de divers horizons. La principale difficulté de la tâche consistant à percer le code lexical propre à chacune des disciplines invoquées afin d’en faire ressortir les liens qui les unissent plutôt que de se concentrer sur leurs différences. Il suffira alors de réduire les positions paradoxales en les explicitant pour ne garder que ce qui est cohérent. Ce n’est qu’ainsi que, comme a très bien su le faire Cédric ROOS, nous pouvons être à même d’observer « ses paliers successifs difficiles de voir à l’œil nue » se dérouler sous nos yeux, et ce dans des dimensions aussi différentes que celle du couple, des groupes, des institutions ou des nations.
En résumé :
« La relation d’emprise obéit à des règles communicationnelles singulières qui prédisposent la personne sous emprise en paralysant ses défenses (Nda : j’ai largement décrit les contours de cette communication dans la première partie de cet article). Elle vit la relation dans une sorte d’état second, de rétrécissement de la conscience. Confuse, elle perd tout sens critique ce qui permet chez elle la coexistence paradoxale d’un non-consentement et d’une acceptation (Nda : cette coexistence paradoxale est l’un des symptômes majeurs d’une dissociation qui doit conduire le clinicien ou le praticien à poser un diagnostic d’EPST complexe). C’est ce que RACAMIER dénomme le “décervelage” »[17].
Les trois ordres organisationnels d’une relation d’emprise sont : 1- une captation par appropriation/dépossession grâce à une séduction unilatérale (ou « narcissique ») ; 2- une domination et un isolement s’exerçant sur la personne « emprisé » (souvent désigné comme « bouc émissaire ») avec recours à la violence psychique et/ou physique, mais faisant le plus souvent appel à la discrimination, aux manipulations, aux harcèlements, etc. ; 3- l’apposition d’une empreinte dans le psychisme de la cible qui s’adapte à la situation en abandonnant toute prétention de compréhension et en adoptant des réponses automatisées pouvant aller à l’encontre de ses intérêts (non perçus comme tels en raison de la dissociation provoquée), et ce, afin de réduire les dissonances cognitives que lui impose la communication paradoxale.
Le système de communication déviante (paradoxale ou perverse) que les contraintes paradoxales instaurent dans les rapports à autrui contient en germe tous les ingrédients qui mènent, à terme, à une relation d’emprise dont l’expression = appropriation-dépossession (effraction) + domination (captation) + empreinte (programmation) = décervelage è facilitation du « conformisme » individuel ou social.
Conclusion :
La relation d’emprise est définie par : (1) l’atteinte aux droits les plus élémentaires des personnes « emprisées » (dignité et intégrité psychique ou physique) ; (2) le caractère unilatéral de l’entreprise de séduction exercée sur une cible (personne, public ou peuple) ; (3) la « marque de fabrique » de « l’empreneur », faiseur de paradoxes (i.e. le « paradoxeur » décrit lors de la première partie de cette présentation).
Dans la plupart des déséquilibres relationnels avec inégalité patente, les personnes dominées perçoivent la puissance des dominants, mais ne peuvent y répondre parce que ces derniers se sont approprié les « rênes du pouvoir ». Cela ne les empêche pas de faire usage de leur esprit critique en dénonçant les injustices perpétrées par ces déséquilibres.
Dans la relation d’emprise, la manipulation mentale qui s’y joue n’est jamais explicite (inégalité latente). Elle s’exerce insidieusement à l’insu de ses victimes qui sont « sidérées », hypnotisées et captées par « l’empreneur » grâce, notamment, à l’usage d’une dialectique éristique soigneusement « huilée ». Les victimes ignorent les conditions de leur mise sous emprise et ne perçoivent pas les manœuvres de l’instigateur ni ses véritables intentions. Ce dernier sait se « fondre dans la masse » pour répondre aux attentes de ses proies et parvenir ainsi à « coloniser » leur psychisme en lui imprimant sa « marque ». Cette opération, véritable entreprise de dépersonnalisation, consiste en un « effort pour rendre l’autre fou » et ceux qui s’y adonnent le mieux sont ceux qui prétendent – suprême paradoxe – pouvoir nous apporter les remèdes aux maux qu’ils nous infligent. C’est le principe fondamental sur lequel reposent toutes tortures, qu’elles soient physiques ou psychiques. À la seule différence près que, s’agissant de tortures mentales, celles-ci sont parfois imposées inconsciemment, en toute méconnaissance de cause des dommages provoqués sur la psyché d’autrui : c’est en cela que notre époque peut être qualifiée « d’âge de la barbarie communicationnelle » (cf. première partie ).
La relation d’emprise est un système relationnel susceptible de survenir dans tout rapport humain et contre lequel il n’existe pas de moyen absolu de se prémunir, mais pour se sortir de cet engrenage destructeur ou, préventivement pour ne pas y entrer, une prise de conscience de la violence sournoise qui s’y joue et des mécanismes conduisant à une telle relation sont indispensables.
Si dans mes écrits j’ai longuement pu traiter des mécanismes en jeu instituant ce type de relation et de la personnalité archétypale de « l’empreneur » (parties 1, 2, 3, 4 et 5), bien que ne les ayant pas développés exhaustivement, je n’ai fais qu’aborder sa « violence sournoise » en la qualifiant parfois de « meurtre psychique » sans en donner d’autre explication que phénoménale. Il serait intéressant et instructif de visualiser l’impact de ces phénomènes sur le développement de notre cerveau pour mieux comprendre de quoi il en retourne. Ce qui devrait probablement faire l’objet d’un prochain billet.
Philippe VERGNES
[1] Cf. Gustave LE BON, « La psychologie des foules », 1895.
[2] Roger DOREY, « La relation d’emprise », 1981.
[3] En aparté, il est intéressant de noter les divergences des courants psychanalytiques que l’on peut se représenter par trois niveaux. De l’étude exclusive de l’intrapsychique (niveau I), certains psychanalystes ont étudié l’interpsychique des relations duelles (niveau II = relation à deux comme en fait état le texte de Roger DOREY), d’autres se sont orientés vers l’intersubjectivité, c’est-à-dire, l’observation et l’analyse des individus interagissant entre eux dans une pluralité de relations (niveau III = psychodynamique). Ramené au sujet qui nous concerne ici, ce champ d’investigation ne se résume plus à l’observation et à l’analyse de la dyade bourreau-victime, mais s’étend également au triptyque bourreau-victime-spectateurs.
[4] Gérard LOPEZ, « La relation d’emprise », sur le site de la préfecture de la SARTRE.
[5] Entretien rapporté par la Revue Française de Psychanalyse, « L’emprise », 1992/5.
[6] Jean-Pierre VOUCHE, « De l’emprise à la résilience », 2009, p. . Citation de Boris CYLRUNIK, auteur de la préface.
[7] Cédric ROOS, « La relation d’emprise dans le soin », p. 9 du fichier PDF, en lecture libre sur Internet.
[8] Georges ORWELL, « La ferme des animaux », p.
[9] D’après le texte de Roger DOREY, « La relation d’emprise », 1981.
[10] Reynaldo PERRONE et Martine NANNINI, « Violence et abus sexuel dans la famille – Une vision systémique des conduites sociales violentes », 1995.
[11] « L’empreneur » signifiait en vieux français : celui qui entreprend (ici une entreprise guerrière). Dérivatif du mot « emprendre » qui avait de nombreuses significations dont celle de : faire prendre, allumer, enflammer ayant aussi donné le substantif masculin de « emprenant » : assaillant, et « empris » : pris, saisi (cf. pages 71 et 72 du dictionnaire GODEFROY de l’ancienne langue française du IX au XV siècle). Ainsi, lorsqu’on entend dire « qu’il n’y a pas de fumée sans feu », a-t-on pris soin de vérifier qu’un « empreneur » n’est pas à l’origine de ce « feu » (la rumeur) ?
[12] « L’empriseur » et « l’emprisé » sont des termes utilisés par Jean-Claude MAES dans son livre : « Emprise et manipulation : Peut-on guérir des sectes ? » pour désigner les personnes qui initient l’emprise et celles qui la subissent.
[13] Geneviève PAYET, « L’aide-mémoire en psychotraumatologie » sous la direction de Marianne KÉDIA et Aurore SABOURAUD-SÉGUIN, 2008, page 84.
[14] Roger DOREY, « La relation d’emprise », 1981.
[15] Nous verrons l’importance de ce concept majeur en psychotraumatologie dans un prochain article.
[16] Le « pouvoir », les « crises », la communication paradoxale et « l’effort pour rendre l’autre fou ».
[17] Cédric ROOS, « La relation d’emprise dans le soin », 2006, p. 54.
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