Le commentaire de « L’Express » en 2006
------------------------------------------------------------------------------------
Frédéric Lefebvre, le très influent conseiller parlementaire de Nicolas
Sarkozy, est resté actionnaire majoritaire d’un cabinet de lobbying
Qui, à l’Assemblée nationale, ne connaît pas Frédéric Lefebvre ? Ce quadragénaire
à l’élégance de Borsalino, cheveux longs gominés et cravates voyantes, passe
une grande partie de son temps dans les couloirs du Palais-Bourbon, en tant que
conseiller chargé des relations avec le Parlement du ministre de l’Intérieur,
Nicolas Sarkozy. Lorsqu’ils l’aperçoivent, le portable collé à l’oreille, les
députés interrompent leur conversation. « Voici le porte-flingue de Sarko »,
chuchotent-ils. Frédéric Lefebvre, chargé de s’assurer de leur loyauté envers
son mentor, jouit d’un respect mêlé de crainte parmi les élus de la majorité.
Les ménages des assistants
L’une des spécialités de Pic conseil-Domaines publics est de faire
travailler les collaborateurs des députés sous des formes variées : temps
partiels, missions ponctuelles de « veille parlementaire ». Stephan Denoyes, l’un
de ses directeurs associés, est assistant à temps partiel du député UMP des
Alpes-Maritimes Charles-Ange Ginesy, suppléant du ministre Christian Estrosi.
La collaboratrice de Jean-Michel Couve, député UMP du Var, est également
employée par Domaines publics pour le compte de l’Association nationale des
industries alimentaires (Ania). Une pratique légale, plus répandue qu’on ne
l’imagine au Palais-Bourbon. Mais éminemment discutable.
Les députés savent qu’il connaît intimement le Palais-Bourbon, pour avoir
commencé sa carrière de jeune militant RPR comme collaborateur parlementaire de
Patrick Ollier, actuel président de la commission des Affaires économiques de
l’Assemblée, et qu’il navigue au cœur des réseaux sarkozystes des
Hauts-de-Seine, en tant qu’adjoint au maire de Garches (92) et conseiller
régional d’Ile-de-France.
Ce que Frédéric Lefebvre se garde bien de leur dire, en revanche, c’est
qu’il est resté actionnaire majoritaire d’un cabinet de lobbying en pleine
ascension : Perroquet institutionnel communication (Pic conseil). Une entreprise
qu’il a créée en 1996 et dont les profits font pâlir d’envie ses concurrents :
792 000 euros de bénéfices nets en 2005, pour un chiffre d’affaires de 1,582
million d’euros, en progression de 60% sur l’année précédente. « Nous vendons
notre matière grise plutôt cher », reconnaît Steven Zunz, cofondateur de la
société et ancien assistant parlementaire de Christian Estrosi, ministre
délégué à l’Aménagement du territoire, fidèle de Nicolas Sarkozy.
La firme s’est activée en coulisses
Pic conseil s’est rapproché en 2004 d’une autre société de relations
institutionnelles, Causalis (1 million d’euros de chiffre d’affaires en 2004),
et se présente désormais sous le nom de Domaines publics. Ses clients ? Des
syndicats professionnels (industrie alimentaire, masseurs-kinésithérapeutes,
répartiteurs en pharmacie, producteurs audiovisuels, agents immobiliers, pompes
funèbres) et des industriels (Suez, Bouygues, Alcatel, Sodexho, les casinos
Lucien Barrière, le fabricant de rhum Bacardi, le cigarettier Altadis). La
firme s’est activée en coulisses, ces derniers mois, lors des débats
parlementaires sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics, la publicité
pour le vin, les droits d’auteur sur Internet ou la lutte contre l’obésité.
Curieux mélange des genres ? « Je ne m’occupe absolument plus de Pic conseil
depuis 2000. Je n’y exerce aucune responsabilité et ne touche aucun dividende »,
précise Frédéric Lefebvre. Il reste toutefois détenteur de 51% du capital de
Pic conseil, en « nue propriété », ce qui signifie qu’il conserve ses titres,
mais en a confié l’usufruit temporaire à son associé jusqu’au 30 juin 2007. A
cette date, la France aura un nouveau président et Frédéric Lefebvre deux
options : revendre, à bon prix, les titres de son entreprise prospère ou en
reprendre les commandes comme lobbyiste en chef.